[Chronique] Olivier Domerg, En lieu et place, par Guillaume Basquin

[Chronique] Olivier Domerg, En lieu et place, par Guillaume Basquin

septembre 28, 2018
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
0 3054 32
[Chronique] Olivier Domerg, En lieu et place, par Guillaume Basquin

Olivier Domerg, En lieu et place, postface de Michael Foucat, L’Atelier contemporain, juin 2018, 142 pages, 20 €, ISBN : 979-10-92444-69-8.

Je lis de moins en moins les pré- ou postfaces ; ce ne sont le plus souvent qu’argument de vente et/ou plus-value marketing, voire « image de marque » (si le préfacier est prestigieux). Ici, dans ce « plus-que-vingtième » livre du poète Olivier Domerg, Michael Foucat va carrément jusqu’au contresens, écrivant : « Pour autant, si cette place n’est pas n’importe laquelle, elle vaut et vaudra pour toutes les autres. Et ce livre, parle et parlera, à travers elle, de toute place. De toutes les places. » Confondrait-il valeur d’usage et valeur marchande ? Que non ! Ce livre, comme quasiment tous ceux de l’auteur, est celui d’un arpenteur dont le beau souci est donc de « mesurer une terre » bien précise : celle-là, et pas une autre (1) ! À l’instar du cinéaste-photographe Christian Lebrat dans ses Rubans photographiques (fig. 1), Domerg semble vouloir rendre un lieu jusqu’à son épuisement (symbolique et illusoire (« Le naufrage d’une telle entreprise dans la durée »)). Autrement dit : faire rendre gorge au réel. Que rien ne leur échappe. Jusqu’à créer une mythographie du lieu (voir les nombreux essais d’Olivier Domerg sur la montage Sainte-Victoire). Rien n’a eu lieu que le lieu, disait le poète ; ainsi chez Domerg :

La Charleville-Mesure
de la place Ducale ;

autant dire, cette RESPIRATION,
qui en est la marque
& la signature

Car oui, ce livre de Domerg est une réponse à une invitation de Julien Knebusch et « ARTIFICE poésie » à écrire autour du paysage des Ardennes en novembre 2013. Fidèle à son habitude/habitus, le poète-arpenteur qui déclare écrire sur ou dans le paysage s’est placé devant la place Ducale de Charleville-Mézières, voire au-devant d’icelle (fig. 2). Cela donne, par exemple, ceci : « La grande respiration visuelle, architecturale et urbaine, que l’on rencontre et ressent ici, sur cette place, à quelque endroit de sa surface où l’on se tienne, dos au côté ou à l’angle le plus proche, se délectant littéralement de cela, pour lequel on s’arrête, en pivotant lentement, très lentement même, pour bien se laisser le temps de s’en pénétrer, de s’en imprégner, tandis qu’on l’embrasse progressivement du regard. » (Toute ressemblance avec l’art et la méthode de Christian Lebrat en ses rubans photographiques qui entourent (embrassent) littéralement le paysage choisi pour l’embaumer (comme une momie) d’une bobine de film Kodak 125, serait totalement fortuit…) Il faut « être lucide et précis en cette affaire » pour « exhausser » la place, voire la « parfaire », et afin de l’ancrer et l’incarner « sensiblement, pour nous, dans la matérialité des jours et du visible ». Les travaux et les jours… Ô vous dont les chants immortalisent !

On n’a pas encore dit que ce livre est composé d’un prologue, de quinze mouvements, et d’un épilogue (ou final) : c’est une symphonie, LA Symphonie d’une grande place : la Ducale de Charleville-Mézières. C’est un « agoratorio », nous dit le poète. « Le tempo de la place, sa mesure, cette construction jazzistique du thème et de ses variations, cette architecture de l’élan et du rythme, ce hymne à l’horizon, à l’improvisation » : Olivier Domerg aurait-il construit (composé) un équivalent écrit à Berlin, Symphonie d’une grande ville, ce film 35mm de 1927 de Walter Ruttmann ? Son texte fait-il image ? Allez-y voir par vous même, si vous ne voulez pas me croire !…

(1) C’est une question de la plus haute importance pour quiconque a vraiment écouté Jean-Luc Godard : « Dans un roman, une maison ou une personne tient entièrement sa signification de l’écrivain ; sa vraie signification est bien plus grande, gigantesque, elle est d’exister ici et maintenant comme aucun personnage d’imagination ne peut exister » (in For Ever Mozart, film 35mm de 1996).

Titre des illustrations :
– fig. 1 : Piazza de Ferrari (Gênes), 1978 © Christian Lebrat
– fig. 2 : Carte postale ancienne de la place Ducale de Charleville © La Cigogne

, , , , , , ,
rédaction

View my other posts

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *