[Chronique - news] Iegor Gran, L'Ecologie en bas de chez moi / Un jeudi chez Louis Guilloux

[Chronique – news] Iegor Gran, L’Ecologie en bas de chez moi / Un jeudi chez Louis Guilloux

février 20, 2013
in Category: chroniques, Livres reçus, News, UNE
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À l’occasion de la rencontre avec Iegor GRAN ce jeudi 21 février à la Maison Louis Guilloux de St Brieuc, Libr-retour sur son dernier livre, L’Ecologie en bas de chez moi (P.O.L, 2011 ; Folio, 2012) : quels sont les dessous de la vogue verte ? en quoi l’autofiction est-elle auto-bio ? critique et subversion sont-elles rigoureusement et totalement synonymes ? Telles sont quelques-unes des questions que pose ce texte plutôt drôle et décapant.

"Un jeudi, un écrivain chez Louis Guilloux : la littérature c’est capital !", rencontre avec Iegor GRAN jeudi 21 février 2013, de 18H30 à 20H, à la Maison Louis Guilloux (13, rue Lavoisier 22000 Saint-Brieuc ; 02 96 62 37 48).

D’origine russe, Iegor Gran arrive en France à l’âge de 10 ans. Il n’a alors aucune notion de français ce qui lui pose des problèmes de scolarité. Par désespoir, il fait l’École Centrale. Par goût, il fait autre chose… des livres.

Avec Iegor Gran, les dents grincent souvent. D’ailleurs il reçoit en 2003 le Grand Prix de l’humour noir avec ONG ! (P.OL). A bon entendeur…

L’écologie en bas de chez moi (P.O.L,  2011), son neuvième roman, ne fait pas exception. Il décortique ici notre rapport à une écologie marketing bien pensante. Les louables pensées et bons petits gestes du quotidien en prennent pour leur grade… on vous aura prévenus !

Alors oui, il s’agit bien d’un roman – naviguant entre récit et autofiction – même si celui-ci jongle avec les notes de bas de page très documentées. Difficile de s’attaquer à ce sujet sans quelques cartouches – chargées d’une ironie à souhait, on vous l’accorde – et sans dérégler une amitié de longue date. Et oui, il semble que tout ne soit pas durable… reste à savoir si tout se recycle.

"Un voisin durable, c’est un voisin qui trie ses déchets et me surveille pour que j’en fasse autant. Une amitié durable, c’est une amitié où l’on ne met pas en danger l’avenir de la planète, même en paroles. On évite d’aborder les sujets qui fâchent. On gobe le discours moralisateur avec le sourire. On accepte l’opportunisme marchand en ouvrant son portefeuille. On se garde de penser sans gourou, sans nounou. On se retient. Ce livre raconte comment je ne me suis pas retenu."

Chronique : une éco-fiction recyclable…

Iegor GRAN, L’Écologie en bas de chez moi, P.O.L, 2011, 192 pages, 15,50 €, ISBN : 978-2-8180-1334-2 ; rééd. Gallimard, coll. "Folio", n° 5446, automne 2012, 176 pages, 5,95 €, ISBN : 978-2-07-044797-8.

En littérature, on obtient souvent des résultats plus réalistes en maniant l’absurde ou le grotesque qu’en cherchant à "faire vrai". Je me sens plus proche de la commedia dell’arte que de Stanislavski (I. Gran, Les Temps Modernes, 2004).

Par bêtise et opportunisme, les voisins, le gouvernement, le commerce ont imposé leur psychose, et moi – même pas mal.
Une nouvelle religion, exigeante et jalouse, a obscurci le sens critique de mes contemporains – que voulez-vous que ça me fasse ?
Ils ont troqué leur liberté contre une posture morale – tant mieux pour eux, les ornières rendent la vie plus facile (L’Écologie en bas de chez moi, P.O.L, p. 177).

 

L’écolo Hulot et sa grotesque campagne présidentielle de 2007… Hulot-Raspoutine qui catastro-prophétise… le rigolo Hulot qui assure que "nous avons un très grand besoin des intellectuels"… Mais pour quoi faire, grand dieu ? donner dans le prêchi-prêcha écologique ? Vague BIO, déferlante HOME, Marée Verte… Durable campagne pour le développement durable, agir-responsable, tout-recyclage, tests d’écocitoyenneté, comment-sauver-la-planète-en-365-gestes, calculez-votre-empreinte-carbone…

Sauve qui peut !… Et quand on vous martèle quotidiennement : "Les gens, ils n’ont pas le sens des responsabilités"… alors, Iegor, t’es un blaireau ? – alors, branlebas de combat !

