[Chronique] Nouvelles de Novarinie

[Chronique] Nouvelles de Novarinie

mai 21, 2007
in Category: chroniques, UNE
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Bienvenue en Novarinie
timbres_vn.pngValère Novarina est à lui seul un microcosme littéraire : non seulement l’auteur d’un univers étrange, mais encore le centre à partir et autour duquel prend forme un monde original. Et c’est parce que l’écrivain-dramaturge est devenu un label qu’est né avec le siècle le site www.novarina.com, qui recense les dates de tournée, les diverses manifestations avec lui et/ou autour de lui, les représentations passées et présentes, ses publications et expositions, les publications critiques sur son oeuvre…

La dernière météorite survenue dans la sphère novarinienne a pour nom Le Vrai Sang (Hors-limite, 2006, 24 €) : au CD qui, grâce à Pascal Ribier, offre une compilation de divers documents sonores enregistrés entre 1972 et 2006, s’adjoint un livret de 64 pages qui réunit trois entretiens, un extrait de Lumière du corps (« L’Acteur sacrifiant », P.O.L, 2005) et huit photos (« Scarifications ») de Valère Novarina, accompagnés d’un texte de Pascal Omhovère (« Une lutte de couleurs »), qui a en charge la dramaturgie de L’Acte inconnu, prochain spectacle qui sera joué à Avignon en juillet (nous en rendrons compte, ainsi que du livre qui paraîtra chez P.O.L).

20scenes.jpgLe vrai sang, c’est l’origine rouge de la langue, celle que le poète oppose à la noirceur de la condition humaine. Car l’inquiétude naît avec et par la parole, et c’est par la parole qui se fait Verbe qu’elle peut être conjurée. L’inquiétude est consubstantielle à l’incarnation : le théâtre novarinien met en scène les interrogations de cette créature hybride qu’est l’homme, déchirée entre son être-de-sang et son être-de-bois. Jeté dès sa naissance dans l’espace furieux du langage, l’homoncule novarinien, comme l’homoncule beckettien, ressent à chaque instant le tragique de sa condition. Regrettant d’être né, c’est-à-dire tombé, non pas dans la vie, mais dans « la mécanique humaine » (La Scène), il fait l’expérience comique de l’inadéquation entre le corps et l’esprit, l’homme et le monde : « Nous sommes au monde mais nous ne sommes pas du monde« , lit-on dans L’Origine rouge. Un Homme Pantalon de La Scène, tout droit issu de la commedia dell’arte, résume ainsi ce qui apparaît à la fois comme le destin de l’acteur et celui de tout homme : « Ma vie est l’histoire d’une marionnette agitée par les choses déjà toutes dites ». Au sentiment d’étrangeté que ce fantoche lorrain éprouve devant l’existence (« Ah que je m’étonne d’être ! ») répond l’angoisse existentielle du fantoche de Gugusse : « Je m’ennuie de ma grosse marionnette ». Les pièces de Novarina sont des farces métaphysiques, en ce sens qu’elles n’ont de cesse que de mettre à nu la pantinitude humaine.

VN à 20scènes

znyk.jpgC’est cet univers d’opérette philosophique que nous propose de (re)découvrir le Festival de théâtre contemporain 20scènes, dont la deuxième édition se tient à Vincennes du 22 au 27 mai 2007. Ce n’est pas moins de huit spectacles qu’on pourra ouïvoir ; on s’immergera en outre dans le mode imaginaire du peintre-écrivain grâce aux expositions de dessins, maquettes et photos. Au reste, la bonne idée de ce festival – dont la première édition en 2005 a rassemblé quatre mille spectateurs – est de regrouper sous la bannière « Théâtre et poésie » trois auteurs dont le point commun se résume en un seul mot, langagement : Eugène Durif, Joël Jouanneau et Valère Novarina. [voir le programme].

« Quand on rit, on respire différemment, on aère sa tête » (Daniel Znyk)

Au moment où Novarina entame les répétitions de L’Acte inconnu [en savoir plus], il est impossible de ne pas avoir une pensée pour Daniel Znyk, qui, après avoir collaboré avec cet « infini poète » (1986-2006), est mort accidentellement le 12 septembre 2006, à 47 ans.

Daniel Znyk était au sommet de son art : un acteur-marionnette, donc. On se souvient de sa transe du verbe, de son extraordinaire travail de Déséquilibriste dans L’Origine rouge ; « Pour arriver au sentiment qui est celui d’avoir les mains ouvertes, toute la durée d’une représentation, être dans une maîtrise absolue, à la façon d’une horloge, il faut accepter de baisser les bras sur un certain nombre de contingences, de soucis personnels, de représentation, de continuité de sens », disait-il en 2001. Dans Lumière du corps, Valère Novarina lui rend ainsi hommage : dans L’Origine rouge, Znyk « est facial et muet (…) comme Grégoire de Nicomédie ».

Dès son entrée en Cène, ce vocassier de génie savait sortir de lui pour incarner le Verbe, se défaire pour être parlé, s’abîmer dans les « extrémités de la matière humaine » (2001) et offrir son « sacrifice comique » (Lumière du corps).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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