[Livre-news] IL PARTICOLARE, n° 21 & 22 :

[Livre-news] IL PARTICOLARE, n° 21 & 22 : « Cahier Prigent »

juin 24, 2010
in Category: News, UNE
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IL PARTICOLARE, n° 21 & 22 : "Cahier Prigent", été 2010, 256 pages, 22 €. [Commander le numéro : Revue Il particolare, 21 parc Beauvallon-Forêt 13009 Marseille ; ilparticolare@club-internet.fr ; 06.18.43.30.60]

S’agissant d’une œuvre en cours, la critique se doit encore plus de la réactualiser, d’en déplacer les lignes de force, d’en modifier la réception au fil de son évolution… Tel est l’objectif de ce deuxième "Cahier Prigent" que propose la revue (à commander dès à présent, car sa parution est prévue pour la troisième semaine de juillet).
Après en avoir découvert le sommaire, on pourra lire la présentation de mon article, "Prigent/Guilloux : un dialogue carnavalesque".

SOMMAIRE du Cahier PRIGENT

* Hervé Castanet, "Chairs/phallus"
* Christian Prigent, "Le Monde moderne (poèmes de circonstance)"
* "Une prothèse de tonicité (entretien de Christian Prigent avec Roger-Michel Allemand)"
* Alain Farah, "Tristes nouvelles de Montréal stop Le temps est gelé stop Envoyez des renforts"
* Samuel Lequette, "Nous-je. Les essais de Christian Prigent"
* Sophie Simon, « Éthique d’un "ôteur" »
* Pascal Commère, "Gallo ? Galop ! (Prigent, une prose jockey)"
* Agnès Disson, "Sur Demain je meurs : Christian Prigent et le cheval noir de la prose"
* Alain Frontier, "Un livre sur la cruauté (lettre à Christian Prigent)" / Réponse de Christian Prigent
* Muriel Pic, "Demain je meurs : l’art de la leçon selon Christian Prigent"
* Fabrice Thumerel, "Prigent/Guilloux : un dialogue carnavalesque"
* Bénédicte Gorrillot, "Sur les 104 slogans de Prigent"
* Jean-Pierre Bobillot, "À propos du Naufrage du litanic"
* Stéphane Bérard, "Foutre sa vie en l’air"
Bibliographie. Images : Charles Pennequin, Jean-Luc Poivret, Christian Prigent.

Présentation de Fabrice Thumerel, "Prigent/Guilloux : un dialogue carnavalesque"

En 1942, Louis Guilloux (1899-1980) est récompensé par le Prix populiste pour Le Pain des rêves.
En 2007, Christian Prigent (1945) se voit attribuer le Prix Louis Guilloux pour Demain je meurs (DJM, P.O.L).
La boucle semble bouclée.
Retour aux origines… (Aveu : "l’enraciné sucera ta moelle par régurgité de goût du clapier où t’es apparu, tout nu" – DJM, p. 170).

Louis Guilloux : "romancier du peuple, régional de l’étape et ami personnel de mon père" (Christian Prigent, quatre temps, p. 26) − un père qui, dans son anthologie commentée, rend hommage à l’écrivain "à la fois local et universel", « rêveur et ″réaliste″ à la fois » (Louis Guilloux, Presses Universitaire de Bretagne, 1971, 4e de couverture). Dans Grand-mère Quéquette (P.O.L, 2003), la figure paternelle est déjà associée à ce "Louis Guilloux en service de plume dans le camp des humbles" (p. 286) : Madame Boblet n’en revient pas, qui attend l’Édouard "pour bout de causette près des mappemondes sur le mal foutu de la société et du commentaire sous ronds de tabac quant à la misère du populaire et saloperies de justice de classe avec prise de bec sur l’URSS" ? "c’est Louis Guilloux qui fait à Paris du beurre en volume avec le sang noir de nos histoires et pain de nos rêves et Cocos perdus dans nos périmètres et qu’a bien connu le fils de Camus (Albert) qu’était gars (le père) du coin d’à côté et dort son sommeil en notre cimetière" (p. 278-279). Édouard et Louis, "amis dans le souvenir de leurs origines" (DJM, 175), tous deux issus d’un milieu modeste (d’une famille de sabotiers pour l’un, de cordonniers pour l’autre).

 

