[Livre-chronique] Alain Helissen, On joue tout seul

[Livre-chronique] Alain Helissen, On joue tout seul

juin 9, 2010
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Alain Helissen, On joue tout seul, photographies de Didier Lemarchand, éditions Corps Puce, Amiens, printemps 2010, 156 pages, 12 €, ISBN : 978-2-35281-031-0.

Le dernier recueil de celui qui se rattache à la famille des poétrous se lit avec un plaisir plus mélancolique qu’à l’accoutumée. [Lire un extrait sur Plexus]

Présentation éditoriale :

Ecrire est un jeu solitaire, un rien masturbatoire. Et les efforts consentis à perdurer le jeu témoignent d’une illusion tenace : celle de trouver un lecteur consentant, disponible pour rentrer dans la partie, ne serait-ce que pour échanger en silence quelques mots, comme quelques balles dans la cour de récréation. Mais l’illusion fait vivre, entretient le désir, repousse le futur et avec lui la mort. Qui joue tout seul rassure l’entourage en lui autorisant d’autres occupations, de celles qui rassemblent sagement la tribu devant des écrans uniformes. On joue tout seul propose une espèce de mise à nu de la création poétique et, plus largement, de la création artistique en général.

Chronique :

"tu crois écrire l’unique
lui déjà fléché
par tous les poétrous
de la troubu !"

(Les Poétrous, éditions Voix, 1999, p. 32).

Le titre comme la photo de couverture (Didier Lemarchand) donnent le la : de la dimension ludique – voire, festive – de la scène (celle de la vie comme de l’écriture), Alain Helissen conserve une trace dans son dernier livre, mais, réussissant à prendre ses distances vis-à-vis du jeu et de ses illusions, c’est plutôt sur l’envers du décor qu’il met l’accent. Et parfois, sa "petite motzique de nuit" (p. 126), le poète la joue sur le mode mineur, faisant écho à Pascal, Verlaine ou Novarina : vanité, solitude, angoisse, mort… (Au reste, que sont les photos de Dideir Lemarchand, sinon des vanités ?).

Dans un univers mondialysé où règnent la "pure haine vierge", les "mots marchands", les poéticailleries de toutes sortes, les romambos, les chromos télévisuels et les credos consuméristes, où "l’histoire revient de loin / charrier chaque jour / des épreuves inédites" (26) et où l’on perd son temps "à œuvrer pour sa / social security" (33), que peut bien faire le poète, sinon inventer "des vers / tout frais extraits / du grand fumier terrestre" (36), jouer tout seul "à déplacer les mots / sur une page blanche / des mots hors-commerce" (138) ? Tragi-comique s’avère ainsi la figure du poète contemporain :

"Bouffon tragique
soliloquant
dans une salle vide

 

Jouant tout seul
son opéra-le bol" (132).

Si, à force d’humour et d’homophonies (d’homo folies ?), de dérapages et télescopages divers, sans oublier les chansons carnavalesques, Alain Helissen retrouve ici les préoccupations des poétrous, "plus occupés à creuser des trous pour en boucher d’autres en archipels qu’à niveler la langue avec quelque remblai importé des territoires communs" – creusant de sa plume "des trous tout aussi ellipt(r)iques" (Les Poétrous, p. 9) –, il s’éloigne néanmoins de ses précédentes texteries par trop machinées… Du reste, plus proche cette fois de Christian Prigent, cet "empêcheur de trouer en rond" (85), que de Jean-Pierre trouvèrheggen… Ce qui est sûr, c’est que l’empreinte de ces grands carnavalesques demeure trop marquée pour que le poète joue vraiment tout seul : il a sans doute trop bu aux poétrous de la troubu

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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