[Livre] Jean-Marc Rouillan, Autopsie du dehors

[Livre] Jean-Marc Rouillan, Autopsie du dehors

avril 6, 2012
in Category: Livres reçus, UNE
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Jean-Marc Rouillan, Autopsie du dehors (carnet d’été d’un relégué sous surveillance électronique), illustrations de Marie-Claire Cordat, Al dante, printemps 2012, 136 pages, 15 €, ISBN : 978-2-84761-824-2.

Si l’on reste quelque peu sur sa faim, il n’en reste pas moins que l’on déambule volontiers dans ce carnet mi-ombre, mi-lumière – dont le clair-obscur est souligné par l’intensité dramatique des dessins de Marie-Claire Cordat.

S’il n’écrit pas encore "à l’encre rouge sang" (p. 118), dans son "journal de relégué" "écrit à fleur de peau" (99-100) – cette peau que réclament à corps et à cris les partisans de l’ordre ! –, Jean-Marc Rouillan nous livre néanmoins une vision critique de la société sécuritaire : "(finalement) rien (ou peu de chose) n’a changé. ils soignent encore et toujours la misère avec la construction de nouvelles prisons !" (83). D’où cette apostrophe :

"(en prison) j’ai connu des facettes de l’homme dont vous
ignorez tout. vous ne pouvez même pas l’imaginer. (pourtant)
ils sont parmi vous. je sais que le plus banal et le plus éduqué
d’entre vous peut se révéler d’une nature extraordinaire et criminelle.
quand je vous vois dans une rue (au prise avec le tourbillon
inutile de votre quotidien) je sais que vous en êtes capable.
vous portez cela en vous car le système lui-même ressemble
  à ces criminels. il est le plus grand des criminels" (109).

Au plan politique, il n’est pas en reste :

« que personne ne se trompe. si on ne sait quand.
les évènements qui se préparent seront
d’une toute autre violence que celle que nous pratiquions.
(nous savons) que la bourgeoisie (elle) s’y prépare
avec une attention méticuleuse. elle fourbit ses armes…
ses nouveaux drones à tazer…
elle équipe les forces spéciales d’armes automatiques.
les émeutes de novembre 2005 n’ont été qu’un prémisse.
entre l’état de guerre et la colère des plus pauvres il n’y aura
pas de place pour les bons sentiments. et (surtout pas) pour le
"ni avec les insurgés ni avec l’état." »

"on doit venir en aide
  àceux qui souffrent en votant tous les cinq ans
pour un moins crapule que le président précédent.

chassez Sarkozy !
(qu’il dégage bien évidemment) !
mais mister flamby (et ses amis)
nous réservent des remèdes de vieilles mules" (p. 40 et 60).

Au plan moral non plus, lui qui dénonce le décervelage entrepris par les hypocrites leçons de morale des années 60.

Peu loquace sur son "autre vie", il nous livre, non pas un journal du dehors (Annie Ernaux), mais une autopsie du dehors : non pas tant le constat clinique d’un homme en sursis qu’un "carnet de voyage immobile" présentant un "cheminement de relégué" (44), c’est-à-dire un tohu-bohu de souvenirs, d’impressions et de réflexions. L’auteur nous donne à lire une analyse subtile et sensible sur ce qu’est la "vie de dehors", par opposition à la "vie de dedans". En ressort notamment son attachement à la populaire et légendaire Marseille, dont il célèbre l’authenticité et la poésie des bars.

Nous le suivons pas à pas, dans le dédale des rues comme de ses vues. De ses phrases rebelles : "il est impératif de fuir… l’ordre des commandements… / jusqu’à la syntaxe des normalisateurs. il faudra bien (un jour) / qu’on ose remettre tout cela en question. l’agencement / d’une phrase entre deux points est (aussi) une prison" (66). D’où une organisation en stances dynamisées par divers télescopages, silences et respirations ; des phrases rythmées par des parenthèses et des points sans majuscules… Des listes : des manifestations auxquelles il a participé, des devenirs virtuels ("dompteur de scies sauteuses", "architecte spécialisé en poèmes constructivistes", "sénateur gras de la gauche châtrée"…).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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