[Livre + chronique] Jérôme Meizoz, Postures littéraires

[Livre + chronique] Jérôme Meizoz, Postures littéraires

novembre 4, 2007
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scènes modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007, 210 pages
ISBN : 978-2-05-102041-1
Prix : 33 €

[Quatrième de couverture]
Dans la modernité émerge et s’individualise la figure de l’auteur, livrée à la curiosité biographique d’un public croissant. Présent sur la scène littéraire, décrit et jugé par ses pairs comme par des anonymes, l’auteur assume désormais une présentation de soi qui constitue sa posture. Systématisée dans les recherches de Jérôme Meizoz depuis plusieurs années, reprise et discutée depuis par plusieurs spécialistes, cette notion s’avère stimulante pour comprendre non seulement le statut et les représentations de l’auteur moderne mais aussi les transformations de ceux-ci et leur impact sur l’ensemble de la pratique littéraire. En dix chapitres, cet ouvrage de sociologie littéraire propose une réflexion sur l’auteur et ses diverses postures. Plusieurs études de cas sont proposées, de Rousseau à Stendhal, de Ramuz à Giono, de Céline à Cingria, sans négliger plusieurs ouvertures vers des écrivains contemporains comme Pierre Michon ou Michel Houellebecq.

[Chronique] La sociopoétique de Jérôme Meizoz : une posturologie
Dans le vaste chantier ouvert par Bourdieu et prolongé par ses épigones et disciples, Jérôme Meizoz, sans doute parce qu’il est aussi écrivain, fait partie de ceux qui ne se sont jamais contentés de la reproduction mécanique d’une méthode. S’intéressant à "l’articulation constante du singulier et du collectif dans le discours littéraire" (p. 14) – confrontant les caractéristiques particulières de chaque écrivain à la série auctoriale dans laquelle il s’inscrit -, il enrichit la sociologie du champ par les apports de la sociopoétique (Viala) et de la linguistique pragmatique (Maingueneau), dont le dernier concept clé, celui de "champ discursif", révèle l’évolution : pour les analystes du discours, il s’agit maintenant de "rapporter l’oeuvre aux territoires, aux rites, aux rôles qui la rendent possible et qu’elle rend possibles" [1]Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, Armand Colin, 2004, p. 77.. C’est dire à quel point certains linguistes rejoignent les sociologues de la littérature pour pallier les lacunes de la poétique : les discours théoriques et critiques sur l’expressivité et la singularité du créateur, comme sur la réflexivité de l’écriture, achoppent sur la relation du discours littéraire aux autres discours sociaux. S’il est question d’une nouvelle "mort de l’auteur", ce n’est pas pour disséminer cette figure dans l’espace littéraire, mais pour en montrer la construction sociale : en fonction de la position qu’il occupe ou pense occuper dans le champ, l’"auteur" livre dans son oeuvre une image de soi qui, selon un système complexe d’interrelations avec l’espace de réception, deviendra posture, laquelle variera selon les rapports entre, d’une part, la position et les prises de position de l’écrivain, et d’autre part, les dispositions du public à son égard. Autrement dit, l’objectif de Jérôme Meizoz n’est pas, à la manière de Bernard Lahire dans La Condition littéraire (La Découverte, 2006), d’étudier le statut social de l’écrivain [2]J. Meizoz est toutefois intéressé par la notion de "jeu littéraire", que Bernard Lahire préfère à celle de "champ".. Son postulat : "un auteur n’est jamais, pour le public, que la somme des discours qui s’agrègent ou circulent à son sujet, dans le circuit savant comme dans la presse de boulevard" (p. 45). Et de s’appuyer sur ce constat : "Création collective des lecteurs, des médias et de la critique savante, l’auteur moderne sait plus qu’en tout autre temps qu’il entre en littérature sous le regard d’autrui" (187).
L’intérêt de cette démarche sociologique, comme en témoignent les études réunies dans ce volume, c’est qu’elle ne néglige nullement l’analyse formelle. Par exemple, dans Le Rouge et le Noir, perçu comme "fiction de violence symbolique", le critique met en évidence la façon dont Stendhal récrit Rousseau, penseur de la mobilité sociale : les compétences physiques et intellectuelles de Julien Sorel lui permettent de monter dans l’échelle sociale – cette ascension se lisant métaphoriquement dans le texte. Se concentrant sur la posture cendrarsienne du bourlingueur, il examine ensuite les structures duelles de Bourlinguer (1948) et, plus généralement, l’oralité revendiquée du roman parlant propre à l’écrivain-voyageur. Concernant la posture de l’authenticité prolétarienne, qu’il présente comme "un enjeu d’époque", il s’appuie cette fois essentiellement sur le manifeste de Poulaille, Nouvel âge littéraire (1930), divers textes critiques et la correspondance de Poulaille, Ramuz, Giono, ou encore Céline. Mais l’on retiendra surtout le diptyque centré sur la figure haute en couleur de Cingria (35 p.) : après avoir judicieusement abordé le compte rendu comme "genre dans le champ littéraire", le critique restitue "la scénographie cingriesque du compte rendu" (p. 170) et passe en revue les conduites verbales et non-verbales qui constituent son originalité ; enfin, il nous plonge dans la polémique entre le bouffon (Cingria) et le communiste (Aragon).
Quoique l’on puisse regretter que les chapitres soient d’inégale densité, force est de reconnaître que cet ouvrage vient parfaire une oeuvre critique qui apporte une contribution fondamentale à l’approche sociologique de la littérature.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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3 comments

  1. Abdel Moneim Nadia

    bonsoir
    Quelle est la definition de « sociopoetique »selon Viala ,et quelle est la definition de Meizoz?

  2. Fabrice Thumerel (author)

    Pour Alain Viala, la SOCIOPOÉTIQUE est l’étude scientifique de la signification dont l’objet ultime est l’idéologie de l’auteur ; cette démarche s’appuie sur un long protocole de recherche. Jérôme Meizoz reprend et développe sa théorie des prismes.
    Permettez-moi de renvoyer à l’article sur « l’oeil poétique de Meizoz » (sur LIBR-CRITIQUE, il vous suffit de taper « jérôme meizoz » dans le moteur de recherche en haut à droite), à celui qui va venir (« Pour une sociopoétique littéraire ») et à mon livre paru chez Armand Colin en 2002, Le Champ littéraire au XXe siècle. Éléments pour une sociologie de la littérature.

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