[Livre-chronique] Pierre Jourde, C'est la culture qu'on assassine

[Livre-chronique] Pierre Jourde, C’est la culture qu’on assassine

avril 8, 2011
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
0 2684 3

Pierre Jourde, C’est la culture qu’on assassine, Balland, 2011, 288 pages, 18,90 €, ISBN : 978-2-35315-098-4.

"Nous pouvons nous élever au-dessus de la spécialisation et du philistinisme dans la mesure où nous apprenons à exercer notre goût librement" (Hannah ARENDT, La Crise de la culture, cité en exergue par l’auteur).

Ce livre regroupe en sept parties ("Les Médias", "L’éducation", "L’Université et la Recherche", "La Politique culturelle", "Vie culturelle", "Livres et écrivains" et "éthique et littérature") 44 chroniques parues pour la plupart en 2009-2010 sur un blog ("Confitures de culture") hébergé par le site du Nouvel Observateur, Bibliobs, dirigé par Grégoire Leménager.

Le constat de départ de l’écrivain-critique est sans appel : "Où est la culture ? Elle n’est, pour le grand public, pratiquement plus à l’école. Elle n’est pas dans les maisons de la culture, ni dans les bibliothèques, de moins en moins au cinéma. Pour la majorité de nos concitoyens, la culture, c’est la télévision" (p. 11-12). Mais qu’entend-il par "culture" ? "La vraie culture n’est pas quantitative, ni décorative. Elle modifie l’individu. Un grand bourgeois parisien qui collectionne les tableaux de maître et cite Debord dans les dîners en ville n’est pas cultivé s’il ne s’agit pour lui que d’un décorum social, et non d’un facteur de travail intérieur. Un métallurgiste du Creusot qui a profondément intégré la mémoire ouvrière, qui s’est construit avec l’éducation républicaine et le combat politique est plus cultivé que lui. Ce qui est dramatique, en ce sens, c’est la disparition de la culture populaire, au profit du divertissement de masse" (143-144).

Précisément parce qu’il défend cette conception exigeante de la culture et des auteurs comme Novarina, Cadiot, Chevillard ou le jeune poète Dickow, à l’enseigne du Judith et Holopherne de Gentileschi et sans hésiter à recourir à l’hyperbole (en plus du titre générique, des sous-titres comme "La Guerre contre l’esprit", "La Destruction de l’enseignement"…), Pierre Jourde s’attaque à la puissance molaire que constitue une culture de masse forgée aussi bien par l’industrie que par l’appareil technocratique, ne pouvant admettre l’entreprise actuelle qui vise à minorer la singularité critique et à pervertir tous les lieux de savoir, de réflexion libre et de créativité. Les cibles de son écriture satirique, ironique ou humoristique : la "déréalisation médiatique", l’anti-intellectualisme ambiant, la bien-pensance pseudo-moderniste… Dès lors que la doxa moderne l’a emporté, le problème est en effet que la subversion même a pu se transformer en conformisme : « l’étiquette "rebelle" ou "dérangeant" est devenue indispensable pour obtenir des subventions, exposer dans les musées d’art moderne, avoir un article dans les news culturels de référence" (29). On terminera par ce passage irrésistible dans lequel le malicieux essayiste se fait plus branché que le roi des branchés en traduisant en novlangue texto le célèbre "Parfum exotique" de Baudelaire :

"Kan lé deu zyeu fermé an in swar cho dotone
Je respir lodeur de ton sin chaleureu
"…

, , , , , , , , , , , ,
Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

View my other posts

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *