[Livre-chronique] Christophe MARCHAND-KISS, Situation sans évolution semblable

[Livre-chronique] Christophe MARCHAND-KISS, Situation sans évolution semblable

octobre 27, 2009
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
1 2708 5

Christophe Marchand-Kiss, Situation sans évolution semblable, Publie.net ; mise en page et proposition graphique : François Rannou et Mathieu Brosseau ; PDF écran et eBook (Sony/iPhone), 142 pages, 5,50 €, ISBN 978-2-8145-0270-3.

Ce conte poétique produit un effet semblable à une toile moderne : tout en surface, sans hiérarchisation des plans… êtres, choses, paroles, tout vous saute aux yeux/oreilles… magie d’un rythme scandé par de subtiles répétitions/variations, quelques jeux phoniques…

Présentation éditoriale (François Rannou)

On est dans « cette grande ville de l’Est » — pas de nom comme si l’orientation même impliquait un détournement, un retournement des repères. La description de la ville se veut objective, et en même temps celui-celle qui la traverse « n’a pas pris, littéralement, connaissance ». On suit une déambulation giratoire : où les voix intérieures-extérieures semblent abolir les frontières entre soi et la ville — ne forment qu’un « corps » sans accès, fascinant, qui se densifie du vide qui le traverse et l’offre au vent — « corps vent », « corps bourrasque » — c’est-à-dire à la dispersion. Pourtant le texte de Christophe Marchand-Kiss impulse un autre mouvement. Comme pour, au milieu du « marronnasse » du brouillard, permettre d’avancer en équilibre — le corps flottant est à la fois tendu comme un élastique et ramassé sur lui-même comme une bille de verre. Tout est question de vitesse, la bonne vitesse rend possible une perception aiguë de la ville — mais c’est notre monde dont il est question — et des moyens qu’a la poésie (celle, active, que voulait Ponge, et dont Christophe Marchand-Kiss est aujourd’hui un des meilleurs représentants) de le dire. Aussi parce que le réel toujours se rebelle « par dissociation », « par échappement », est-il question de conjurer cette fragmentation, non par une réunification impossible mais par un travail d’agrandissement des détails, comme des photographies dépeintes : rendre le noir et blanc à la nudité du temps, au visage dévisagé de l’Histoire et de la mémoire. Le mouvement du poème en suit les linéaments, les spirales, les courants (pour rendre possible une sortie de soi) dans une giration — et c’est la métaphore de l’écriture qui « va, court, rapide, va aux lisières (…), déborde, revient, vire et tourne (…). Elle ne se répète pas. Elle sabote, se sabote, s’extrait, épurée. Rien n’est oublié. » C’est dire l’ambition du travail de Christophe Marchand-Kiss, et la nécessité d’y aller voir de près !

Chronique : GVE…

"La giration, procédé honnête, consiste à ne s’attarder sur rien du tout en embrassant tout, diversité du tout et, en premier lieu, de la pensée"

GVE… Grande Ville de l’Envers, Grande Ville de l’Effondrement, Grande Ville Evanescente… Grande inVersion Etrange, Grand Vide Enonciatif…

Dans cette GVE qui se révèle peu à peu structurée par l’opposition est/ouest – lourde de signification historique -, on entend les voix de X, Y (un Frédéric surgit à la page 25, pour s’évanouir comme il était apparu), comme du rien… Y prévalent, au plan thématique comme grammatical, l’indéfini et l’impersonnel.

Si, parmi les faits contemporains majeurs, il faut ranger le renouvellement du romanesque par la poésie, alors il nous faut ajouter une pièce au dossier : la dernière création de Christophe Marchand-Kiss, qui alterne machinerie textuelle et images triviales, discours intérieur et poétique de la ville – laquelle fait songer au Nouveau Roman et réactualise ce procédé classique qu’est l’hypotypose.

La Grande Ville de l’Est nous apparaît comme étrange et familière à la fois (unheimlich, "infamilière"). D’une part, la toponymie doublant la traversée spatiale d’une traversée temporelle (Marx, Tchekhov, Rosa Luxembourg, etc.), nous sommes en terrain connu. Mais, d’autre part, nous assistons bel et bien à un mouvement de déterritorialisation qui nous confronte à "la Grande Ville de la négation, où rien, jamais rien, n’arrive positivement" ; à une ville-en-idée où les corps se perdent dans l’Histoire comme dans les histoires ; à une ville-mirage aux girations inouïes, où l’on rencontre une fille unijambiste, un garçon "qui n’est jamais"… à une ville paradoxale au "silence peuplé" : "dans la Grande Ville de l’Est, on doit s’attendre à tout, à l’exaltation la plus vive, à l’effondrement le plus profond"…

Ce conte nous offre, non pas un voyage en Grande Garabagne, mais un jeu de glaces entre apparition et disparition, visible et invisible, réel et virtuel, réalité et fiction (représentation), veille et sommeil, abstrait et concret, singulier et indéterminé, objectif et subjectif, recours et piège, effacement et correction…

, , , , , ,
Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

View my other posts

1 comment

  1. Pingback: Libr-critique » Vladimir POZNER, Les États-Désunis

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *