[Texte] Alexander Dickow, Premier souper, fragments de mondes (extrait)

[Texte] Alexander Dickow, Premier souper, fragments de mondes (extrait)

décembre 25, 2019
in Category: créations, UNE
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[Texte] Alexander Dickow, Premier souper, fragments de mondes (extrait)

Extrait du Premier Souper de Ronce Albène (1927 du calendrier aurède)

Où Dèze arrive au pays des Âmes et des Corps

 

Continuant notre route au jour subséquent, nous passâmes l’Île de l’Œil, où l’on ne croit qu’à ce qu’on peut voir de jour et clairement, et le pays de l’Ouïe, gros de rumeurs et de bruits. Nous n’en prîmes point connaissance, mais poursuivîmes. Cependant, des brouillards se haussèrent doucement qui nous confondaient bientôt le regard et déconcertèrent les navigations. Et nous choisîmes de nous échouer finalement sur un sol insoupçonné de personne. Alors, nous quittions le navire, et la brume fut si drue où nous tâtonnâmes, que le Sieur Lavant tourna en rond dans son voisin Pandon et tombaient dans un bataclan tout plein à bras et de jambes, et se remirent debout dans des jurons assez grands en couleur. Mais Dèze les écartait l’un à l’autre avec des rires, et rapporta le paisible des cœurs.

Nous arrivions face-à-face avec deux villes orientées l’une envers l’autre. Et les deux villes sont fortifiées extrêmement à force de pointes enfonçant beaucoup les remparts, fourmillant à meurtrières, avec des murailles comme des hanches de montagne. Nous prenions abri d’abord, car les villes échangèrent l’une dans l’autre des flèches ici et là. Une ville était toute neuve et brillante comme un miroir, et l’autre ville fut entachée d’une longue et douloureuse patine d’histoire. Finalement, des messagers des deux cités s’expédient devant notre bivouac l’un avant l’autre, et Dèze apprit quelle façon d’habitants demeurèrent dans ces cités neuve et ancienne.

Dans l’une, Dèze nous explique-t-il, vivait un peuple qui s’est certifié natif de ces terres, un aguerri et batailleur peuple aux corps robustes. Ceux avec qui ils haïssaient continuellement sont des âmes et des esprits venus d’au-delà des brumes imposantes de cette contrée, des habitants du monde nouménal qui envahissent les pauvres indigènes et se sont établis en la ville toute nouvelle et étincelante comme un miroir. Les esprits, disent ceux de la ville antique, ont naguère moissonné la chair animale et humaine avec des moyens plus sauvages imaginables, afin de s’être façonné des corps, et d’ainsi coloniser dans les terres du peuple d’ici avec abus et brutalités fougueusement.

Mais un messager des âmes vint ensuite nous démentir d’avec ce triste récit. La forme du messager nous épouvanta : il grouillait en griffues pattes et de pseudopodes gluants, et ses yeux regardèrent aussi grandement que des assiettes ; sur sa peau perlent et suent le sang et la sève, et il parla d’une voix cliquetante parcourue avec des grognements et dégoûtantes grinçures. Devant les cris, le messager nous a priés de ne pas faire confiance avec les apparences, et l’exquisité de la politesse du messager effroyable nous mit finalement dans l’aise tout malgré, et bientôt nous bavardons ensemble presque comme parmi de vieilles connaissances.

Pendant de longs équicycles, a conté notre visiteur, les corps – comme il nomme ceux de la ville vétuste, les aborigènes du pays – avaient obstinément rejeté et exclu et honni les choses de l’esprit, de sorte que pas la moindre idée ne puisse trouver aucun pied dehors le royaume nouménal, ni s’habiller en existence concrète ; emprisonnés et bannis par-delà la Brume, les âmes ont fini, comme il se devait d’arriver, par brusquer un passage au monde. Ne pouvant consister dépourvus en chair de par ce monde, et faisant à nécessité bonne figure, les âmes ont dû chaparder par-ci et là – oh ! sauf triste exception, toujours dans les animaux sans entendement – la chair qu’il leur fallut.

C’est alors que notre Pandon demandait un petit questionnement.

« Mais ces Corps, n’a-t-on point doté chacun d’eux d’une âme ? Avait-on à ce point chassé l’esprit hors de ce monde que les âmes ne pussent plus habiter le corps d’un enfant à sa conception ?

– Les miens croient fermement, commençait notre interlocuteur, qui se nomme Urqtàl, que les êtres de ce monde n’ont plus qu’une âme flétrie et rabougrie, réduite à presque rien. Les Corps eux-mêmes protestent désormais qu’ils n’ont aucune âme, car ils imputent aujourd’hui à la spiritualité tous les crimes et toutes les brutalités. Pourtant, nous nous efforçons de protéger ces pauvres créatures, car créatures elles restent, quand bien même la plus infime des lueurs idéelles les habite ; rien ne peut vivre entièrement sans idéalité. Au fond, nous ne souhaitons plus que les aider à s’élever enfin aux hauteurs de l’idée. S’ils n’étaient réfractaires à tout progrès, il n’y aurait plus aucun conflit entre nous.

Pourtant, les flèches continuèrent leur triste pluie parmi les deux cités. Le roi des Corps nous a reçu en sa ville qui se nomma Guèvres. Nous lui rapportions les dires du messager Urqtàl, mais avec chaque argument il contrait un autre où se montra, dit-il, la mauvaise foi des Âmes perfides.

« L’esprit n’illumine rien du monde concret, ni n’insuffle la vie aux êtres vivants ; cela est le premier et principal mensonge des âmes. Si nous avons cru jadis à la part spirituelle de l’homme, la malignité des âmes incarnées nous a démontré au contraire que l’âme n’habite que les êtres malfaisants. Ce discours de notre part négligeable de spiritualité, en outre, autorise à leurs yeux les atrocités qu’ils commettent, et les dispensent de nous traiter en égaux. L’idée qu’ils n’ont subtilisé que la chair des animaux est une absurdité, une exagération effrontée. Leurs charniers jonchent les pages de nos chroniques. C’est nous qui sommes victimes, d’une tentative de conquête incontestable et d’une lâcheté indicible.

Le roi fit une pause à son discours pour prononcer à ses généraux une nouvelle volée de flèches, à laquelle il ajouta une deuxième volée de flèches enflammées. Puis nous dit-il :

« Au demeurant, ce sont eux qui rendent la paix impossible : ces pustules ambulantes ont refusé chacune de nos propositions ! »

Puis, le roi de l’autre ville, qui n’eut pas encore de nom, nous accueille chaleureusement dans le sein de son palais en cours de construction. Vu la somptuosité de son bienvenu, nous nous sommes efforcés pour étouffer notre nausée en face avec cette créature de suppurantes boursouflures, qui déploya de poilues ailes noires, et dont la parole a ressemblé des sombres éructations et déglutitions molles. Quelle éloquence, pourtant !

« Il ne faut point succomber à la séduction de leurs boniments. Nous leur avons construit des routes, modifié le cours des eaux en leur faveur, fourni de nouvelles technologies. Nous avons dépensé de vastes ressources afin d’améliorer leur sort, mais ce peuple rétif s’obstine, et s’attache à une représentation injuste de la noble spiritualité. Ils ne souhaitent que nous noircir afin d’autoriser les atrocités qu’ils commettent, et pour les dispenser de nous traiter en égaux. Au demeurant, conclut le roi des Âmes, c’est impossible de négocier avec ces rustres brutaux, qui ont rejeté systématiquement les accords les plus raisonnables. »

Nous nous mîmes d’accord, en retour dans notre bivouac, qu’auparavant qu’ils ne puissent envoyer d’autres messagers ni nous entraîner à d’autres guet-apens de discours trompeurs et fautifs, que nous allons nous carapater et braver la brume pour notre navire, et quitter pour jamais cette contrée comblée de malédiction.

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rédaction

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