Sus à la nouvelle doxa, à cette nouvelle bien-pensance qui fait partie des "grandes friponneries intellectuelles" (64) ! Sus aux écolos de tous poils, y compris les éco-artistes, les éco-poètes et les éco-critiques littéraires ! Et pour ce faire, l’écrivain ne recule devant rien, et surtout pas devant le recours à un genre en vogue : "l’écrivain d’autofiction est un écrivain responsable. Il ne perd pas de temps à se documenter : il a tout sur place, au fond du nombril et dans son cul, il n’a qu’à se baisser pour cueillir l’inspiration. Il est autosuffisant, comme ceux qui se lavent à l’eau de pluie et font du compost pour faire pousser leurs radis, leurs courgettes" (140)… Et d’esquisser un autoportrait ironique : responsable, l’auteur d’autofiction recycle ses propres déchets "dans la poubelle blanche des éditions P.O.L" (141). Seule cette pratique coprophilique est susceptible de le prémunir contre la vindicte populaire : "Quand on pense à tous ces arbres que l’on a réduits en chair à pâté !" (155). Assurément, le mieux serait même de ne plus publier de livre.

On le voit, dans sa croisade contre le greenwashing, Iegor Gran ne se refuse aucune extravagance ; tous les coups et tous les moyens sont permis, de l’ironie à la satire, tant cette idéologie obscurantiste est pernicieuse – d’autant plus infernale que se présentant sous des traits angéliques : c’est fou "tout le mal que l’humanité est capable de s’infliger à elle-même avec de bonnes intentions" (73) ! En évitant d’être "grave comme un prix littéraire" (69), c’est-à-dire en dosant perspective comique et instruction savante du dossier (avec moult notes à l’appui, donc !), il fustige l’écolo-psychose qu’a enclenchée le discours apocalyptique de cette nouvelle secte ; débusque la mauvaise foi d’un adepte : "Sa bigoterie s’arrête là où commence son véritable confort, ses véritables habitudes" (47) ; dévoile la visée antihumaniste, voire totalitaire, de cette nouvelle religion régressive qui se développe sur un terreau inégalitaire (au déséquilibre Nord-Sud s’ajoute la différenciation sociale : l’écolo-attitude a un prix !) et qui, à sa façon, recycle l’utopie révolutionnaire tout en servant de masque au capitalisme ; décrypte le message du film Home (Yann-Artus Bertrand), qui cumule "poncifs écolo-guimauve", "paternalisme de char d’assaut" et négation de l’art : "L’homme souille la Nature et la culture est complice" (157) ; tourne en dérision des clima-primatologues qui s’accrochent à leur heure de gloire comme des singes à leur banane… De la satire au grotesque, il n’y a en effet qu’un pas : dire que les pets des termites, chameaux et zèbres dégagent plus de méthane que les activités humaines… l’épée de Damoclès n’est jamais où on l’attend !

Mais l’arme la plus terrible est ici le raisonnement par l’absurde (associé à la parodie) : "Pourriture de civilisation ! Qu’avez-vous fait du jardin d’Eden ?" (158). « Est-ce que le fait de rouler en voiture, de manger, de se reproduire, n’est pas déjà, quand on y pense, un "dommage à l’environnement" ? » (162). Tout compte fait, pourquoi partir en vacances au lieu de rester devant son poste de TV ? Et pourquoi vivre, vu les dégâts occasionnés au sacro-saint environnement ? "Un homme sympa, écologiquement responsable, est un homme mort. Le suicide, ce petit geste pour la planète !" (83)…

Quand l’humour par dramatisation débouche sur la provocation : "Les livres compromettent la survie des générations futures, et c’est pour ça que je les aime" (155), on applaudit. Mais quand le mot de la fin confine au moralisme tant décrié : "l’humanisme, c’est de voir en chaque être humain une richesse pour le monde et non une bouche à nourrir, un tube qui produit du CO2, un ver intestinal de la nature", on s’interroge sur la véritable dimension subversive d’un tel livre : la positivité, ça se recycle aussi, et facilement, non ?

 

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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