[Revue] Tumultes, n° 36 :

[Revue] Tumultes, n° 36 : « Écritures de soi entre les mondes. Décrypter la domination »

novembre 5, 2011
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Tumultes, éditions Kimé, n° 36 : "Écritures de soi entre les mondes. Décrypter la domination", sous la direction de Martine Leibovici, printemps 2011, 232 pages, 20 €, ISBN : 978-2-84174-556-2.

"Je dis que ceux qui condamnent les tumultes de la noblesse et de la plèbe blâment ce qui fut la cause première de l’existence de la liberté romaine et qu’ils sont plus attentifs au bruit et aux cris qu’ils occasionnaient qu’aux bons effets qu’ils produisaient" (Machiavel).

Suite à la parution du 36e numéro, quelques responsables et contributeurs de ces Cahiers du Centre de Sociologie des Pratiques et des Représentations Politiques (Université Paris Diderot – Paris VII) – fondés il y a une vingtaine d’années déjà – ont participé le dimanche 16 octobre au 21e Salon de la revue à Paris. Au sommaire de cette livraison quadripartite : en ouverture, Patrick Hochart ("Tout dire ? La parrèsia de Rousseau") et Martine Hovanessian (Michel Leiris : écrire les formes de l’asservissement") ; pour "décrypter la domination", Annick Madec ("Écriture autobiographique et concision démocratique"), Fabrice Thumerel ("Retour à / retour sur… Sociogenèse d’un paradigme heuristique. Retour à Reims de Didier Éribon) et Martine Leibovici ("Le Verstehen narratif du transfuge. Incursions chez Richard Wright, Albert Memmi et Assia Djebar") ; la deuxième partie, "L’Écriture de soi comme retour au monde", réunit Isabelle Lacoue-Labarthe ("Lettres et journaux de femmes. Entre écriture contrainte et affirmation de soi"), Jean-François Laé ("Écrire ses rêves, une conversion biographique ?"), Valérie Gérard ("Expérience vécue, expérience écrite. Sur l’écriture d’Imre Kertész") et Leonor Arfurch ("Autobiographie et mémoires traumatiques") ; enfin, dans la dernière partie intitulée "De nouvelles formes de savoir", Catherine Coquio (« Un "trimardeur" au sana de 1907. Mécislas Goldberg, science de demain et science du mourant") et Sonia Dayan-Herzbrun ("Un défit au jargon de l’authenticité. L’écriture de soi dans la pensée politique post-coloniale").

De Jean-Jacques Rousseau à Didier Éribon, en passant par Marie Bashkirtseff, Michel Leiris, Richard Wright, Albert Memmi, Pierre Bourdieu, Imre Kertész, Annie Ernaux ou Assia Djebar, quelle est la spécificité de cet acte qui consiste à écrire sur soi dans des situations de marginalisation et d’oppression (raciale, coloniale, sociale ou sexuelle) ? Comment se dire ? Pourquoi se dire, pourquoi écrire ? (Annick Madec)… Dans quelle mesure peut-il y avoir transgression ou reproduction de la culture dominante ? Ces interrogations sont soulevées dans un contexte de "subjectivisme souvent excessif" : « Depuis quelque temps, les récits de soi envahissent le vaste espace de l’horizon culturel contemporain d’une façon tout à fait nouvelle. Biographies, autobiographies, autofictions, journaux, témoignages, correspondances, interviews, écritures, images, installations, films, blogs, chats, blogs photos… Dans le torrent de la discursivité sociale, on serait bien en peine d’énumérer les genres, les formats et les supports qui recueillent cette figure fuyante, que le vocabulaire ne désigne que provisoirement – et souvent de façon trompeuse. Visages, voix, corps prennent en charge les mots, en assument la paternité, réaffirment des positions d’agencement ou d’autorité, dévoilent des émotions, témoignent d’un "avoir vécu" ou d’un "avoir vu", signent une "politique d’identité". Concert ou cacophonie de voix peuplant toutes sortes de discours d’aperçus biographiques et transgressant les limites – jamais nettes – entre public et privé » (Leonor Arfuch, p. 163-164). Pour sa part, Martine Leibovici nous livre d’emblée la ligne interprétative qui structure le volume : "L’hypothèse de départ est que, pour des auteur(e)s placé(e)s par l’histoire ou la société dans ce genre de situation, l’écriture de soi procure malgré toutes ses limites des ressources incomparables d’expression, d’émancipation mais aussi de compréhension" (p. 7).

S’impose tout d’abord la diversité des formes : auto(socio)biographies, fragments autobiographiques insérés dans des livres théoriques, journaux intimes, lettres-pétitions, récits d’étudiants en sociologie… Lesquels n’ont pas le même rapport à la culture dominante que certains déclassés par le haut : si "Éribon garde comme lignes d’horizon la culture légitime et le souci de passer pour un bourgeois de naissance", en revanche, "Élise, fille d’une femme de ménage et d’un électeur FN", elle, "ne rêve pas de rejoindre ce monde intellectuel qu’Éribon dépeint pourtant comme peu cordial", réduite à "se bricoler une identité sociale estimable" et à oublier "l’ethnocentrisme et le dominocentrisme des sciences sociales franciliennes" (Annick Madec, p. 73).

Traversées par divers affects (honte, ridicule, mépris), ces écritures de soi ressortissent souvent à des formes de l’entre-deux qui brouillent les frontières entre subjectivité et objectivité, littérature et non-littérature, littérature et sociologie, individuel et collectif, public et privé… Preuve – s’il en était besoin – que cet entre-deux est dynamique, la multiplicité des stratégies scripturales : Rousseau ne vise pas tant la totale transparence que l’indisable, pour reprendre un concept sartrien (non seulement tout dire est impossible, mais non souhaitable – la littérature moderne se définissant avant tout par le manque) ; Michel Leiris est en quête d’une vérité oblique ; Didier Éribon met en place une sociogenèse critique du minoritaire…

En définitive, se dégage de cet ensemble stimulant la double fonction des écritures de soi, critique et libératrice, voire thérapeutique : si le retour à soi est tout aussi impossible que la vérité et l’authenticité, il n’en demeure pas moins vrai que le retour sur soi peut conduire à la compréhension, voire l’acceptation de soi.

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rédaction

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2 comments

  1. Fabrice Thumerel

    Entendu Isabelle : cela fait partie de nos échanges inter-blogs.
    Amitiés, Fabrice

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