[chronique] Mots d'ordre : poétique sans métaphore [1]

[chronique] Mots d’ordre : poétique sans métaphore [1]

avril 16, 2007
in Category: chroniques, recherches, UNE
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Ces types de langage, si a priori ils ne peuvent être considérés comme matériau poétique, par le déplacement même impliqué par la création, par le passage à une logique d’utilisation selon un autre contexte que celui qui était premier, deviennent poétique, matériaux de construction du sens, d’invention de nouvelles correspondances entre les symboles, ou bien de redéfinition des vérités présupposées intramondainement. La poéticité, si en effet, elle pourrait être seulement dans le déplacement de plan de perception [situation urbaine/sociale/économique/politique -> dimension littéraire], cependant, elle va intervenir par le travail de montage, de recomposition des relations signifiantes, de structuration de boucles, d’usage de sample. Alors que la métaphore produit un nouveau monde, révèle, au sens lacanien, certaines formes de condensations inconscientes de signifié au niveau d’un signifiant, ne pouvant se révéler que par le transfert métaphorique ou bien la substitution analogique ; la reprise et la répétition de séquences établies au niveau du monde social …., ne peut d’aucune manière ouvrir à d’autres mondes, ou bien encore, de prime abord au sujet lui-même, au “je” qui s’exprime en tant qu’agent de la métaphore et de la métamorphose tel que l’analyse parfaitement Alain Frontier à propos de Rimbaud et de ce qu’il écrit à Paul Demeny en 1871, expliquant pour quelle raison le poète étant voyant, le “je” devient alors un autre [La poésie, ed. Belin]. La réappropriation du langage sociale ou politique ou économique, opère nécessairement une forme de fixation intentionnelle de ce qui est énoncé dans le texte en relation au contexte d’énonciation. Nul engagement vers un extérieur, nulle échappée même avec le dire, une forme d’hyper-connectivité est posée, au sens où : 1/ non seulement ces textes se réfèrent à un ordre pré-existant et réel, 2/ mais en plus ils ne jouent pas pour un certain nombre sur l’écart, à savoir la re-présentation, mais ils ne sont que présence réactualisée des langages existants.

Messages de prévention — En 2005, Franck Laroze, met en boucle dans Préservation sécurité avenir [ ed. Sens et Tonka] les consignes de sécurité diffusée dans  les gares sncf, et par une permutation proche de ce que fait Jean-Michel Espitallier, fait glisser le sens de la consigne vers l’appropriation totale de la vie et de sa temporalité. Langage qui cadenasse ce qui lui est extérieur, qui happe la vie grâce à la répétition, au martèlement, au point de s’inscrire dans la mémoire en tant que routine. Ainsi partant de la préservation : “pour votre sécurité / ensemble préservons / votre avenir”, par glissement successif, il établit un sens qui en arrive à l’appropriation totale du temps : “Pour notre sécurité / mémorisez ensemble / votre avenir”. F. Laroze, avec cette création, met en évidence de quelle manière ce qui est contrôlé, ce n’est pas tant notre présence, mais ce qu’elle peut devenir. L’entreprise cybernétique du guidages des corps dans l’espace urbain, est une entreprise d’appropriation de l’advenir des corps, de leur temporalité. Les corps sont ainsi empêchés de se corporiser, ils doivent seulement retranscrire les mots d’ordre qui sont mémorisés [vectorialité temporelle], en tant que future trajectoire, futur travail. Alors que d’emblée est reconnu un leitmotiv, et ceci selon tout à la fois la présence de certains signifiants (“ensemble”, “préservons”) et la rythmique, toutefois son travail s’élabore immédiatement en tant que détournement, déplacement du message de sécurité selon une création hyperbolique de son contenu. Si ce type de poésie n’est pas métaphorique, pourtant il y a bien une certaine logique de transfert, mais qui peut être de l’ordre métonymique : la partie symbolise le tout. Un certain type d’énoncé est employé en tant que renvoyant à la totalité des énoncés aliénant mais plus que cela à une vérité du politique liée à l’aliénation. En ce sens, il n’y a pas évacuation du travail symbolique : mais transformation de ses référents. Pour comprendre précisément cela, il faut mettre en évidence, et ceci en revenant à la question du travail qui s’opère avec la métaphore, mais non pas au niveau de sa création, mais au niveau du destinataire.

