[Hommage] FEDERMAN FORWARD # 1 (25 juin-1er août 2006)

[Hommage] FEDERMAN FORWARD # 1 (25 juin-1er août 2006)

octobre 28, 2010
in Category: créations, News, UNE
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En ce mois du premier anniversaire de la mort de Raymond FEDERMAN (1928-2009), nous tenons à remercier vivement Stéphane Rouzé de nous avoir envoyé deux séries de correspondances par mail, qui nous permettent de retrouver la voix de l’écrivain avant même que ne paraisse le volume – la voix RF, c’est sa gouaille, ses anecdotes croustillantes, ses singuliers aphorismes, ses fantaisies poétiques… [Cette transcription a été réalisée au plus près du texte d’origine ; à noter : les mails adressés en une même journée sont différenciés par des astérisques].

FEDERMAN FORWARD # 1 (25/06/2006 – 01/08/2006)
Hommage de Stéphane Rouzé

Raymond Federman nous a quittés le 06 Octobre 2009

Les belles rencontres se font toujours trop tardivement
et les départs sont bien trop précipités

Parce que Raymond est de ces écrivains qui peuvent sauver du suicide
(…) ou de l’entrée aux flics aux pompiers

Parce que Raymond avait l’esprit rieur
et ce bien qu’il fût le seul de sa famille à échapper à l’Impardonnable Enormité

Parce que Raymond était élégant et irrévérencieux
inventif et imaginatif
self-reflexif

Parce que l’on entend sa voix quand on le lit

Parce que Raymond était un ami attentif et talentueux
et pour une infinité de bonnes raisons

Parce que Raymond n’hésitait pas à forwarder
ses mails d’un ami à un autre

Voici FEDERMAN FORWARD # 1,
première livraison d’un livre à venir de correspondances.

Correspondance : 25/06/2006-01/08/2006)

Lun 25.6.06, Moinous@aol.com a écrit : c’est facile la langue anglaise – elle est complètement irrationnelle
** la réalité – comme j’ai écrit quelque part – c’est un désenchantement derrière lequel se cache toujours une catastrophe
*** j’ai aussi écrit quelque part La réalité c’est pas mal – j’y vais parfois en visite – mais je voudrais pas y vivre en permanence. En particulier la réalité Américaine n’existe pas je sais – j’y vis – c’est Walt Disney qui l’a inventé
**** tout le monde m’appelle moinous

► Mer 28.6.06, Moinous@aol.com a écrit : quelle rigolade cette world cup, que des buts non mérités et que des arbitres vendus

Ven 30.6.06, Moinous@aol.com a écrit : je fonce à mon golf du vendredi

Mar 04.07.06, Moinous@aol.com a écrit : écrire c’est un peu comme faire du jazz — c’est à dire improviser — donc n’aie pas peur d’improviser
** fonce dans le tas
*** j’ai perdu intérêt dans le tour de France – sans Lance Armstrong c’est un tour de France pour boy scouts
**** Sam une fois m’a dit [c’était en 1966 a Paris — on déjeunait dans son restaurant préféré rue de la gaieté qui s’appelle Aux isles marquises] Raymond si tu écris pour de l’argent fais autre chose.
***** un jour on demanda à mon copain Norbert Scheafer [metteur en scène allemand] pourquoi il avait monté La dernière Bande plutôt qu’une pièce de Goethe et Norbert a répondu "parce que Beckett a compris les bananes tandis que Goethe n’a jamais compris les bananes"…

Jeu 6.7.06, Moinous@aol.com a écrit : une fois un flic xénophobe voulait me coller une contravention parce que j’avais mis sur la petite voiture allemande que j’avais achetée pour ramener au you-s.a un RF – il me disait que seulement les Français ont le droit de mettre RF sur leur voiture [ça c’était en 1966 quand les amerloques étaient mal vus en France] alors j’ai sorti mon beau passeport américain et je lui ai montré que ce RF c’était mes initiales – le pauvre flic s’est senti tout merdeux

Ven 14.7.06, Moinous@aol.com a écrit : ce à quoi je suis le plus attaché à part ma femme et ma fille ce sont mes chaussettes

Dim 16.7.06, Moinous@aol.com a écrit : J’ai une fois déjeuné avec Gombrowicz – je blague pas – c’était que je faisais le Cahier de l’Herne avec Dominique de Roux – Gombrowicz était à paris – De Roux allait faire un Cahier Gombrowicz – alors on a été déjeuner dans un bon resto rue Mazarine qui s’appelle La Cafetière – c’était bien à l’époque mais depuis c’est plutôt mauvais – alors pendant tout le déjeuner Gombrowicz n’a pas arrêté de démolir les écrivains – tous les écrivains – je lui ai demandé ce qu’il pensait des écrivains américains – il m’a dit ils sont tous des cons – ils ont la mentalité de gosse de 8 ans dans leur écriture – pas intelligent du tout – sauf deux qu’il a dit – Melville et Faulkner — j’suis d’accord – mais bien sûr il n’avait pas lu Federman

tiens je te mets aussi un douzaine d’aphorismes typiques de federman

1. la merde la merde toujours recommencée

2. qu’est-ce que l’espoir sinon une forme de responsabilité morale

3. toute cette grande idée du soi – ou le moi – quelle sublime connerie

4. Attendez que Jésus revienne vraiment alors là vous verrez comme ça ira mal

5. il est impossible de ne pas savoir ce qu’on sait

6. Imaginez un peu le scandale que ça ferait si Godot venait vraiment

7. Quoique fasse un juif c’est toujours ce qu’il ne faut pas faire

8. Je jouis au bord d’elle dans le loin de la f’m

9. Le rire est toujours tragique mais ça ne se voit pas

10. Il n’y a pas de remède pour la mort. La mort n’est pas une conclusion c’est une inclusion.

11. On ne peut pas s’empêcher de mourir

12. Le père mort est bien plus fécond que le père vivant

Mar 18.7.06, Moinous@aol.com a écrit : il faut absolument que je me remette au boulot sur HORS DU TROU – c’est le titre de ce roman – sous-titre MOINOUS A TOKYO…

Jeu 20.7.06, Moinous@aol.com a écrit : j’ai oublié de te dire ce que ma cousine Rosa a dit quand je lui ai téléphoné à Haifa au milieu d’une alerte

t’inquiète pas Raymond qu’elle m’a dit Rosa [je l’adore Rosa — elle et Roger avaient une bonne affaire à Liège — Rosa est Belge – Roger c’est mon cousin — on était chez eux en 1967 quand la guerre a éclaté en Israël — ils ont tout vendu — fait leur bagage et sont partis en Israël pour se battre — et ils sont restés —

Rosa me dit c’est chiant toutes ces alertes je peux plus aller faire mon yoga tous les matins – tout est fermé — même mon magasin — Rosa a un magasin dans lequel elle vend des choses pour les artistes — un "art shop" —

j’adore ma cousine [par mariage] Rosa – d’abord elle est belle, même si maintenant elle est devenue un femme d’un certain âge — et après elle est pleine de vivacité —

Roger lui c’est le type plus calme mais bon joueur de tennis — on a joué ensemble — je le battais mais c’était pas facile — il s’acharnait – il était ingénieur civil – lui et Rosa ont passé 20 ans dans différents pays africains — c’est là en fait où leurs deux enfants sont nés
— Marion et Remy – Marion vit maintenant avec son mari en Suisse – Remy, lui, il a passé beaucoup de temps en prison pour avoir participé trop souvent à des demonstrations anti-gouvernement — c’est un libéral à fond — Roger lui — il adore Israël – et pas pour de raisons religieuses – pas de religion dans ma famille de cousins — on est tous des anti-religieux – mais ça c’est une autre histoire — je disais Roger adore Israël — il est fier de ce que cette bande de juifs déplacés ou déconcentrationnés ont réussi à construire dans ce petit morceau de désert — faut voir ça

voilà ce que je voulais te dire, que j’avais oublié de te dire au sujet de mes cousins et cousines

► Lun 31.7.06, Moinous@aol.com a écrit : Que ferions-nous sans les femmes se demanda un jour le grand Sam – et il répondit on explorerait d’autres plis OUI tant qu’il y a des femmes explorons le pli féminin
** une fois, dans un avion assis à côté d’une jolie fille qui me demandait ce que je faisais dans la vie je lui ai dit que j’étais professeur de tennis et que j’avais même écrit une thèse de doctorat sur le revers dans le tennis – elle était tellement séduite par ce que je lui disais elle voulait tout de suite que je lui fasse voir comment on fait un revers.

*** In Praise of the Ass Hole

obscure and puckered
like a purple carnation
it breathes humbly
hidden among the moss
still wet of the lovingness
that follows the sweet
escape of the tears
into the hollow of its helix

Mar 1.8.06, Moinous@aol.com a écrit : tu crois que ça plaira à Juju –

le joujou de juju

il est pas grand
en fait
il est tout petit
mais il est beau
vu de loin
on dirait une petite souris
vu de près c’est plutôt
un oursin
si on le prend
dans sa main
il se referme comme une huître
mais quand il voit
qu’on veut pas lui faire mal
au contraire
alors il s’élargit
comme un beau sourire
non élargir n’est pas le bon mot
il s’entrouvre
comme s’il voulait nous faire voir
ce qu’il y a dedans
car les joujoux ont
un dehors et un dedans
sinon on dirait
seulement
jou
plutôt que joujou
pour ce petit truc-là
et on pourrait pas dire
juju
pour celle à qui
le petit truc appartient
si son joujou
n’avait pas un dedans
on dirait simplement
ju
et le titre de ce poème
serait alors
le jou de ju

, , , , , ,
rédaction

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2 comments

  1. Florence_Trocmé

    Superbe, merci, je l’ai croisé une fois au Reid Hall, à Paris, à la fois totalement simple et totalement impressionnant, incroyablement chaleureux, il donnait l’impression il vous connaissait depuis très longtemps. Son histoire et ses livres, quelque chose qui hante, avec le sourire ou une sorte de rire d’âme (en effet le rire est toujours tragique). Et j’ai eu le bonheur de recevoir, une fois, un mail avec ce merveilleux « moinous », d’ailleurs chaque fois que je tape « moi » dans la case adresse de mon Outlook pour m’envoyer quelque chose, juste en dessous, je vois « moinous » et c’est un peu comme une facétie de Raymond Federman. Sans parler de la profondeur de ce pseudo, si proche du moineau et qui englobe si bien l’homme et le monde.

  2. Fabrice Thumerel

    Merci beaucoup, chère Florence, pour ces mots qui sonnent juste : oui, ceux qui l’ont connu, savent que Raymond était « incroyablement chaleureux », drôle de « moinous » qui fascinait par son « rire d’âme » – lequel nous frappe encore dans ses écrits !

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