[Chronique-Revue] La Revue Internationale des Livres et des Idées, n° 9

[Chronique-Revue] La Revue Internationale des Livres et des Idées, n° 9

février 25, 2009
in Category: chroniques, UNE
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La Revue Internationale des Livres et des Idées, n°9, ISSN :1959-6758, 5 €.

Comment présenter, sans la trahir, cette revue hors-norme dans le paysage éditorial français. Revue hors norme, tant dans son projet que dans son résultat éditorial.

1/ Le projet : Le projet est celui, comme le rappelle l’éditorial qui revient sur plus d’un an de publication, de transmettre des œuvres non pas selon une forme de chroniques rapides, comme d’ailleurs nous le faisons régulièrement ici, mais selon une approche réflexive réelle, qui se donne le temps de l’analyse, de la mise en relation des textes, de la mise en question de ce qui est dit dans les livres. La RILI concerne surtout les textes de sciences humaines, aussi bien philosophiques, qu’anthropologiques ou sociologiques. C’est ainsi que les articles qui la constituent ne sont pas de petites notules, mais peuvent parfois dépasser les 25 000 caractères, et que leur angle n’est pas celui de la brosse à reluire, mais consiste tout au contraire à saisir les enjeux philosophiques qui sont développés dans les publications choisies. Dès lors, il ne faut pas lire les articles de la RILI comme des comptes rendus, mais bien comme des articles de réflexion qui, s’appuyant sur des pensées actuelles, tentent aussi bien de les synthétiser que de les poursuivre ou bien encore de les questionner.

C’est ainsi que si nous prenons pour exemple le premier article, celui d’Yves Citton, sa réflexion sur La passion des catastrophes se déroule sur cinq pages Tabloïd, et croise non pas seulement un livre, mais cinq essais publiés en 2008, concernant la catastrophe (Anne-Marie Mercier Faivre et Chantal Thomas, L’invention de la catastrophe au XVIIème siècle. Du châtiment divin au désestre naturel ; René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophismes. Administration du désastre et soumission durable ; Frédéric Neyrat, Biopolitique des castastrophes ; Christopher L. Miller, The French Atlantic Triangle. Literature and Culture of the Slave Trade ; François Walter, Catastrophes. Une histoire culturelle XVIème – XXIème siècle). Cet article, se nourrissant des livres qu’il aborde, démêle les enjeux de la catastrophe comme modalité intentionnelle dominante dans une société post-11 septembre. En ce sens loin, de n’en rester qu’à la répétition, ou la transmission des idées, il les interroge, afin de constituer sa propre pensée, qui trouve – in fine – sa forme dans une conclusion en trois temps : a/ "l’horizon de la catastrophe peut rester un instrument utile pour faire sauter le verrou gestionnaire dont s’aveuglent les apothicaires de la croissance"; b/ "il convient" cependant " de se méfier de la biopolitique des catastrophes" au sens où elle pourrait aboutir à un pouvoir liberticide ne faisant qu’accroître l’anxiété générale, paralysant tout rapport d’ouverture au futur ; c/ de sorte qu’il faut changer notre rapport d’habitation du monde, ne plus penser d’une manière anthropocentrique, mais bien se resituer dans une "approche relationnelle", de coexistence réciproque avec la nature, en tant que nous serions tous dans une "inextricable communauté d’affection".

Chaque article de la RILI fonctionne ainsi selon cette ouverture de la pensée, et de là montre que lire n’est pas seulement recevoir et apprendre, mais bien penser. Il n’y a pas de lecture sans reflexion, sans une ouverture critique. Trop souvent malheureusement, que cela soit des chroniqueurs, ou pire les éditeurs ou écrivains, est attendue seulement une réception passive, attestant selon leur propre logique et leur propre construction de soi, de ce qui a été publié. Nous en savons ici quelque chose. La RILi déborde totalement ce cadre, en tant que chaque article nous ouvre à une réflexion poussée, et dès lors invite à se saisir des livres mentionnés selon une approche critique.

2/ Le travail éditorial : ce qu’a entrepris la RILI est une ouverture des champs. Il suffit de lire le sommaire de ce dernier numéro pour s’en rendre compte. Ainsi, si pour une part les articles se concentrent sur les publications d’essais concernant le politique, la sociologie, l’anthropologie, etc, reste que bien d’autres champs apparaissent.

Il suffit par exemple de voir les articles qui concernent la littérature ou les arts : Marielle Macé à propos de La République mondiale des Lettres de Pascale Casanova, Dork Zabunyan à propos de Design & Crime de Hal Foster et du Spectateur émancipé de Jacques Rancière ou encore l’article de de Grégory Salle sur Chroniques carcérales de Jann-Marc Rouillan. Ces articles, s’ils se concentrent sur des oeuvres appartenant à la littérature ou à l’esthétique, toutefois montrent par leur acuiité, en quel sens les enjeux ne sont pas propres seulement à ces domaines mais entrent bien évidemment en écho avec d’autres champs.

La RILI ainsi ouvre l’horizon des champs abordés, car ce qui la dirige n’est pas une spécialisation dans un domaine, mais bien plus de saisir, quel que soit le domaine, là où une réflexion se constitue avec pertinence. Et, il est vrai que dans cette ère, où le discours dominant est à la trivialité du critère quantitatif de la productivité (il n’y a qu’à voir le dogme de la grille d’évaluation et du résultat de notre gouvernement), aussi bien la littérature que l’esthétique amènent à réfléchir sur d’autres formes de rapport au monde et aux êtres.

C’est dans ce cadre là, que la RILI a tissé un partenariat avec sitaudis, le site de Pierre Lepillouër. Dans chaque numéro, des textes poétiques sont publiés. Dans ce dernier, nous pouvons lire un texte de Jean-Claude Pinson et un autre de Guillaume Fayard. Cette percée est intéressante, car elle ne vient pas comme supplément, mais vient participer de la logique générale de la RILI. Si la RILI défend une forme de liberté de la pensée, ce n’est pas pour seulement se concentrer sur la seule rationalité critique, mais c’est aussi pour s’ouvrir aux autres formes possibles de pensée : par exemple la littérature.

De même l’iconographie entre dans une même perspective d’ouverture. Les images ou photographie dans la RILI ne sont pas illustratives, mais bien des créations originales de dessinateurs, ou bien de photographes. Dans ce dernier numéro, il s’agit des photographies du Comité un-visible. Photographies d’espaces urbains, où des silhouettes, des corps, s’esquissent dans leur épuisement, dans une forme d’anesthésie du lieu, d’inhabitation généralisée. Le lieu urbain donné à voir comme lieu qui rend KO, qui court-circuite la vie, lui imposant un épuisement à la mesure de sa démesure de réseaux et d’artères. Toutes ces photographies qui se succèdent dans le numéro donnent une unité esthétique et thématique beaucoup plus forte que la logique d’illustration des articles.

La RILI apparaît donc comme un des lieux importants pour l’approche critique des publications. Paraissant tous les deux mois, nous ne pouvons qu’inviter à s’y abonner, son prix étant en plus très abordable.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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