passivité mémorielle et réactivation — La métaphore, tel que nous l’avons vu empiriquement, avec A. Danto, suppose un contexte d’énonciation pour fonctionner, de même que toute image que l’on crée. En ce sens, le jeu de la métaphore repose sur une forme de pré-acquis du destinataire, une forme de mémoire passive, que la métaphore va faire résonner, va réactiver. Mais cette réactivation ne se fait pas, dans une poésie créatrice, selon la stricte répétition d’une métaphore existante, mais selon un jeu d’association, qui se réfère à une pré-acquisition de ce qu’est la fonction métaphorique, et en quel sens elle se constitue selon certains régimes de liaisons symboliques [sorte de magmas de relations symboliques qui induisent des dimensions référentielles déterminées : le corps, l’eau, le feu, le ciel, etc]. Activation d’une forme de pensée + possibilités de relations/substitutions symboliques déterminées. Une métaphore pour être efficace suppose donc ces conditions passives, qui vont tout à la fois permettre de synthétiser ce qui est énoncé, et d’autre part de l’analyser, en tant qu’est déclenché automatiquement un travail d’esprit pour saisir les correspondances développées par le poète. Il n’y a donc pas de vérité de la métaphore en soi, ni non plus de l’image inventée. Les métaphores s’étudient empiriquement selon des contextes d’énonciation donnés. Cependant, les procédures de la métaphore travaille toujours à la mise en frottement d’un référentiel saisi, et d’autre part d’un contenu de substitution qui lui est analogiquement substitué. Il y a deux sortes de réalité qui se rencontrent, l’une au sens de Dewey idéalisée et exprimée par la poésie, l’autre mentalement inscrite dans le destinataire et qui va fournir le vecteur d’intensification de la métaphore. Ici, on aurait encore beaucoup à apprendre du travail de Bachelard, tentant d’analyser psychiquement et phénoménologiquement la poétique de la rêverie, à savoir la logique d’association de certaines images, de certains référentiels, et en quel sens elle opère des représentations chez le lecteur.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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4 comments

  1. De Campos

    Bel article sur l’usage du slogan ! Cet usage dans la poésie contemporaine est très bien vu. On peut penser également au nouveau livre d’Hubert Lucot.

  2. rédaction

    Je vous remercie de l’appréciation. Je n’ai malheureusement pas encore le livre d’Hubert Lucot, que je chroniquerai dès que je l’aurai.
    Ce qui m’interroge, en approfondissant cette question, tient aux associations de pensées qui sont liées à des poétiques non-métaphoriques. Au sens où justement, comme je tente de le montrer, il y a bien un mode de fonctionnement cognitif qui est du même ordre que celui de la métaphore, même si ce ne sont pas les mêmes zones de mémoires symboliques qui sont réactivées.

  3. De campos

    Oui, j’ai bien compris cette idée, qui me parait intéressante. Il est assez difficile de savoir ce qu’un slogan utilisé en poésie, en littérature, saisit. Effectivement, il y a une désertion de l’image quand on l’énonce, l’imagination ne parvient pas à se dérouler pleinement, ce qui crée un sentiment d’espace un peu oppressant.

  4. De campos

    toute cette réflexion sur l’usage du slogan me fait penser aussi au « 61 messages personnels » publiés (et mis en ligne) par Inventaire/Invention (messages de la résistance). Ce ne sont pas des slogans, mais des phrases affirmatives, qui se suffisent à elles-mêmes, et qui ne font pas vraiment image non plus, tout en faisant réagir une sphère à explorer de la pensée.

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