[Chronique] Pascale Petit, Le Parfum du jour est fraise, par Bruno Fern

[Chronique] Pascale Petit, Le Parfum du jour est fraise, par Bruno Fern

avril 21, 2015
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[Chronique] Pascale Petit, Le Parfum du jour est fraise, par Bruno Fern

Ne nous fions ni à la couverture, ni au titre : Bruno Fern nous montre qu’il y a des fraises qui tournent au vinaigre…

 

Pascale Petit, Le Parfum du jour est fraise, éditions de l’Attente, coll. "Philox", avril 2015, 148 pages, 13 €, ISBN : 978-2-36242-052-8.

 

À force de feuilleter le livre, en tombe une carte de couleur rose où figurent quatre citations, les trois premières – dont le titre de l’ouvrage – étant issues de la série télévisée britannique The Prisoner1 et la dernière d’un album de Tintin, On a marché sur la Lune. La quatrième de couverture ajoute à ces références celle de L’Inquisitoire de Robert Pinget avant que l’on soit emporté dans une suite ininterrompue de consignes adressées par un nous – que l’on imagine désigner un jury qui demeurera indifférencié – à un individu dont le lecteur pourrait être un double.

L’objectif de la tâche est précisé d’emblée (« Vous allez avoir à construire un village. ») et ne peut évidemment qu’intriguer si l’on ignore que c’est là un test classique de personnalité2. Au-delà de l’allusion au village où le Prisonnier se retrouve retenu dans tous les épisodes, ce terme renvoie-t-il également à celui dit planétaire où chacun d’entre nous aurait la possibilité (technique) de connaître l’autre ? Car il s’agit bien ici d’acquérir la connaissance d’autrui, quel qu’en soit le coût. Au début, le ton des sujets supposés examinateurs se veut léger, rassurant et pédagogique à outrance par le recours à des répétitions qui frisent la tautologie, traduites dans un inévitable anglais basique : « La moitié droite est la moitié droite du village. La moitié gauche est la moitié gauche du village. L’entrée est en face de vous, la sortie est à l’opposé. The right half is the right half of the village. The left half is the left half of the village. The entrance is in front of you, the exit is on the opposite side.” Cependant, ce discours devient très vite inquiétant en raison de sa dimension normalisatrice et le malaise s’accentue quand, loin des prétentions originelles de clarté, l’énonciateur collectif s’empêtre progressivement dans le jargon d’une psychologie de management. D’ailleurs, le vernis finit par craquer en révélant les véritables intentions du discoureur : « Retenez qu’il s’agit d’un simple mode d’évaluation de vos capacités dans un climat de détente et de confiance en vue d’un diagnostic visant la meilleure utilisation et gestion de ces capacités au sein d’un système qu’il nous revient de rendre le plus efficace possible en même temps qu’il nous oblige à la mise en œuvre de certains moyens et méthodes dans un souci d’opérationnalité maximum. » De pseudo-bienveillante, l’ambiance tourne à l’intrusion tous azimuts (« Le moindre soupir, le moindre écart et nous débusquons, spécifions, quantifions, calibrons, classons, incorporons, assimilons, synchronisons. ») et au dressage comportemental dans les règles : « Vous devez être dé-ten-du, vous devez sentir votre corps s’apaiser, vous devez sentir votre respiration super-fluide. » Une fois le village censé être construit, commence un interrogatoire pour déceler le moindre défaut du cobaye, au moment même où le texte, lui, s’écarte de plus en plus d’une écriture normée – par exemple, en sortant des rails habituels de la syntaxe (« L’optimisation des fonctions n’est possible que par le contrôle et le renforcement des cadences, par l’enchaînement rapide des actions dans une harmonie maximum. Au sens de. Au sens de oui oui oui. Yes yes yes. We swim. […] L’axe é-ner-gé-tique qui.») et en accumulant les énoncés catégoriques jusqu’à saturation : « On ne dit pas que. L’important, c’est pas de participer. No. Yes. L’erreur est pas humaine : le fil rouge sur le bouton rouge et le fil bleu sur le bouton bleu. Les cris clouent pas le silence. » Peu à peu, les propos a priori rationnels se délitent tout en cherchant toujours à pénétrer plus avant dans l’intimité de celui dont on évalue les ressources (humaines) : les questions posées deviennent absurdes par décontextualisation (« Qui sait ? Qui con-naît ? »), en se focalisant sur des détails (« Que pensez-vous des plateaux-repas en général ? ») ou par impossibilité d’y répondre (« Pourquoi ou pourquoi pas ? » ou bien : « Mettez les mots qui manquent qui conviennent. […] Il vaut mieux mettre son … dans la … sans trouver de … que de trouver des … sans y mettre son … »). Le dérèglement de cette machine à dépersonnaliser est alors sensible jusque dans les pronoms qui désignaient les protagonistes et l’auteur multiplie les effets (de surprise), comme si l’ambiguïté fondamentale du discours initial (qui prétend favoriser l’épanouissement du candidat mais uniquement dans la perspective d’un meilleur rendement professionnel) ne pouvait que provoquer à la longue sa propre dislocation sur un infracassable noyau : « C’est une réaction typique de déclarer que tout va bien et qu’on désire rester seul. Dis-nous. Nous sommes là. Nous sommes là avec toi. » – ce qui permet au moins, en créant des espaces, de ménager d’éventuelles issues3.

Pascale Petit a donc plus d’un parfum dans son sac et propose ici un livre aux antipodes de ceux qui s’autoproclament politiquement forts mais sont parfois littérairement faibles, un livre à déguster même s’il laisse un goût doux-amer, tant la difficulté réside justement dans cet alliage réussi entre cette langue faussement soft qui, aujourd’hui omniprésente, tente de masquer la brutalité des rapports sociaux et son détournement grâce à une écriture où affleure souvent un humour efficace4.

 

3 « Non, ce n’était pas la liberté que je voulais. Une simple issue ; à droite, à gauche, où que ce fût ; […] » Rapport pour une académie, F. Kafka.

 

4 « Je ne plaisante jamais avec l’humour. » (Frigyes Karinthy) 

 

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rédaction

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2 comments

  1. jacquie Bablet

    Piège arachnéen ? je me sens devenir moustique…
    Mais prête pour l’expérience, (& avec les références citées) !

    Chapeau à B.F.
    j.B.

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