[Chronique] Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de Villon), par Christophe Stolowicki

[Chronique] Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de Villon), par Christophe Stolowicki

décembre 13, 2018
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[Chronique] Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de Villon), par Christophe Stolowicki

Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de Villon), Lanskine, novembre 2018, 72 pages, 13 €, ISBN : 979-10-90491-71-7.

Une langue court, non la prétentaine non l’aubaine, non l’écorce mais l’aubier. Entre les mots de Villon je ne reconnais pas la voix de Villon tant une neige drue, à pénétrants flocons, l’a traduit en contemporain – tant un cours érudit sinueux, fourmillant, torrentiel arrêté, non sur image se ramifie, émarge aux lisières, de lectrice assidue, dissolue. Reconnaît-on la voix de Rimbaud dans ses lettres d’Abyssinie ?

Sa voix non, voix 1, voix 2, voies sur berge, « Un poète seul dans l’auberge ? », un mire a beau épandre son art sur la scène, l’art guérisseur de Celan, d’Apollinaire, de Rimbaud – Villon si fondateur qu’en lui tous nos poètes ont mêlé leurs échos. C’est en ce fluide dans l’alambic que Laure Gauthier (« Pas de flammes divines / Ni de vin métaphorique / Pour la grosse margot / Elle inspire les lais / Pas les divans ») distille son vin de lierre, recrachés les extraits de mandragore dont elle s’est fait la bouche. Œnologue de grands écrus, portée sur le livresque de l’ivresse.

Sans une onde de complaisance médiévale. À contre-langue Villon ne déteint pas mais diffuse.

Son cas ravage qui un siècle et demi après lui, également querelleur, de surdon fraternel fut coupé court à l’identique. La voix de Villon qui d’entre les répons émerge à présent et se déporte en d’intempestifs décalages et du gibet se rit – à force de « secouer le cocotier des préséances à coups de huitains » est celle de Laure la bien prénommée dont les corps qui se lient en ses lais s’élident « en place de grève » lente, dans « les rues de la ville » de son amour à qui chacun peut parler.

« Laisser bruisser le mouvement / entre / les mots » ; « distribuer ce qu’on n’a pas avant de perdre ce que l’on est / vider la phrase de son sang avant qu’ils ne l’attrapent ». Faussaire sororale piper le dé d’envoi à « Prince glaïeul aux ances roncies ». Traquer le diffus, dérober l’inaugural, délasser dans un théâtre de voix pensantes l’impensé parler premier. De celui qui de rondeaux et dictons nous a légué l’haleine mouiller le vin de fraises et pourpoints. Où sont les neiges d’antan bousculer la congère. Consigner en faits divers le fait d’hiver. Passer en boucle de boustrophédon le microsillon des ballades. Ne pas garder en bouche une motte, une note de terre. De ses blue notes ébarber le blues à la française. Au droit de la falaise prosaïser l’avers. Maîtresse d’œuvre de fluidité.

Il y a en Villon du masculin pluriel, pas une once de femina. Celui qui dans son bourdeau passe en revue tant Flora la belle Romaine appelant du pied Jeanne, la bonne Lorraine / Qu’Anglois brûlèrent à Rouen, que belle Gantière et gente Saucissière […] Ne que monnoie qu’on décrie provoque de tierce en quarteesquive et dérobade et retour en neige d’une poète du vingt-et-unième siècle en son premier quartier. Bravoure à Laure Gauthier d’avoir pris aux cheveux ce pendu déjà mûr dans sa Cythère natale ; de l’adapter en traductrice virtuose dans la langue de la maison d’en face, pour que la neige passe entre les mots.

« Ne pas interpréter la sueur du vers […] Ne pas recueillir l’exsudation des strophes comme du miel. Non, plutôt chercher la neige avant la neige, lorsqu’elle se condense encore dans le nuage, encore hybride entre eau et vapeur ». Acquiescer aux « coups de rame grammaticaux qui donnent autant de coups de pied dans la fourmilière de l’usage. » Suivre « dans la dernière ballade du Testament […] Villon [rimant avec] souillon, tourbillon, pavillon ou encore haillon » : celui de toutes les déjections, « strophes baignant dans la salive, la merde et les larmes », qui du « nom du père adoptif […] colmata les brèches d’absence pour permettre à François d’aller dans l’onde et trouver ses mots à contrecourant » ; celui, joutant de son patronyme d’emprunt, qui de l’atrocité des Coquillards, de « tout le commun [de la fosse commune] fait du propre, pour l’encrer dans l’histoire des lettres ». L’entendre, « coupant les cordes des guitares arrachées aux ménestrels faire résonner la caisse de bois de l’instrument pour en sortir un son inouï », Elvin Jones à sa forge de vulcanisé ; ou « mettre ses images en branle en ôtant au dicton le “on”, coller le je, et faire crisser l’ensemble » ; « en ces chutes de strophes qui sont autant d’anti-rondeaux », « à pas de côté dans les flaques de la langue ».

Admirer Laure critique déneigeant, ramassant à la grande cuiller ce qu’à la louche, poète floconneuse elle a semé de blanc. Sa chronique se déboîtant en poème, emportée par l’influx.

Je connais tout, moi excepté. Mais. Tant crie-t-on Noël qu’il vient.

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rédaction

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