[Création] Daniel Cabanis, Faces & Profils des postes vacants (2/3)

[Création] Daniel Cabanis, Faces & Profils des postes vacants (2/3)

septembre 30, 2014
in Category: créations, UNE
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[Création] Daniel Cabanis, Faces & Profils des postes vacants (2/3)

 Tandis qu’il prépare son exposition à Ivry sur Seine ("Bêtes noires et autres", signalée dans les NEWS), Daniel Cabanis nous propose une nouvelle série, "une cruauté sur le chômage ambiant". [lire/voir la première livraison] [lire/voir "Écrivains chez l’habitant"]

 

Offres 5 & 6

 

 

 

Le conseil en ingéniosité prend son temps. Il observe. C’est un intuitif. Il ne fait pas le malin. Sa discrétion ne se remarque pas. Si on le prie de se vanter, il dit son nom (Navas, Vican, Tessonne ou Masoulin) et ajoute : six ans chez Missa & Fakenzi, huit chez Rudenko-Bass & Poor, de gros cabinets; ça pose là l’expérience. Il faut ce bagage. L’ingéniosité est une fraîcheur d’esprit. Et aussi souffle, longueur, discipline, endurance : routines que l’éclair illumine, ça va de soi. Le conseil en ingéniosité travaille en indépendant, c’est-à-dire : bureau flottant, horaires libres, pas d’obligation de résultat, tarifs à la tête du client. Il n’a pas d’enfant, ni chien : pas son genre (ni non plus de parapluie). Il peut se saouler comme diable dans l’intérêt d’une affaire en cours, whisky de préférence. Il est un homme de l’ombre. Il intrigue. Il aime à combiner. Il configure et anticipe. Dans les meilleurs cas, il résout les énigmes et dénoue les imbroglios; s’il tombe sur un os, il trouve une solution, un plan B (ou Z). Pour cuire un contradicteur, il sait taper du poing sur la table tel un karatéka qui perd son flegme, sinon il est doux. Il n’a pas d’amis. Des clients, dit-il.

 

La gestionnaire d’infortune travaille beaucoup. Chaque matin, du lundi au samedi, son bureau se remplit de larmes : elle éponge toute la journée. C’est long, le malheur des autres. Mais elle a les nerfs solides et la tête claire. Elle fait ce qu’elle à faire : nager, toujours nager. Son nom peut être Lavissen ou Boulakka, plus sûrement Spoll, Quatretiaires, de Rubinsacq. D’ailleurs, peu importe son nom tant qu’il est propre : soit tant que la gestionnaire prospère à la loyale sur les déboires et revers de ses clients. Affairistes floués, gogos, divorcés sur la paille, humiliés, dupes, licenciés, laissés pour compte, déçus divers, ruinés, maudits et malchanceux : ils sont pléthore, les noyés. Et tous pleurent du sang, et paient pour une bouée; le naufrage est remis à plus tard. Ce défilé d’âmes cassées, pesant, pas drôle, la gestionnaire d’infortune y est habituée. Si elle a un trop-plein le dos, le soir, elle fume de l’opium et/ou va au cinéma. Même un mélo larmoyant lui remonte le moral, s’il finit bien. Le dimanche, elle se trouve un amant; c’est fiction là encore. L’amour, elle n’y croit pas. Des errements dont il faut se garder, dit-elle payée pour le savoir.

 

 

Offres 7 & 8

 

 

 

La directrice des parcs et jardins n’est pas dans son bureau, elle préfère le dehors. Son nom seul est plaqué-or sur la porte : Mme Berzou-Zalla (Garon, Mozin, Danty ou Jollinot sont bien aussi mais Berzou-Zalla est bien mieux). La directrice a des bottes, un ciré, des gants verts, son sécateur. Elle connaît le terrain. Si on la cherche, elle est dans les espaliers où elle surveille le bon déploiement des palmettes; sinon elle taille les buis ou les lauriers, ratisse et pousse brouette, toujours active. Rarement, elle ne fait rien ; c’est qu’elle est occupée à sentir le vent. Ensuite elle décide : plans d’eau inclinés, fontaines pétrifiantes, folies, grottes, kiosques et cabanes pour tous ; geysers, fourches patibulaires et labyrinthes pour les pervers et les dépressifs; suppression des aires de pique-nique et des parcours sportifs ; jogging interdit. Courir et suer sont des vulgarités, dit-elle. Pour le vélo, messieurs, il y en a d’appartement. La directrice est terrible, une ambitieuse ; elle impose ses vues et desseins. Si on lui résiste, elle bipe son adjoint qui est un mercenaire ou un aventurier (le genre fanatique). Il arrive, et la contestation s’éteint. Le mort est recyclé.

 

Le médecin parallèle ne soigne pas. Ou autrement. Disons qu’il réconforte. Il a une bonne tête. Pas de barbe. S’il s’appelle Samain, Levigoureux, Roux, Cheval, il inspire confiance. Sinon son nom est Zona ou Letueur : le malade n’y survit pas. Souvent le médecin parallèle a été radié des Généralistes ; il a commis trop d’impertinences, comme de soigner la cachexie avec un cache-sexe et le rhume avec du rhum. Il est donc un homme libre à présent. Quant à l’Ordre, dit-il, eh bien, que dents lui tombent et cul lui pèle dans un parfait parallélisme ! Le médecin non conventionnel ouvre un cabinet dans une rue discrète ; il fait aussi des visites dans les beaux quartiers où, à la demande, il peut s’incruster plusieurs jours, ou semaines. Il traite en priorité le collapsus et l’égratignure, l’otite, les pathologies lourdes, mais si urgence il donne les premiers soins, accouche, vaccine, euthanasie. Il est grand donneur sang et sperme. Et encore : rebouteux jusqu’au bout des ongles, acupuncteur, yogi, thalassothérapeute. Il a lu Le livre du Chat, il peut se dire psy, vétérinaire et égyptologue. C’est le médecin complet, ses diagnostics sont très recherchés.

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rédaction

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