[Chronique] Edith Azam, Caméra, par Périne Pichon

[Chronique] Edith Azam, Caméra, par Périne Pichon

septembre 4, 2015
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Chronique] Edith Azam, Caméra, par Périne Pichon

Edith Azam, Caméra, P.O.L, été 2015, 160 pages, 12 €, ISBN : 978-2-8180-3681-5.

Dans son dernier livre, Edith Azam nous donne à lire une fascinante fable sur notre temps – "ultramoderne" si l’on veut.

 

Créature anthropomorphe, Caméra enregistre les images d’un monde qui s’effrite. Caméra est la chambre noire d’une écriture, un œil qui enregistre, une piste qui capte les sons. Par magie typographique, le nom est devenu patronyme, et transforme l’objet en personnage. La raison d’être de Caméra semble contenue dans son nom : il faut capturer, stocker, puis développer les images, et au-delà une langue.

 

Chez Caméra fusionnent le corps et l’objet. L’œil observe et conserve, le corps souffre pour chaque événement saisi. L’écriture joue sur l’ambivalence de cet être qui regarde comme on récolte : les expressions référant au caméscope révèlent la mécanique d’un corps sur le point de se briser, comme le monde qui l’entoure.

 

Caméra pose son sac, sort le long drap qu’elle déchire afin de se couvrir le nez et la bouche, puis fixe son bras fendu, en écharpe. Caméra : vision brouillée. Épuisées, les batteries clignotent.

 

Caméra traverse des paysages de guerre, se heurte à des murs de pierres et de chairs, évolue dans un chaos qui confère au récit son étrangeté. C’est une course en surtension au sein d’un monde apocalyptique mais poétique, où êtres et objets semblent se décomposer et tenter tant bien que mal de se re-composer. En ce sens, Caméra est une résistante. Malgré la violence qui partout éclate, elle avance jusqu’au point de rupture de ses circuits.

 

De fait, Caméra est investie d’un rôle témoin. Mais plus qu’une pellicule elle protège un mystère : le Nom. Trésor et bouclier contre le monde qui s’écroule, il demeure au cœur de la pensée de Caméra, au creux de sa langue. Ce Nom gagne d’autant plus en importance et en opacité que l’écriture, faite d’accélérations puis de heurts, signale l’évidence brusque de certains mots. Ou pose des égalités : "à force de vouloir viser juste, à force de cela, nommer : tue". L’opération de transformation à l’œuvre dans le langage en devient perceptible : une idée, une pensée devient un acte, une réalité. Et le Nom derrière ces mots reste présent mais insaisissable.

 

Le Nom est comme l’inconnue x d’une équation. On peut concevoir la vanité de découvrir cette inconnue. On se contente de suivre la marche de Caméra, dictée elle-même par la force du Nom. Se laisser porter par la langue jusqu’à cet autre mystère humain : le langage.

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rédaction

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