[Livre - news] A.C. Hello, Naissance de la gueule

[Livre – news] A.C. Hello, Naissance de la gueule

avril 8, 2016
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[Livre – news] A.C. Hello, Naissance de la gueule

À l’occasion de la rencontre de ce soir au Connétable (à 21H30, lectures A.C. Hello / Jérôme Bertin pour son Retour de Bâtard sur lequel nous reviendrons en détail : Le Connétable, 55 rue des Archives 75003 Paris), revenons sur l’un des textes les plus inouïs que nous ayons pu lire ces dernières années. Et, de l’auteure, on ne manquera pas de lire "Qui sort de la bouche", tout juste paru ce matin sur DIACRITIK.

A.C. Hello, Naissance de la gueule, Al dante, automne 2015, 120 pages, 13, ISBN : 978-2-84761-739-9.

"Ma gueule est une guerre dont
La vérité ne suffit pas" (p. 113).

Trop tard… vous avez franchi l’antre infernal, vous êtes tombé dans la gueule monstrueuse et grotesque… Dans un monde insensé. Ravagé. Dont les résumés internes de partie peuvent donner un aperçu :

1. Collision : "La fille à la bouche ouverte dont aucun son ne sort, remplie d’un gros fils de pute, stationne plusieurs semaines devant le périphérique pas loin d’une méduse. Elle dort chez une bouchère qui lui vole sa maison. Elle rencontre un poète qui habite avec des loutres. D’emblée un problème se pose : tout autour, il y a un petit type avec une tête de biscuit. Puis deux lèvres, un nez, un menton la poursuivent dans les rues et la frappent près du périphérique. Elle est emmenée à l’hôpital Saint-Louis. Sinistre en pays d’occupant et morte avec en plein dans les yeux le singe, elle demande une cigarette qu’on lui refuse. Et frappe un infirmier. Sortant de l’hôpital, elle découvre que son compte en banque a été vidé. Avec l’argent que le poète lui prête, elle achète un billet d’avion."

2. Kill : "La fille débarque en Floride. Un type, Stanislas, la ramasse au bord d’une plage sur laquelle elle vomit un carnaval. Il la loge dans une maison avec Emmy, une fille de dix-huit ans, qui s’imagine qu’elle est un baril de pétrole. La fille se fait des amis. Tous boivent beaucoup et deviennent idiots. Leurs conversations sont bizarres. Mais la fille parle à nouveau. La fille rentre soudain à Paris. Elle achète un cubi qu’elle prend pour son chien. Elle fait une performance à la Défense avec son cubi. Andy, un éditeur téléguidé par une puce, l’emmène un soir chez un artiste niais. Le, LE, fils de pute se redéploie brutalement dans la tête de la fille qui descend dans la rue."

Vous naissez de/dans cette gueule/golem issue de l’abîme des mots, de l’abîme des morts : "La bouche : cathédrale de rats morts. La bouche, ne souhaitant plus être un espace transitionnel pour l’intellectuel, le professionnel, le commercial, le culturel, le policier, le rationnel, l’artificiel" (p. 78). La gueule, c’est la mort de la bouche comme voie sociable, socialement lissée, c’est la bouche d’égout. Du dégoût qu’inspirent la Belle-Langue, la Langue-lisse des acacadémiques, celle des "belles figures définitives" (51) ;
le "monde surpuissant et sordide" des grandes surfaces (53) ;
Paris – cette "ville de merde, remplie de corbeaux oxygénés" (72) – et ses artistes domestiqués : "Artiste. Un statut chic, branché, moderne, partiellement saltimbanque, faussement subversif" (74)…

La gueule, c’est le flot de rage que rien ne saurait arrêter : "Strictement rien n’arrêtera cette rage, qui se concentrera exclusivement sur le malaise ontologique de ces blaireaux de merde, en habits d’apocalypse, dont la cervelle remplie d’attractions illimitées, tend des sucreries à des jambes, des poitrines, des nez et des crânes, afin d’établir des contrats" (72). La gueule, c’est une langue abâtardie, une langue coupée, une langue claque-tête, une langue idiolectale qui fait parfois penser à celle de Guyotat. La langue dérape pour dire le nauséeux, le vertigineux. Une langue dont la forme poétique éclate dans la dernière partie ("Claque-tête"), qui donne des coups d’R dans le Réel :

"[…] Tout un
Peuple mis au rencart par la ran
Cune. Marchandises rangées
Sous l’autorité carcasse des rapa
Ces avides. Enfiler les vêtements
Râpés que tendent les rapiots
Tandis que les rascasses rapinent
Les émeraudes et le bacarat. Des
Coups de feu se rapprochent ra
Pides. Le sang coule raide. On
Rapporte les corps. Un haut dé
Gradé fait son rapport. La vie se
Raréfie, la Race raque, rasibus en
Tre les éclats, sa rapûre mise au
Feu, le crâne rasé, rapetissé, l’es
Poir raccourci. Les rats rassasiés
Ricanent de bile noire puis se ras
Soient, rassérénés : dix corps ra
Tatinés à leurs pieds, ça les rassu
Re les rassis […]" (88-89).

Avec cette "Chanson rabâchée de bâtard lan / Gue arrachée" (90), ce "monologue boiteux sans co / Quille" (99), on est bel et bien à cent lieues du VRAI si souvent plébiscité de nos jours, d’un Vrai qui, "nom d’une pute borgne, est un sale mot trop facile" – "Le Vrai, cette garce terne, plate en tout sens, cette fouine qui s’est photocopiée, décourageant la sincérité" (53).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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