[Livre-chronique] Ecritures du vide : 1. Maud Basan, Tout l'été, par Fabrice Thumerel

[Livre-chronique] Ecritures du vide : 1. Maud Basan, Tout l’été, par Fabrice Thumerel

mars 30, 2017
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
0 3630 16
[Livre-chronique] Ecritures du vide : 1. Maud Basan, Tout l’été, par Fabrice Thumerel

Trois textes récents, qui se présentent sous des formes variées, font du vide le noyau de l’écriture : avant de nous consacrer à ceux de Jérôme Bertin et de Patrick Varetz, commençons par celui de Maud Basan, qui constitue son deuxième livre. En route pour le vide : psychique, métaphysique, social, scriptural…

Présentation éditoriale

Une femme, une femme seule au long de tout un été parle. Elle parle pour conjurer la solitude, elle parle pour ne pas devenir folle, ne pas disparaître. Pour continuer. Des souvenirs, des espoirs, des regrets. Du désespoir. Mais aussi du bavardage et de l’ivresse à parler, parler dans un mouvement qui se nourrit de lui-même et suggère une invention infinie, une liberté sans limite : « Tu voyagerais dans des pays nouveaux, inexplorés, tu parlerais les langues. Tu voyagerais en haute mer, tu franchirais à pied les cols enneigés et venteux. Tu endurerais la route interminable, les nuits sans sommeil. Tu connaîtrais le temps suspendu, la parenthèse ouatée des voyages en train, en avion, moment de rémission, suspens de tout et attente de tout, un espace pour rassembler ses forces avant l’inconnu, comme ces vieux avions qui faisaient autrefois le point fixe, moteurs à fond, toutes tôles vibrantes, avant de s’élancer de tout leur poids pour décoller, se soulever dans les airs. »
Comme un patchwork littéraire, ce livre est composé de fragments qui peu à peu s’organisent à travers leurs récurrences, des correspondances, des échos, des appels. Des genres s’y entrecroisent (journal, lettres, récits, fictions), ainsi que des textes écrits sous de féroces contraintes oulipiennes (notamment la contrainte du prisonnier), des tonalités s’y mesurent, de l’humour au lyrisme, de la mélancolie à la gaieté, pour mieux montrer cette pulsion vitale du dire à tout prix, dire le malheur, la tristesse, la solitude mais aussi la vie imbattable.

Maud Basan, Tout l’été, P.O.L, mars 2017, 220 pages, 12 €, ISBN : 978-2-8180-4168-0.

 

Chronique : To do or not to do… /FT/

"Attendre que ça finisse, est-ce que ce serait ça l’histoire ?" (p. 101).

En ces temps hypermodernes, l’aire du vide s’élargit exponentiellement : vide des êtres comme du monde mondialisé. Pour être devenu rare, le silence n’en est pas moins écrasant : celui de l’été, "saison violente" (22), est particulièrement oppressant. Entre un passé désormais interdit et un avenir problématique, non sans humour la narratrice Olga se heurte au temps dont la présence est insaisissable : "Je ne suis pas Pénélope, non plus Shahrâzâd, j’essaie seulement de prendre la mesure du temps, d’en trouver l’échelle, d’en saisir quelque chose. De saisir le temps qui est là, qu’on dirait immobile, et le temps qui arrive juste après, tout le temps qui vient, dont on ne sait pas la limite" (63). Et d’affronter le vide abyssal, celui de la solitude qui peut vous pousser à l’anéantissement. Conjuguer sa vie/son vide est une façon de les conjurer : "Avoir été, avoir eu, / a été, a eu, / est allée, est arrivée, est devenue" (125). Dans une perspective beckettienne, il n’y a pas d’autre issue que d’"attendre que ça finisse" : pas d’autre vie, pas d’autre histoire possible. Entre grammaire du verbe, TDL (To Do List), lettre d’adieu à ses proches et journal existentiel s’inscrit une écriture du vide sidérante. Sans oublier un discours macaronique destiné à la faire sortir de sa prison : "moi ninon vais vous causer en morse ou en russe, en araméen ancien, en romain suranné, en coréen, en saxon, en américain commun, comme serai à même, comme vous me suivrez" (29) ; "ô vos omnes, vous mes mêmes, si vous ne venez, au moins vous ouïrez mon ire, vous messieurs, mes women, mes cocos […]" (107)…

Que faire alors ? Écrire un roman ? "Un roman, c’est déjà fait, ça sert à quoi, il y en a tant, pourquoi passer tant de temps avec ça" (68). Au reste, non, la vie n’est pas un roman : "Alors, il ne se passera jamais rien ? […] Ne verra-t-on survenir soudain un nouveau personnage qui pourrait relancer l’affaire, apporter un peu de fraîcheur, de mystère ou suspense ?" (111). L’amour ? "De toute façon regardez, les couples, même les plus fameux, ça tourne mal, ça tourne au tragique" (36)… L’aventure ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Et le romanesque ? D’où le choix d’Olga de s’irréaliser dans un ailleurs utopique/eschatologique : "Tu serais libre, tu vivrais de rien […]. Tu voyagerais dans des pays nouveaux, inexplorés, tu parlerais les langues" (79 et 81) ; "Tu vivrais parmi les sauvages, les derniers habitants de la jungle amazonienne […]" (100) ; "Tu serais la dernière habitante de la planète" (157)…

, , , , , ,
Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

View my other posts

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *