[Entretien écrit] Giney Ayme, à propos de la vidéopoésie

[Entretien écrit] Giney Ayme, à propos de la vidéopoésie

novembre 24, 2007
in Category: entretiens, UNE
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, nous vous proposons un entretien avec Giney Ayme, qui est l’un des seuls en France à se préoccuper de la diffusion de la création de la vidéo-poésie sous la forme de DVD, avec les éditions son@rt de Jacques Donguy et la revue Doc(K)s de Philippe Castellin.

[1] Comment s’est passé ton passage des arts plastiques aux arts visuels, notamment vidéos ?
De l’image fixe à l’image animée veux tu dire ?
J’ai eu la chance de faire partie de la sympathique équipe du festival des Instants Vidéo durant 8 ans à Manosque. Tout est arrivé là bas, parce que tout était possible? Dans ce festival, programmé depuis 20 ans par Marc Mercier*et Chantal MAIRE, entre Marc et moi la complicité a été de faire intervenir des producteurs du verbe à l’endroit attendu des gens d’images. Nous avons donc surpris le public chaque année en invitant des poètes, des revues,  ceux ci ont même inauguré le festival : en 1996 Serge PEY y déposa son poème dédié à Medina CURABAZ torturée à la matraque électrique qui était édité pour la première fois dans le numéro 6 de la revue Incidences. Ceci se faisant sous l’égide de la revue Incidences qui a toujours travaillé dans le rapport texte image parfois à l’heure matinale de l’invitation café croissant ! Cela m’a fait entrevoir le peu d’espace qui séparait les artistes et les moyens d’expression. Les cloisons si étanches dans les décennies antérieures se décomposaient très rapidement sous nos yeux.
Et alors que ma collaboration se pratiquait en qualité d’artiste/éditeur de mots et d’images fixes, je me suis piqué au jeu et j’ai eu idée de créer une collection multimédia intitulée "le point sur le i" qui fut inaugurée en 2001 aux instants vidéo.
Plus tard, incorrigible j’ai "fait de la vidéo". J’aime apprendre, ça élargit l’horizon puisque cela démontre que ce que l’on ignore est bien plus vaste que ce que l’on croit connaître.

[2]
Comment construis-tu toi-même ton travail vidéo ?

Le temps m’intéresse, non pas le temps qui se déroule implaquable,  satisfait d’être regardé passivement lorsqu’il s’écoule, mais le temps qui se retourne sur lui même, qui montre ses propres mécanismes possibles, ses aiguillages, la propre histoire de ses grippages, qui ne sait pas pourquoi ça a tremblé. Le temps qui n’évite pas l’accident. Là, réside une notion qui me dépasse mais qui implique de travailler sur ce qu’on fait, incluant, "souhaitant même"  ce qu’on ne sait pas faire. Je n’aime pas le montage, je ne viens pas du cinéma. Ma première vidéo "ce sont les voiles qui inventent le vent" ((2004) était un plan séquence de 3’30 pris par hazard alors que je filmais autre chose de ma terrasse. Dans la baie de Marseille sur la droite, dans le hors champ de mon cadrage, quelque chose me gênait : un voilier glissait de travers sur l’eau, sa voilure pas très bien gonflée attira mon attention, au lieu de disparaître il buta sur le bord du cadre de l’image et au lieu de disparaître refusa de sortir de l’écran de la caméra, à un point extrêmement précis : un peu moins il était dans, un peu plus il  était hors cadre. C’est cet instant qui m’intéressa. Relié à l’ensemble, mais en fait le déliant totalement, sans littérature, sans pathos, ce n’était plus le vent qui poussait un objet, c’était de l’image, le sens de l’image qui donnait réalité au vent. Le reste du film pouvait rester ou rentrer dans l’anecdote de la représenttion du réel. Pour moi le rapport à la création, le sens de l’oeuvre s"est incrusté là dans cette surprenante hésitation/interrogation d’une voile qui glisse vers le hors cadre et qui modifie l’instant de sa disparition en y imposant un temps inédit indécis et imprévu. Le plus important c’est que je n’ai pas cherché cette séquence, elle s’est réalisée, là, à mon insu, un peu sur la droite de ce que je filmais, je l’ai saisie du coin de l’oeil, comme une inquiétude, dans un istant de "surveillance" du paysage de l’image. Je pouvais choisir de continuer mon travail en cours, mais j’ai tourné la caméra d’une geste maladroit et la vidéo débute par ce geste pour moi décisif et très maladroit qui sabotait mon boulot du moment.