Et Prigent fils reçoit ce Prix Louis Guilloux à Saint-Brieuc même… Saint-Brieuc-les-choux, leur ville natale, que son illustre prédécesseur évoque dans l’ensemble de son œuvre, et en particulier dans Le Sang noir (1935), "le chef-d’œuvre du romancier" dont "l’action tient en un jour et une nuit de 1917 à Saint-Brieuc" (Louis Guilloux, p. 9). Dixit prof papa, l’intello et maire coco du chef-lieu départemental. Louis Guilloux, c’est donc "gloire locale, et vive la sociale : d’une pierre deux coups. Ou trois" (DJM, 169), avec ce chef-d’œuvre que le père prescrit à son fils mécréant. Celui qui a fréquenté le même lycée que Louis Guilloux et Georges Palante, modèle de Cripure, suivra-t-il sa voie toute tracée ? La voix-du-Père : il lui faut élever sa conscience (de classe) en lisant les "Maîtres de Joie", c’est-à-dire "ceux qui écrivent pour que la joie soit et l’avenir rose", à savoir plus précisément encore, "Barbusse, Guilloux, André Stil" (p. 182-83). S’ensuit un joyeux jeu de massacre, l’auteur de Demain je meurs retranscrivant de façon carnavalesque les ukases du pater libris (hybris ?), litanie construite avec des matériaux d’emprunt (formules extraites des textes critiques publiés par les auteurs orthodoxes, Bloch, Kanapa,… ou Edouard Prigent lui-même, dont les chroniques paraissaient dans Ouest-Matin). Rimbaud : "Nihiliste obscur ! Dépravation cérébrale. Humeur colérique et rage d’impuissance. Dernier petit pet d’une culture morte." Kafka : "Nul en politique ! Morbide ! Décadent !" Proust : "Raffinages de merdes !" Beckett : "Absurde, nausée, néant ! Suicide déespérance ! Désagrégation de l’intelligence !" Sartre : "Hyène dactylographe ! Mauvaise foi, mains sales ! Vois dans Garaudy : Sartre ? Un faux prophète !" Miller : "c’est de la pâtée envoyée aux peuples par l’impérialisme pour les abrutir !" Genet : "Le pickpocket pédéraste ?" Stein : "C’est de la baratte d’expérimental : chichis de nombril et déliquescence !" Breton : "Dandysme intellectuel ! Rêveur à nacelles !" Céline : "Collabo et anar haineux !" (pp. 186-189)… La verve bouffonne avec laquelle le fils prodigue contrefait la paternelle "leçon texto verbatim de littérature" (p. 189) montre clairement que c’est vers ces auteurs maudits qu’il va mettre le cap.

Péché conforté parce que confirmé deux ans après la parution de Demain je meurs : "j’ai fini par préférer, au contraire de mon père, Ponge et Artaud à Éluard ou à Supervielle, Joyce à Louis Guilloux, des poètes obscènes et abscons à des conteurs modestes" (Christian Prigent, quatre temps, p. 27). La boucle demeure ouverte. C’est justement de cette béance qu’il nous faudra rendre compte.

Recevant le prix Louis Guilloux, Christian Prigent ne peut s’empêcher de se sentir mal à l’aise : après avoir confié son émotion à Bénédicte Gorrillot, il fait part de son embarras, dû selon lui au danger lié à tout prix littéraire, dont le poids symbolique tend à enfermer celui-qui-écrit dans le rôle social de l’écrivain… La raison implicite est d’un autre ordre : l’impétrant veut d’autant moins "faire l’écrivain" que l’écrivain auquel ce prix l’associe a été classé parmi les populistes, puis les réalistes socialistes… D’où une véritable inquiétude : et si l’"horrible trouvailleur" (Le Pillouër) s’était laissé aller à faire son Guilloux ? et si l’illisible fondateur de TXT était tombé dans la lisibilité ? En témoignent ces lignes extraites du même volume d’entretiens : "Bien des pages de Demain je meurs frôlent un expressionnisme apitoyé, disent assez frontalement des chagrins, des gâchis. […] la phrase (mimétique) domine parfois le phrasé (la ″poéticité″)." Cependant, s’il reconnaît avoir fait son Zola (Jarry), il s’empresse d’ajouter que la langue carnavalesque "impose quand même sa capacité à former l’expérience" : "Demain je meurs poursuit formellement le projet initié vers 1986 de construire de la prose narrative à partir d’un outillage a priori plutôt poétique (prosodie métrée, enchaînement écholalique, polysémie étoilée, phrasé rythmique mis en tension avec la phrase syntaxique)" (Christian Prigent, quatre temps, p. 113-114 et 245-246).

C’est de cet entre-deux qu’il va s’agir : de cette tension entre figuration et dé-figuration, consubstantielle à un projet de validation/réévaluation/liquidation de l’héritage paternel. (Autrement dit, pour l’écrivain, tout l’enjeu est de le transcender − au sens de aufheben −, c’est-à-dire de l’intégrer pour mieux le dépasser). Ainsi, entre les deux pierres tombales où s’inscrit le texte, dans le même temps sera rendu hommage à celui qui n’est pas nommé Édouard, mais significativement "Aimé", et sera ajoutée une pierre à l’édifice de l’œuvre.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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2 comments

  1. Bruno Fern

    A lire tout particulièrement, en effet – et, parution à ne pas manquer non plus, je signale celle du premier livre de Philippe Boutibonnes (encore un ex-TXT), justement dédié à C. Prigent, « Le beau monde », aux éditions Nous.

  2. Fabrice Thumerel (author)

    Merci, cher Bruno, et, oui, il nous faut dès que possible découvrir « le beau monde » de Philippe Boutibonnes – que l’on retrouve également dans le dernier numéro de FUSÉES, juste après ta propre contribution.

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