[News] News du dimanche

[News] News du dimanche

mars 21, 2021
in Category: Livres reçus, News, UNE
0 5390 12
[News] News du dimanche

On pourrait avoir envie de raconter une fable intitulée « Le Coq confine ses ouailles en liberté surveillée »… Mais las, il n’est que trop de fabulistes…
Commençons plutôt par découvrir le Livre de la semaine (Marche-frontière), avant de retrouver les « nouvelles aventures d’Ovaine » (Tristan Felix) et de noter les Libr-événements à venir en ligne…

 

Le livre de la semaine /Fabrice Thumerel/

► Ahmed SLAMA, Marche-frontière, éditions Publie.net, mars 2021, 130 pages, 13 €, ISBN : 978-2-37177-607-4.

« … le piège c’est la plainte, pas la complainte » (108).

« Devenir le sujet de ses pensées, non plus subir » (109).

Marche-frontière… tout le contraire du garde-frontière, donc : trou(v)er / for(c)er un passage, une ouverture dans un monde que les nationalismes et identitarismes ont cadenassé.

Qu’on se remémore ce passage de Candide dans lequel Dieu est comparé à un capitaine pour qui les hommes du navire n’ont pas plus d’importance que les rats de la cale… Aujourd’hui, ce sont les occidentaux qui considèrent comme des rats les migrants, ces êtres qui sont assignés à l’entre-deux, ni vraiment émigrés ni vraiment immigrés, entre deux pays et deux langues – ce dont rend compte le texte de cette épopée rédemptrice par une écriture du flux qui troue le français de mots arabes.

L’identitarisme est un luxe de propriétaire : contre l’Autre, il exhibe son identité, son patrimoine, son Histoire ; comme le Salaud sartrien, il possède des droits, un permis d’exister, une nécessité – savoir,  une justification qui l’extirpe de sa contingence. Mais un migrant, qui plus est malchanceux, sans patrie ni papier : pas de papier, pas de travail ; pas de travail, pas de justification sociale et donc pas de permis de séjour… telle est la spirale déshumanisante.

L’angoisse que l’étranger éprouve n’a rien de métaphysique : il se sent vraiment en trop. La confrontation au miroir révèle son aliénation, lui qui est à ce point dépossédé de soi par l’incorporation physique et mentale des représentations dominantes qu’il va jusqu’à s’identifier à un rat. Voici la façon dont il se perçoit comme autre dans le miroir :

« […] raciste envers moi-même et les autres, pas ce racisme radical de la hiérarchie des êtres, non le racisme inconscient, insidieux, […] je refuse la couleur de ma peau, en me regardant comme ça, me suis dit que non, ça cadre pas, ces mots qui sortent, ils ne cadrent pas avec la couleur de ma peau, la forme de mon nez, non, le phrasé, mon phrasé, les tournures, les mots parfois recherchés, comme si cette pigmentation, elle m’obligeait à parler « petit nègre », des mots et des expressions simples. D’où ça pourrait venir ? les représentations, enfin je crois. La télé, la presse, les discours. Partout, tout le temps et des deux côtés de la Méditerranée. Représentation de l’africain et de l’arabe. Une éponge, j’ai tout absorbé. L’africain et l’arabe, manutentionnaire ou violeur. Le nord-africain et l’algérien, footballeur ou terroriste. Le berbère ou le kabyle, sauvage et sans raison. Indigène sans cervelle. » (p. 105).

Rien… l’étranger n’a rien et n’est rien. Dépossédé de tout, et même de son Histoire par les biais culturels propres à l’arabe standard comme au français. D’où un patient travail sur soi et en soi pour se libérer, au moyen d’un parler populaire propre et d’une méthode : « Répertorier, catégoriser les discours, les images, les délires qui ont infléchi et fléchissent le comportement » (111).

Les Nouvelles aventures d’Ovaine /Tristan Felix/

◊ Sur la route, Ovaine distille ses pensées à un degré si élevé qu’elle doit repasser son permis pour conduite en état d’ivresse. L’agent  est formel.

Alors, avec un fer à repasser elle s’applique à bien déchiffonner son document, sous l’oeil vitreux de son alcoolyte de loup.

De retour dans son auto, elle appuie sur le champignon si fort que le bolide bondit d’un bond tandis qu’Ovaine, restée sur place, médite sur le sens de la vie.

L’agent furibond, du fin fond de l’horizon, revient en traînant une carcasse fumante.

Ovaine lui tend bravement son permis tout neuf.

L’agent, confondu, prend place à coté d’elle et, comme il a déjà de la bouteille, lui interdit le champignon à tout jamais.

 

◊ Ovaine s’est entichée d’un revenant haut comme un dieu et maigre comme une feuille.

Devant le poids de la tâche, Ovaine se réfugie sous une pile de matelas.

Elle attend qu’expire son émoi lorsqu’elle sent au-dessus d’elle un poids démesurément lourd.

Ce ne peut être que le roi, au soir de sa vie, venu tout mouillé reposer son vieux corps couvert de velours.

En effet, c’est le roi, mangé de rides, avec ses mains tremblantes et ses dents qui chicotent.

Ovaine, pour s’assurer que c’est bien lui, le prend en photo et (je vous jure que c’est vrai), au déclic, le voilà qui se transforme en petit pois.

 

◊ Ovaine sait fabriquer de l’eau déshydratée (voir son casier judiciaire) pour alléger ses évasions.

Mais pour pétiller dans le désert où nul ne la pourra retrouver, elle rêve d’eau gazeuse.

Comment donc mettre les gaz sous vide ?

Rien de plus simple : elle cesse de respirer et les bulles serrent les fessons. Un truc de récidiviste.

Arrivée dans le désert, où transhument les âmes galeuses, Ovaine sent qu’il y a comme de l’eau dans le gaz.

Elle fait alors appel du jugement dernier et la condamnation du Juge fait pschitt…

 

◊ Coiffée d’un casque à nattes, armée d’une lance et d’une cotte en alu, Ovaine se présente au Concours National d’Hallucinations.

Au moment d’entrer en lice, elle croit n’en pas croire ses oreilles tant la voix qui retentit fait comme du tonnerre :

Dieu lui parle en personne : elle doit brouter les Anglais hors de France.

Elle a beau rétorquer que ça a déjà été fait, Il insiste.

Sans hésiter, elle fonce alors droit devant elle, nattes au vent, si vite que son cheval a peine à la suivre.

Illico recalée pour avoir cru Dieu sur parole, elle s’en retourne rallumer ses visions à la lueur de son bûcher.

 

Libr-événements

► Avec ses Données du réel (parues aux éditions Ni fait ni à faire), Johan Grzelczyk dresse le constat d’une réalité (politique, esthétique, sociale mais aussi sensible, autobiographique…) en même temps qu’il tend à la déstabiliser en subvertissant la langue. La performance qui en est issue donne à entendre les soubresauts de notre époque sous la forme d’un flux remis en cause à mesure qu’il s’énonce, chaque expérience du monde affirmant sa singularité et sa tonalité propre.
Cette lecture est organisée dans le cadre du 23e Printemps des Poètes.
L’événement aura lieu en ligne, retransmis en direct sur pod.uphf.fr > Directs > Bibliothèque universitaire.
L’accès est libre et gratuit, sans inscription, pour tous.
Pour toute question : anim-bu@uphf.fr

 

8 et 9 avril 2021, Les écrits du numérique #5 : Télé/graphie(s) (Alphabetville et La Marelle, en partenariat avec l’observatoire Leonardo, l’Ensad, l’IRI).

Les « Ecrits du numérique » sont des temps de rencontres, d’échanges et d’information sur ces pratiques, dont l’objectif est de : transmettre autour des expériences récentes de création et publication numérique ; considérer l’actualité et les perspectives technologiques des supports d’édition numérique ; découvrir les formes littéraires numériques avec des auteurs et/ou développeurs informatiques…

La crise sanitaire due au virus COVID-19 a généralisé un fait déjà très répandu – notamment apparu depuis le processus de numérisation et l’accès public au web, accru par le développement exponentiel de ses applications et via nombre d’objets techniques -, qu’est le rapport récurrent aux écrans, les activités et les relations par télétechnologies. Ce dans un flux presque ininterrompu, incessant, promu par le capitalisme 24/7 analysé par Jonathan Crary, et le tout récent « screen new deal » dénoncé par Naomi Klein.

Cette tendance technique de la téléactivité et de la réticulation (anti-)sociale a conduit « à une nouvelle augmentation du temps passé devant des écrans de toutes sortes », dont les fonctions se sont redéfinies et élargies « à mille activités, notamment professionnelles » (Bernard Stiegler, La Technique et le Temps III), mais aussi domestiques, indifféremment, et parfois confusément, publiques et privées. Et générant un commerce et une économie des in-existences, absorbées, désincarnées et disloquées par le temps et l’espace machiniques des réseaux numériques, installant une spectralité, qualifiée par Jacques Derrida d’« hantologie », une « logique de la hantise », sans réelle opposition entre présence et absence, « non-présence », « vie et non-vie », dont les télétechnologies seraient la production sous forme de simulacre, et dont les formes d’inscription produiraient une « spectrographie » (Jacques Derrida, Spectres de Marx).

Or, ce« pan-écranisme » semble devenu un espace et un temps subis, calculés, formatés, dans un ordre soumis à la computation, de tout et en tout, c’est-à-dire de toutes nos actions et de leurs traces, inscrites en tous medias, englobées dans les mémoires de ces organes artificiels réticulés, « technologies relationnelles » qui nous relient autant qu’elles nous délient, capturant et capitalisant nos actes et nos pensées, nos affects et nos psychismes, nos organes et leur sensorialité, notre amicalité et ses signaux, dans une instrumentalité « déjà-là et déterminée ».

Ici, sera pris en considération le contexte de la grammatisation (technique de reproduction) numérique telle qu’elle discrétise gestes et symboles sous le paradigme du traitement automatique et calculatoire de l’information, et où toute écriture, naturelle (geste) ou artificielle (symbole), est donc engrammée et transmise numériquement.

Des télé-grammes donc, ou de l’extension du domaine de la télégraphie, accomplie par le temps de la pandémie et de la distanciation sociale, temps maladif, retiré, isolé, confiné, où l’attention est transformée, l’action appareillée et la relation médiée, ou non immédiate, liée à une machinisation, ou machination : où toute écriture, naturelle (geste) ou artificielle (symbole), est engrammée et transmise numériquement.

Du grec ancien télé, loin, et graphein, écriture, c’est à ce(s) mode(s) de transmission à longue distance que nous nous intéresserons lors de cette cinquième édition des Ecrits du numérique, en tentant d’actualiser les aspects de leurs formalisations autant que le sens de leur performativité.

Lors de cette édition seront proposés des dialogues entre praticiens (auteurs, artistes, metteurs en scène, designers…) et théoriciens (philosophes, historiens, critiques…) afin de donner des perspectives critiques, autant pratiques que théoriques, face à nos conditions médiatiques et immédiates, provoquant choc, désorientation et incertitude. Nous proposons ainsi de tenter de panser ce que nous faisons.

, , , , , ,
Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

View my other posts

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *