[Chronique] Aldo Qureshi, La Nuit de la graisse, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Aldo Qureshi, La Nuit de la graisse, par Christophe Stolowicki

novembre 30, 2019
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[Chronique] Aldo Qureshi, La Nuit de la graisse, par Christophe Stolowicki

Aldo Qureshi, La nuit de la graisse, Atelier de l’agneau, illustration de couverture de Veuve Alvilda, novembre 2019, 104 pages, 17 €, ISBN : 978-2-37428-032-5.

 

D’entrée de jeu (« l’immeuble s’est effondré il y a un an mais nous / préférons continuer à passer l’aspirateur dans les / gravats »), « la graisse au sens large » adresse au lecteur un message d’humour extrême qui le presse de demeurer en reste, jamais ne l’agresse.

En deux ans, trois livres, Aldo Qureshi a fait irruption sur la scène de la poésie contemporaine où comédien poète il assène, scénarise de sketch en sketch les ressources d’un imaginaire trempé dans l’écho t’y tiens, dans l’ego dit tien. Dans l’entre-deux poèmes, immobile il garde de longs silences vibrants qui tiennent le public en douce transe d’hilarité.

Passée en trombe triomphale l’épreuve de l’oral, l’écrit soulève la route, l’asphalte à cru. Je n’ai pas boudé mon plaisir au spectacle, peux piler empiler dessus à présent quelques noms, communs de préférence, triviaux dont le sordide tutoie la résilience, le savoir-faire aux petits fers et l’affairement savoir. Des mille & une nuits du narrateur dont l’organe alerte, sous peine d’être morcelé en mille morts sauves, fait et défait « les nœuds rouges que les langues forment au fond des gorges, on les voit se défaire et bouger doucement comme des vers de terre dérangés dans leur sommeil » – les thèmes peu oniriques, chassie, microbes, caissière de supermarché, vaisselle, « barquettes de viande hachée », empruntent au rêve sa vélocité labile, ses impasses d’absurde liminaire où aucun psy ne vient fourrer son groin ni son chagrin, une voie royale de vomissures et de déjections où « les intestins sont la prolongation des couloirs » d’immeuble.

Les procédés sont ceux du théâtre comique, ceux de Molière, de Francis Blanche, le public entretient une lourde connivence avec l’auteur aux dépens du personnage principal, ici le narrateur lui-même, à passes magiques intériorisées. L’humour dans ses outrances, tout sauf de l’humour, porte « Des gants hantés – comme des chaussons rouges – […] des têtes de chien à la place des mains » dans l’intention affichée, lacérée et recollée à lambeaux d’un art affichiste des années cinquante – de faire pièce à l’angoisse. Quelques apologues dont un délit de « faciès » apposent leur marque politiquement pis ou mieux que correcte.

Je craque pour « interflora », le poème du « pervers olfactif [qui] touille du nez dans les pétales […] un brochet dans le pantalon ». Un jeu vidéo flatte l’agression des plus écrasés par l’ordre social qui peuvent « dégomme[r] les passants » tant et plus et cernés par la police, « sauter du haut de l’immeuble en vidant le chargeur dans les nuages » ; pour préserver l’intériorité construire « une cabane sous-cutanée ». Acheté un slip intelligent tout en algorithmes, « On en finirait presque par oublier la petite viande qui gît dans la pochette. » L’insoutenable infime évacué, l’insoutenable ordinaire, les fruits du « grand pourrissier » retournent dans le slip (toujours) ou à dégouliner dans un fond de cour. L’inspiration à étiage de poésie, le poème ménage ses effets, tout prose entre son début sans majuscule et sa chute sans point final, entretemps ponctué comme vous et moi.

Le corps a la parole et ses humeurs tumeurs tuent, meurent et retournent la phrase en ses linéaments ; la période lave son linge périodique à fleurs de mots ; de « corps entassés […] passés de la surpopulation à l’hyperpopulation et de l’hyperpopulation à l’occlusion générale de l’espace habitable », la phrase étouffe et relancée déploie ses anamorphoses, sa fosse à morve, ses fausses dents.

Le débotté provocateur de quelques titres (« la mascotte du régiment », « le carburateur de la Citroën C4 et son utilisation dans la mécanique alternative », « vend poule mouillée en parfait état », « gitanes maïs ») sans rapport avec le texte qu’ils infibulent ; l’introduction d’enseignes (« optique 2000 », « century 21 », « jardiland ») en poésie ; de frustration, l’émasculation collective d’un étalon ; une culpabilité qui se tortille et s’exfiltre dans des oripeaux sexuels où l’inceste et la prostitution font bon ménage verbal ; de défunts à la cave de l’immeuble composé « un club-sandwich de macchabées XXL » ; le poème pas de porte, le poème passeport : de son tragique en aporie le grimaud grimace sur grimace l’écrasante menace héritée qui ne le lâche pas – en gage se déchire à belles dents et en sanie.

À flanc abrupt d’un nu de Walkyrie à tranche vermiculaire, des mains pianotent sur des touches tandis que de piteux petits porcs célestes (sans hashtag) font grise mine. Rendu en couverture tout le déchiqueté en coqs à lames d’Aldo Qureshi.

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rédaction

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