[Chronique] Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

[Chronique] Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

mars 16, 2021
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[Chronique] Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui, La tête à l’envers, peinture de couverture de Jérôme Pergolesi, 2021, 84 pages, 16 €, ISBN : 979-10-92858-42-6.

 

« Nous sommes en bonne santé et espérons que vous de même. » « Venez demain, ce sera dimanche. » « Nous profitons qu’il ne fait pas bon travailler pour te donner de nos nouvelles, car ce n’est pas le travail qui manque. » « Vous êtes gentils quand vous m’écrivez une carte ». « C’est tout pour aujourd’hui. » Quelques lignes qui sont les pauses, les respirations d’un dur labeur. Un « je pense à toi, je t’aime ».

De ces lettres et cartes postales de sa famille trouvées dans un carton à chaussures, datées du siècle dernier surtout à ses débuts, écrites par ceux qu’avec la longévité présente elle eût pu côtoyer dans ses premières années, Cécile Guivarch s’est imprégnée longuement. « Je descends les années comme j’irais au jardin. » « Je viens le cœur battant à petits coups. »  On la lit volontiers comme du bon pain, farineux, celui de deux livres des temps durs où tout était bio. Apaisante sur le long cours. Tout un passé d’aimance substantielle amassée, patient de temps retourné comme la terre, et les années, rejaillit ici avec une simplicité trompeuse. Élémentaire de grande culture, cette culture de soi, ce travail de mémoire accompli depuis quinze ans que sont publiés ses recueils, ses ouvrages, la poésie épurée non à l’os mais aux larmes d’émotion.

C’est tout pour aujourd’hui : tout vrai poème, épuisée sa matière, coupe court, précipite sa fin. La parole se retire dès que l’aimance a tout dit, l’écriture n’élève pas la voix.

C’est tout pour aujourd’hui : l’hui bien rempli, de ce trop plein de la vieille carte postale, de la lettre jaunie, l’hui qui ouvre sur du passé à tour de bras, des bras de fille femme, ceux de la grande affection.

Dans un sizain « étable » appelle « lard » appelle « hâte », et décalé d’un saut dans le monostiche final, finit en « marge ». La rime aussi pauvre que les ancêtres paysans, paronomase d’assonance par défaut. D’art pauvre, de grand travail, de grand repos.

Elliptique dans le ravalé : « Les mains [croisées, on imagine] au coin du feu » ; « un ciel où pleuvoir ne retire rien » ; « la vie au travail, à la sueur ».

« Peut-être vais-je vous réveiller si je fais le bruit qu’il faut. / Me rejoindre, respirer de nouveau, invisibles mais bien là » : de syntaxe affective comme la ponctuation peut l’être, une syntaxe qui abrège toute distance entre les générations et les personnes, tout en raccourcis de grand fond qui coupent par la brèche, dans l’abandon de toute préséance grammaticale.

Ainsi que banal, au sens d’indifférencié, nous vient de ban, la proclamation seigneuriale, ces lettres simples ont un pouvoir d’évocation qui résume ici un siècle. La respiration de ces poèmes les épure comme on ne le lit chez aucun. En regard, Le Petit Prince de Saint-Exupéry est sophistiqué.

C’est tout pour aujourd’hui, ou l’envers aimanté de la recherche : priorité donnée à l’affectif sur l’intellect, mais un affectif si vaste qu’il accueille tout l’intellect ; l’écriture en vers qui sont des phrases construites au plus direct, de grand souffle égal, quand la longue phrase proustienne prend rhizome dans un souffle d’asthmatique retenu en gageure.

Ancêtres paysans – si le nom est breton, on sait par d’autres livres de Cécile Guivarch (Vous êtes mes aïeux, 2014, Renée, en elle, 2015) que les ascendants ont voyagé. Mais sur le cours du vingtième siècle, l’évolution est sensible. « Ils recevaient des lettres et surtout leur silence » – un « tout va bien » de détenu d’un camp de la dernière guerre. À un grand chasseur, « Vos foulées dans les bois […] / les ardeurs affairées » : en deux vers résumés plusieurs chapitres de Pagnol d’un âge gras du passé. « Se reposer, écrire à votre mari, des consignes pour la bonne », l’ascenseur social intervenu. « Vu une circonstance particulière, je ne pouvais pas me baigner », authentifiant une pudeur. « Les yeux brillaient vers le même mouvement de cœur / sans mesurer la quantité de bleu de vent de soleil » – d’un si récent paradis perdu nous séparent tant d’années lumière que seule peut les franchir à tire d’elle, de quelques licences la poésie.

En couverture Jérôme Pergolesi fait rouler, sur fond de bandeau noir, une lune cabossée peuplée de forêts, pierre qui roule amassant du non-caduc. Ou un atoll de lune photographié sur fond noir de la bande passante des nuits.

 

 

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rédaction

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