[revue] Il Particolare 12-13-14

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décembre 3, 2006
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Il Particolare, Art, Littérature et critique, n°12-13-14, 303 p., 31 €. ISBN- 2-87-720266-6
ilparticolare118.jpg Ce dernier numéro, qui en réunit 3, a surtout le mérite de présenter Arno Schmidt, qui s’il est indéniablement connu, voire mythique au niveau de la poésie contemporaine, n’en reste pas moins peu lu, peu découvert. En témoigne d’emblée la présentation de Marjorie Carveribère et de Jean-Pierre Cometti : « Arno Schmidt est au nombre des écrivains dont le succès d’estime dépasse de beaucoup le nombre de ses lecteurs. […] Le nombre extrêmement restreint de textes ou d’ouvrages critiques consacrés à Schmidt, en particulier en France, en dit long sur les réticences que ses livres ont suscitées et sur la nature des certitudes qui nous servent aisément de viatique ». Le cahier interne qui lui est consacré permet ainsi d’ouvrir le lecteur à une oeuvre que chaque intervenant présente comme celle d’une exigence absolue, de l’opération de calculs singulier de et dans l’écriture.

Ce dossier se compose à la fois d’un texte d’Arno Schmidt, d’une bibliographie sommaire et de textes d’analyse ou de présentation de Eric Chevillard, Marjorie Caveribère, d’Eric Bullot, de Stéphane Zékian, de Pierre Senges ou de Thomas Keller.
Pour saisir l’enjeu littéraire dans lequel nous situe l’écriture schmidtienne, d’emblée il faut en exposer la particularité : Arno Schmidt pose l’écriture dans le jeu turbulent d’une conscience qui comme prisme diffracte par sa perception le donné continu perceptuel pour produire des fragments tout à la fois discontinus et qui pourtant se suivent dans la forme d’un continuum où l’hétérogénéité domine, où l’accidentalité phénoméno-linguistique brise toute linéarité. « Une succession d’instantanés scintillants en vrac » écrit Schmidt, que Erik Bullot définit en tant que mode « d’écriture discontinu, proche de notre perception, excessivement poreuse, qui ne retient que les aspérités de l’expérience ». L’écriture de Schmidt est indéniablement phénoménologique au sens strict du terme : expérience du donné dans l’axe de composition/décomposition, fragmentation/dialation spécifique à la donnée littéraire. S’il y a grossissement du donné, c’est par le speculum spécifique de la conscience qui agit en tant qu’appareil optique. La vue ne tire pas sa consistance d’abord et avant tout de l’extérieur, mais se tient dans l’entrelacs de la masse inchoative du donné indicible et de la perception-langage qui décompose l’unité en présence dans le dicible de la représentation. Travail de loupe donc. « Une loupe grossissante comme celle-là, voilà ce qu’il me faudrait, voilà ce qu’il me faudrait : 15 centimètres de diamètre. » (Scènes de la vie d’un faune, p.163). Ce travail spécifique de l’écriture tel que l’explique très bien Marjorie Carveribière tient à un calcul libre de l’appareil de perception de Schmidt : « La liberté de Schmidt va jusqu’à séparer des possibilités sémantiques minimales au sein du même mot. En le divisant, il multiplie ses possibilités d’interférences puisque c’est autant cette unité sémantique qui est invoquée que les parties qui la composent ». Travail d’hyper-littéralité, où le jeu n’est pas seulement dans la composition entre des unités sémiotiques, mais dans la prolifération qui peut résulter de l’opération d’écriture qui introduit une nouvelle indicialité de relations au niveau syntagmatique.

Ce travail de langue, toutefois ne se boucle pas sur lui-même, mais s’ouvre dans des récits. Thomas Keller l’explique parfaitement en revenant sur « Paysage lacustre avec Pocahontas » publié en 1955 dans la revue Texte und Zeichen. Derrière une histoire simple, celle d’un amour d’été, celui de Joachim Bomann et de Selma Wientge, Arno Schmidt, en fait, développe non seulement une critique de l’Allemagne et des conventions qui règlent les rapports humains, mais en plus inverse les déterminations onto-théologiques de la religion, pour libérer la relation sexuelle entre ses deux protagonistes. Tel que Thomas Keller l’explique, en décrivant l’acte de baptême opéré par Bomann : il « ne transforme pas l’indien en chrétien, c’est l’inverse qui se produit : il libère du pêché originel les amants qui peuvent se donner au plaisir et à la jouissance ». L’écriture de Schmidt ne s’enferme alors dans aucun formalisme, mais il libère l’opération linguistique dans des possibilités non seulement narratives mais aussi critiques. Scruter par la langue, c’est aussi déconstruire tout un ordre de liaisons et de relations établies par la langue aplanie, celle de la carte qui est seulement vu macroscopiquement. La cartographie ouverte par Arno Schmidt est en ce sens un acte opératoire des liaisons préétablies, acte opératoire qui met au jour des ordres déterminants qu’il fait voler en éclat.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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