[Chronique] Flacons de Nicolas Rollet

[Chronique] Flacons de Nicolas Rollet

octobre 1, 2006
in Category: chroniques, UNE
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petitmatin1080.jpgLe flacon, nous le savons tous, est un récipient, dont l’essence est de contenir. Le flacon n’est pas très grand, même plutôt petit, il n’a pas beaucoup de bouteille, et pourtant se doit d’être bouché. Il n’est pas un vase de ce fait. Le flacon est un objet plutôt fragile, qui renferme parfois des liquides précieux, parfois moins précieux, parfois simplement un fluide quelconque. Ce livre de Nicolas Rollet semble répondre à cette approche descriptive, ce que paraît attester Jude Stefan, qui dans sa postface, explique en effet, que le livre se donne bien comme le contenant d’un texte qui n’en serait que le contenu fluide.

Ce texte est sous l’égide de Bergson, du corps-action, du temps-durée, du corps qui non pas se donne dans un temps maîtrisé, cinématographique, dans la discontinuité homogène du chronographe, mais selon le flux singulier de celui qui traversant un monde dépose dans le flacon du livre les fragments que happent sa conscience, qui marquent celle-ci, qui lui apparaissent. La littéralité ne serait pas là pour raconter, mais elle serait trace d’un corps en rapport à, en ouverture à, selon l’immanence de son être. Littéralité de l’hétérogénéité des associations (celles inventées au cours du trajet qui se fait), mais hétérogénéité qui se donne continuement, sans arrêt, selon cette énergie même de l’écriture. Même les pauses en constituent l’avancée. Cette écriture, très actuelle, celle du recueil des fragments de perception, ancrée dans les principes phénoménologiques très en vogue dans les milieux universitaires, même si Bergson n’est pas à proprement parlé un phénoménologue, ni non plus ce livre une phénoménologie, fait partie de la diversité des expériences que l’on rencontre chez des auteurs que l’on peut retrouver au Bleu du ciel, ou bien chez Le quartanier avec par exemple Guillaume Fayard dont nous avons déjà parlé.

Reste que la seconde partie est beaucoup plus attrayante : celle des séries (me I) jusqu’à (me XV). Traversée rapide de conversations, de condensés de lieux communs, d’opinions pêle-mêles, de notes rapides sur Paris et la Province, elles portent en elles beaucoup d’humour, tel {(me XIII); (rendu II)} :

« alors moi je suis plus années quatre-vingts mon plat préféré c’est entrecôte sauce roquefort avec frites étudiant en fin d’études jouant l’ambivalence j’ai pas de vices des envies si jeune le côté techniques des lunettes »

ou encore tel {(me XIII); (peut et par II)} :

« peut décider de ne pas partager sa couche avec néofasciste; prenant la carte « ça c’est opportunité »
petit polo col sorti saumon chandail crocodile »

Par l’humour, à travers le rire, la dimension hyper-fragmentaire et hermétique de la première partie est dépassée, et une forme de dynamisme est retrouvé. Ceci conduit, à redire ce que nous avions constaté avec Fayard : chose étrange il y a un réel écart entre l’intention et la réalisation de tels projets. A trop vouloir nous placer dans un flux, dans une expérience du corps-action, du corps-flux, et donc dans une événementialité qui est celle des micro-accidentalités du réel, on en arrive par moment à une expérience poétique qui implose dans la seule singularité de celui qui écrit. Certes, une certaine poésie est là pour renvoyer aux seules expériences du sujet en-deçà de la captation par les structures de logico-linguistique, toutefois, par les associations, par les ruptures, le texte passe d’une hétérogénéité par fragments à une homogénéité hermétique et arride en son accès.
Jude Stefan dit dans sa postface que ces types d’écriture sont celles actuelles des trentenaires. Si cela est énormément à nuancer, il n’y aurait qu’à considérer les auteurs qui ont des approches plus pragmatiques et issues d’une réflexion critique sur les symboles et les structures de la société (Hanna, Leibovici, Fiat, Chaton, Courtoux, etc…), cependant cela atteste aussi sociologiquement d’une appartenance culturelle : en effet, beaucoup de ces auteurs sont issus de l’université, d’études de philosophie ou de littérature. En ce sens, Jude Stefan, derrière son constat, pointe vraiment quelque chose, un micro-fait générationnel, une forme de ligne de fait pour reprendre Bergson : une ligne où la vie de la conscience s’installe et lutte contre certains déterminismes. Mais alors, comme il nous prévient, attention à l’habitude, car ce qui était exigence de lutte peut devenir rapidement maniérisme et facilité.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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