[3] Quelle place a l’écriture dans ce travail ? En quel sens s’agit-il d’une liaison entre forme plastique et temporalité ?

Donc au départ il s’agit d’un sentiment émotionnel, charnel. Je suis fasciné par l’écriture, l’acte d’écrire, au sens primaire du terme, en ancien cancre surpris par la mutation de ses angoisses d’antan en émerveillement d’aujourd’hui, le son, le  bruit, la plume, le papier qui souffre etc. j’ai l’impression de semer lorsque je me filme d’une main, en train d’écrire de l’autre. Ce qui est curieux c’est qu’il n’y a aucune nostalgie du passé, ça me pousse vers l’avant au contraire. Et puis il y a aussi la vie, l’expérience des mains, mes mains ont coupé du bois, construit des maison en pierre, des toits, des murs, beaucoup de murs ! Sculpté des oeuvres monumentales d’art public de 150 tonnes, manié des quantités d’outils, tronçonneuses, truelles, haches, goujes etc… et là, lorsque j’ai une plume à la main, c’est la même chose puissante pour moi, ça continue, ça ne peut pas être innocent, désoeuvré, on y revient hein ? Mes mains possèdent le savoir de gagner sa vie avec ses mains, ce savoir est inséparable de ma vie d’artiste. J’ai cette chose (un savoir)  à la place de diplômes, (des connaissances).
Le son de l’écriture est quelque chose de tonitruant, voir ma vidéo "plumerage". Actuellement pensionnaire dans la collection  de la revue T.A.P.I.N. et diffusée également par Est-ce une bonne nouvelle.

Il y a aussi cette même découverte avec "sur la durée des images" où j’écrit rageusement à la plume une seule phrase en saturation : avec des haches nous cassons l’eau sur la durée des images (Serge PEY) dans ce que j’appelle une chorégraphie scripturale, et où le film n’est que la répétition du geste manuel d’écrire à la plume trempée dans l’encre du bruit de l’écriture, refusant toute intervention électronique, ce  geste qui tente d’aller au bout de l’écran, qui fabrique le bout de l’écran, qui travaille à lui ôter sa limite convenue. Encore une fois, ici, ce qui semble faire oeuvre d’écriture est pour moi en train de défaire le temps. Il s’agit d’une interposition discrète mais décisive qui "bouge" qui "tremble" le travail en cours et le délie de son envie initiale en le transposant à côté. Ce qui est décisif pour moi consiste alors à me redéposer dans ce que j’ai fait, la première surprise passée !
Le premier vrai travail de vidéopoésie que j’ai réalisé le fut à partir de Jérôme Game que j’ai enregistré dans la cuisine de ma mère. "travail du non travail" pour la revue Incidences en 2003. Ma première question fut celle-ci "POURQUOI DES IMAGES ? le vidéopoème y répond en partie.
Frédéric DUMOND traite très justement le rapport de l’image à la textualité, écriture langage,  dans le DVD #7 du "point sur le i" "TEXT". C’est le travail le plus juste je crois.

