[Texte] André Rougier, Brève autopsie des secrets (extrait)

[Texte] André Rougier, Brève autopsie des secrets (extrait)

décembre 28, 2017
in Category: créations, UNE
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[Texte] André Rougier, Brève autopsie des secrets (extrait)

Voici un extrait d’un ensemble inédit qui se présente comme "roman-photo", Brève autopsie des secrets, par André Rougier. Lequel présente ainsi son projet : « Les “instantanés” faits de mots qui sont la trame de cet ouvrage (presque les mêmes, parfois, ou alors sévèrement disjoints), allant du plus grand format au fragment et mêlant paysages intérieurs, sensations, pensées, émerveillements, indignations, idées, sentiments, réflexions induites par des écrits d’Autrui, notations liée au quotidien, je les ai du coup voulues comme une remontée aux sources, en leur faisant suivre le strict ordre décroissant des années où elles furent conçues (la première date, en effet, de l’été 2016 et la pénultième de l’été 1965, l’ensemble s’achevant sur un “portfolio” réunissant, sans indication d’époque, des instantanés allant de 1976 à 2014). »

Lorsque la fin approche, il ne reste plus d’images du souvenir, ne restent que des mots
(Borges)

Le désert ayant défenestré ses ajoncs, l’écluse n’émancipant plus, sinon cette transhumance voûtée, crible blanc sur la route, la détonation hissant ses couleurs jusqu’au sommeil des langues, on nous dira encore que la violence est partout.
Allons, messieurs, du calme! Ce paysage n’est pas de fantaisie. La glaciation n’est pas une vue de l’esprit. Flèche ou enclume, le choix n’est pas si facile qu’on l’eût cru. Dilapidez, dilapidez, même de haut, même de loin, il en reste toujours quelque chose. Mais voilà, le cancer effrange du coup ses griffes, l’étau se cabre, l’esquisse de cercle brave ses derniers guetteurs, les marées disparates rendent encore plus insoutenable la marge…
Elle ne sert plus à rien, à RIEN vous dis-je, l’étrave repue, compagne d’hier, et posthume, puisque aujourd’hui frileusement se dérobe. Je ferai comme si vous m’aviez compris, lent dans la défaite comme à son épilogue, n’ayant désormais pas plus à dire qu’à faire, sachant
peu, mais fort, telle l’urgence de l’heure où mon sang, heures et entames désertées, se couchera joyeusement sous les sabots.
Au havre des pas amarrer l’habitude. L’avenir nous appartient. L’aiguille coule à pic. L’insurveillé flambe au carreau du soir. Séchez vos larmes, braves gens! L’extinction des feux se fera dans la dignité qui convient, le fracas est une denrée périssable, le scalpel jamais ne surgira d’entre les lignes.
Au réveil, il sera bel et bien midi.
(1970)

 

 

 

tu surgiras,
lisse,
moule renversé,
dérivation parfaite d’arbre.
tu t’en iras vite.
n’assouviras pas les villes,
ne dormiras pas dans la lumière béante,
n’enlaceras pas les fondations impensables.
je te connais.
plutôt que d’habiter
ta vie, tu te tairas,
même à l’écart
– dans la sobre exigence de l’envers.
(1970)

 

 

 

Je te revois, loin des fournées publiques, enfant des recels, masque repeint, régnant sur le creux et le sel de la place, sous la grande rumeur de fortune. C’est la camarde qui t’y rejoindra, je le sais. Mais pas sur la terrasse où tu t’élançais, affublé du versant inouï, au dernier son du tambour – comme du temps où tu t’embarrassais de l’apparence des noces.
(1970)

 

 

 

Les foudres blondes te coucheront en plein essor. Ainsi iras-tu, couvert de fardeaux paisibles, vers la plaine ouverte et la rade attentive, la blancheur prisonnière des sentiers divergents. L’heure renversée à dessein ne repoussera pas. Tu auras tout conquis – en pure perte.
(1970)

 

 

 

Peur des rives et des failles, peur du oui et du non, peur d’accomplir, de rester, de vider, peur de faiblir, de recueillir, de vouloir, peur de qui entoure et de qui rompt, peur de fixer, de conquérir, de mouvoir, peur de la présence et du recel, peur de dire, de retrouver, de te survivre…
Dans un coin, je le sais bien, tu perceras une toute petite fenêtre. Tu la voudras vide et sans rafales, inachevée. Fauteur de frontières, tu ne partageras plus rien, ni les charmes qui t’imposent leur présence, ni l’aube des étendues, la halte des chaumes, l’inapaisé des branchages, là où le lieu qui te désarme et t’offre à l’oubli se fait roc, faim qui t’efface, enfin débarrassée des griffes, des embrasures, des philtres du sourcier…
Tout sera tien, désormais: la capture qui trahit, le gué qui desserre, les tribus, les noms, les jusants, l’être immense qui t’enténèbre, ce qui suinte et accourt, l’égarement de l’Autre, l’embarrassé cortège du Même…
De l’affluent tardif, de ses exactes contumaces, pas un guetteur que ta mesure n’aiguise, puisqu’on ne se perd plus, puisque tout est à portée de vue – jusqu’à l’assentiment que ta place manquante me donne pour que je la pétrisse telle que tu vises à paraître…
(1969)

 

 

 

L’entassement me perpétue. J’ordonne les surfaces, renverse les noyaux. L’impatience croît, déjoue les nœuds, étouffe les voies, file vers ces mers sans clôture, que je sais vraies…
(1969)

 

 

 

La loi te disperse, nulle migration n’attise la paume, l’aveuglante. Les cicatrices s’épuisent en clairières, le dehors est sans fissure, la force seulement pressentie. Inhabité s’avance l’incendie, à l’aube étroite que dissout le sillage que nul n’a saisi ni guéri, pas même celui de si loin surgi dans la fête consommée, qui te sauva des veilleurs de l’imposture, des dépeupleurs chassés sur la même grève, oublieux du dédoublement qui fut…
Je t’imagine, aux nuques intactes du sommeil, reniant un à un tes visages. Je revois tes doigts effleurant les digues, la front des bâtisseurs, le flux déferlant aux embrasures, aux  hivers durables.
Puis d’autres aborderont le mouillage, le déclin des remous et des rives, l’écueil qui nous rassemble, qu’on entrevoit dans le reversement des gorges en friche.
Quand repartons-nous ?
(1969)

 

 

 

Il crut au sommeil, au jour sans contours, aux choses sans nom. Il crut à la dispersion en son centre. Il rêva du silence comme défi.
Fin de partie perdue, échange dessaisi, mais que sûrs comme jamais ils appelèrent chance, au-delà du balbutiement appesanti sur elle.
Non pas le jour distant, le jour compté, mais celui à l’aune duquel ils mesurèrent tes feintes.
(1969)

 

 

 

Ils t’ont repris, mains écarquillées fouillant le souterrain qui t’éloigne.
Là, inlassablement, ils tendent les répits, t’offrent l’air pour revers, figent l’herbe chaque jour plus vaste.

Celle qui cessera, et celle qui t’invente.
(1969)

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rédaction

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