[Chronique] Perrine Le Querrec, La Ritournelle, par Guillaume Basquin

[Chronique] Perrine Le Querrec, La Ritournelle, par Guillaume Basquin

décembre 29, 2017
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[Chronique] Perrine Le Querrec, La Ritournelle, par Guillaume Basquin

Perrine Le Querrec, La Ritournelle, éditions Lunatique, novembre 2017, 120 pages, 12 €, ISBN : 979-10-90424-89-0.

Pour écrire son nouveau livre, son quinzième, Perrine Le Querrec, comme à son habitude, est partie de faits réels (une famille atteinte d’un TOC, ou Trouble Obsessionnel Compulsif), et s’est fortement documentée. Eugen et Georgia, ses héros (un frère et une sœur), sont deux accumulateurs compulsifs. Ils tiennent cela de leur mère, Suzanne. Ils jettent rien. Ils étouffent sous les accumulations / les ordures. Le texte, congruent à son sujet, pourrait aussi étouffer son lecteur, comme sujet, n’était-il devenu cruel. Parfois, cela donne ceci :

« Serviettes éponge miroirs brosses à dent brosses à cheveux peignes brosses à reluire peignoirs tapis de bain franges ourlet tapis antidérapants jouets en plastique […] pleines bouteilles colorées uniquement des pluriels un seul singulier Eugen baignoire animaux… »

Toute une page sans une seule virgule, selon un principe de compression du texte analogue à l’accumulation des déchets/souvenirs/achats/ordures. Dire alors que ce livre est construit plus comme une œuvre d’art que comme une œuvre « littéraire ». Fi du roman-feuilleton ! La ritournelle est une compression à la César. Ou une accumulation sauvage à la Arman. Littérature Nouvelle-Réaliste ! Claro, dans son blog « Le clavier cannibale », a rapproché Le Querrec des expériences langagières d’un Pierre Guyotat ; pour ma part, c’est plutôt aux artistes que je comparerais l’écrivain, puisqu’elle ne déforme pas tant les mots (à de rares exceptions près) qu’elle joue avec la page blanche : comment varier pour la mieux remplir, telle la chambre d’Eugen ? Espace all over à la Jackson Pollock : ça part dans toutes les directions pour mieux faire rentrer tout ce qu’il y a à dire/accumuler ; il n’y a plus ni fin ni début dans le récit, ni haut ni bas dans l’espace. Parfois, plus d’espace entre le point et le départ de la phrase suivante (pour gagner de la place) : « Oui non.Tant.Tantôt.Tant tard.Tant pis.Pis quoi ? » D’autres fois, il n’y a même plus d’espace entre les mots : « Eugensouvienstoidetonnombaissetoiremontelespiedsretiensl’édifice. » Il faut entasser, toujours entasser : « collections de collection de collectionneur ». Entasser les « f » : « Georgia […] une fille d’or une fille dorure une fille d’ordures un tas de fumier une femme forgée une fille fluide une femme fontaine une femme facile une enfance difficile une enfant difficile une engeance difficile une vengeance difficile un enfant fumier », etc. Ou les verbes. Ou les « g ». La place manque. On étouffe ! Ouf, un peu d’air, de temps en temps : « Eugen gonfle  l    e    n    t    e    m    e    n    t  l’entends-tu entre les accumulations les côtes les morts les mots il monte perce les poumons de l’enfant  e    x    p    l    o    s    e. » (Une expansion à la César ?) La page respire. Et puis, ça recommence : « le danger est dans – retirer ranger réduire déranger choisir sortir réussir. » Le Eugen, il ne sortira pas ; il ne veut pas « réussir »… Sa mère l’a « programmé » pour ça, « ils [Eugen et Georgia] ont ressassé la leçon dans le ventre de béton et d’ordures maternels », leur chambre est devenue un gigantesque giron maternel dont il sera impossible de s’échapper : la force d’attraction des objets accumulés est trop grande : Eugen « doit rester veiller monter la garde, sentinelle implacable ».

Et ce titre, La ritournelle, me demande mon lecteur ? Sur sa page Facebook, Le Querrec a avoué sa source : « la ritournelle » chez Gilles Deleuze, « c’est la ronde des passés qui se conservent », ou bien « la forme a priori du temps qui fabrique à chaque fois des temps différents », ou encore « la répétition du différent ». Mais, écoutez :

 

Le Eugen est bien caché

Le Eugen du bois, mesdames,

Pourras-tu le retrouver ?

Le Eugen du bois joli.

 

C’est un refrain. Un leitmotiv. Qui revient, scande le texte, chaque fois un peu changé (on est deleuzien, ou on ne l’est pas) : « Il comble, il comble, le Eugen / Le Eugen du bois, mesdames / Il est passé par ici / Il repassera par là. » Et cetera.

 

Dire que ce livre nous en apprend plus que bien des manuels de psychologie (ce qui restera de notre civilisation, ce sera, comme d’habitude, l’Art — l’art de Perrine Le Querrec) : « Au monde de gens Eugen préfère son monde d’objets […]. C’est une muraille et c’est une faille. » Et puis conclure (provisoirement).

 

Guillaume BASQUIN

 

 

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rédaction

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