[4] Qu’est-ce qui t’a décidé de passer à l’édition papier d’une revue, à une collection DVD ?
Décidé est un bien grand mot !
Tu sais, au bout de presque dix ans de fabrication de la revue incidences, une démarche collective, j’ai eu envie de préciser les démarches et les identités, de m’engager en allant plus loin avec certains auteurs. J’ai donc donné des cartes blanches ou bien poussé très fort vers une oeuvre numérique. Je demande à un auteur de comprendre qu’il a du temps disponible devant lui pour construire quelque chose. Rien ne presse. Son temps de découverte est le nôtre. Personne ne nous attend. Ainsi l’énorme travail d’A.Strid, inaugural pour elle, médium a pu s’élaborer. 
Mais je ne suis pas passé du papier au DVD : j’ai ajouté la collection "le point sur le i" CD Rom / DVD à la revue papier, il n’y a aucun reniement de la forme traditionnelle, juste la prise en compte de quelque chose qui "dépassait" maladroitement et qui m’intriguait. Pour tout te dire c’est parti d’un énervement, cela ménervait prodigieusement que Marc MERCIER et les programmateurs dans tous leurs festivals, lorsqu’ils programmaient les premières expériences sur DVD CD rom les présentaient sur un écran d’ordinateur, parfois dans un hall !. Alors que la moindre vidéo de  2 minutes  et parfois moins avait droit au très grand écran dans la salle de cinéma devant 300 spectateurs. Je me suis interrogé sur le statut du travail numérique  et n’ai trouvé aucune bonne raison à sa réduction dimensionnelle "timbre poste". M’en suis ouvert à Marc en réunion avec l’équipe, et une fois dite, la chose à mon grand étonnement a convaincu sans combat, il suffisait de le dire…. Il suffisait de l’avoir dit ! C’était il y a longtemps hein ? Aujourd’hui cela paraît saugrenu d’imaginer ce genre de question.
 L’idée de créer une collection qui serait présentée sur le même écran que les vidéos a donc germé et l’année d’après, en 2001 ou 2002 je crois, nous avons présenté les prémisses de ce qui allait devenir la collection "le point sur le i". A.Strid, Chirstophe Galatry, Sabine MASSENET, Marie Christine COUTURE.

[5] Quels types d’oeuvre cherches tu ?
Des oeuvres calmes, fragiles, sans nécessairement manifester la frénésie typique de l’époque. Mais qui perturbent.  Je veux dire : des oeuvres que "je ne comprend pas". J’aime les oeuvres "blanches". Mais, mon choix particulier est encore un peu faussé par le principe additionnel de la collection. Les oeuvres s’ajoutent et forment un tout qui les dépasse. Ainsi, je peux envisager d’élargir au delà de mes propres goûts. Mais il s’agit aussi d’une démarche personnelle avec mon travail, un processus de perturbation qui agit contre moi et qui rejaillit sur la collection pour donner un ensemble hétérogène qui me régale et qui ne devrait pas se caler dans une certitude démonstrative, mais plutôt une interrogation.

[6] Comment trouves tu le milieu de la diffusion par rapport à cette édition DVD ?
Je peux te répondre franchement qu’après avoir tout réalisé, les oeuvres, les papiers administratifs, les encodages, les envois, la PAO etc… je n’avais jusqu’à cette année plus de temps à consacrer au faire savoir. Je ne peux donc incriminer personne d’être si peu représenté. Mais cette micro collection réalisée en flux tendu, n’est pas destinée à être déposée en nombre dans les librairies. Petits tirages, très chers à l’unité, la collection est en vente en ligne sur le site de rezolibre.com, le responsable Patrick LOWIE vient d’accepter de créer une rubrique intitulée vidéopoésie.
 En fait on porte soi même sa production.
C’est une question de dos.
Je ne connais pas vraiment  ce que tu appelles le milieu de la diffusion.
La collection est aussi diffusée par des structures en direction des institutions ; CIRCLE, COLACO, MELISOFT, et l’ADAV.
Est-ce une bonne nouvelle  diffuse également les oeuvres de plusieurs DVD du point sur le i : Fred DUMOND, Catherine PONCIN, Sabine MASSENET, Emmanuel ADELY, OLivier GALLON, NIcolas BARRIE et … Giney AYME)

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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