[Chronique] Open Space de Patrick Bouvet

[Chronique] Open Space de Patrick Bouvet

octobre 12, 2010
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Patrick Bouvet, Open Space, ed. Joca Seria, 2010, ISBN : 978-2-848091518 — 11 €

 

4ème de couverture

Ils savent
qu’il y a toujours
un espace
opaque
à découvrir
elle peut compter
sur eux

Chronique

[replay 2000-2004] Dans Direct comme dans Shot, Patrick Bouvet mettait en question par ses dispositifs la mise en scène documentaire de l’actualité. Cela apparaît parfaitement avec Shot, où, à la place de photographies, se succèdent des mini-bloc-textes descriptifs qui simulent la présence de photographies en tant qu’elles en sont les indexiquaux descriptifs. De la saisie immédiate et intuitive donnée par la photographie (dimension sensorielle visuelle), on passe à la saisie linéaire et discursive du contenu photographique (dimension active et cognitive), ce qui fait ressortir avec crudité le contenu donné en un seul coup par la représentation photographique (photographie liée à la guerre, à la mort, à la destruction).
Son travail poétique ressemble à un archivage documentaire, il se fait reflet en distorsion et critique des énoncés qui traversent le monde et qui par leurs densités/intensités médiatiques sont coercitives pour le lecteur. Ses réalisations postulent la possibilité d’un démontage des logiques énonciatives et documentaires du monde, à partir d’une ponction/extraction de matériaux para-littéraires. Mais ce processus n’est pas que déconstructionniste, il s’accompagne d’un remontage, d’une opération de restructuration : de re-présentation.
Chaos boy de Bouvet : en démontant les langages sécuritaires, et économiques, il remonte des dispositifs dont les effets sont critiques : « l’insécurité s’installe / dans les villes impuissantes / les jeunes sont livrés / à eux-mêmes / drogue / violence’ / suicide / les jeunes explosent / de plus en plus / et malheureusement / ils sont protégés / par lepouvoir / oui / nous avons besoin / d’un retour / dans les villes et les villages / nous avons besoin d’une explosion de la peur » [p.36]
« le patron voulait nous convaincre de la nécessité de licencier avez-vous la mémoire des noms » [p.47]
Si l’information est bien le matériel qui est choisi par Bouvet pour construire son texte, toutefois, il opère un déplacement des logiques, non pas pour parvenir à autre chose que l’information, mais pour mettre en lumière le fond idéologique qui guide la structuration de l’information et des représentations. Dans les deux passages ici cités, nous nous apercevons, qu’agissent, reliés à des énoncés liés soit à la politique sécuritaire, soit à l’activité salariale, des contre-points qui interrogent l’évidence des premiers.

[action] Open Space vient après une pause éditoriale de 3 ans. Open Space se présente comme une histoire/portrait,  histoire/portrait anonyme et collectif : celle d’elle, qui matin, rythme tertiaire, fait face aux écrans jusqu’au soir, devant  endurer le paroxysme de la tension nerveuse de son propre être dans ce processus de désincarnation existentielle. Celle d’elle qui fait partie des salariés des 60 % d’entreprise française qui ont aménagé leur espace de travail en open space. L’open space provient historiquement de la volonté de paysager les bureaux, de décloisonner les rapports humains, d’horizontaliser les rapports d’intervention. Tel que l’exprimait Adorno, bien avant cette invention, dans Minima Moralia, c’est sous le principe de l’altruisme, que les dispositifs contemporains d’aliénation du travail ont été créés. En effet, Patrick Bouvet joue sur cette idéologie pseudo-cool de l’open space : "elle est entourée / de jeunes collaborateurs (…) ils ont toujours quelque chose à lui apprendre" [p.17] mais son travail est celui d’un chirurgien qui vient disséquer, opérer, cette logique globale de l’open space, pour en montrer à travers cette histoire/portrait, quelle en est la logique de fond. Il poursuit ainsi son travail de saisie du réel et de décodage des structures. Ici celle du travail à partir de la fictionnalisation d’une trajectoire quotidienne.

Cette logique actuelle de l’open space, du cool et des écrans, est celle d’une adéquation ou diffraction entre d’une part des dispositifs technologiques correspondant à des esthétiques actuelles et d’autre part des individus qui se sont constitués selon des trajectoire, une historicité impliquant un imaginaire technologique et esthétique spécifique. Sur ce point, ce que souligne Patrick Bouvet est très intéressant : il montre ainsi en quel sens les jeunes qui entourent la femme, sont issus d’une culture esthétique et idéologique liée aux jeux vidéos, et que cette culture a créé un imaginaire spécifique de la compréhension du réel. Cette culturation a créé en eux une forme de "nostalgie d’un futur bourré d’effets spéciaux" [p.27].

L’open space tel qu’il le décrit est là pour intégrer, donc désintégrer l’individu en le plaçant dans l’homogénéité globale du plan de travail : "l’open space / fonctionne / à une vitesse supérieure / un espace / vibrant / à la surface miroitante / ils s’y baignent / intégralement / avec toute leur énergie / comme des enfants / excités / par des remous" [p.35] " ici le monde existe / dans une abstraction / de plus en plus / puissante" [p.36]

La force de son travail, c’est que nous avançons pe à peu dans la tension de la désincarnation, en passant de passages concernant l’ensemble de l’open space et de son rythme, au resenti, beaucoup plus subjectif, beaucoup plus haché et sensoriel de la femme. Alternant ces deux rythmes, il établit deux plans de lecture de cet espace de l’open space, faisant comprendre ainsi que derrière la pure transparence de cet espace de travail, ce qui sans cesse résiste qu’on le veuille ou non, ce qui sans cesse reste opaque c’est bien le corps humain dan sa singularité.

Pour finir saluons cette nouvelle collection extraction, dirigée par Chloé Delaume aux éditions Joca Seria.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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