[News] Lancement de la collection

[News] Lancement de la collection « Le Livre/la Vie » (3/4), collection dirigée par Isabelle Grell

novembre 8, 2011
in Category: News, UNE
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Georges-Arthur Goldschmidt, En fond de vied’après Anton Reiser de Karl Philipp Moritz, 83 pages, 12 €, ISBN : 978-2-350-18304-6. [Lire la présentation de la collection]

Préface de Isabelle Grell

"On ne lit au fond que pour trouver la certitude du semblable comme une preuve de soi par autrui." D’entrée de jeu, le ton est donné. En connaissance de cause, Georges-Arthur Goldschmidt (1928) a choisi son livre, sachant que l’enfer, c’est les autres. Qu’on n’existe dans la vie réelle que par le regard d’autrui, comme dirait l’autre, de vingt-trois ans seulement son aîné, dans son Saint Genet, comédien et martyre. Anaïs Nin qui, avec Georges-Arthur Goldschmidt et Anton Reiser, partage cette obsession du corps, dans la honte comme dans le plaisir, dans l’onanisme et la jouissance, elle aussi, se rendait compte "que les gens ne jugent pas la littérature objectivement comme une œuvre d’art. Un livre est presque entièrement jugé selon le besoin d’une personne, et ce à quoi les gens réagissent, c’est ou bien à un reflet d’eux-mêmes, un miroir à plusieurs faces, ou une élucidation de leur époque, un intérêt porté à leurs problèmes, leurs craintes ou une atmosphère familière qui les rassure par sa familiarité."

Lire serait donc l’acte suprême pour sauver ce qui est en soi, pour braver l’impuissance de l’homme. L’impuissance de l’enfant tout d’abord, car l’enfance tient dans ce magnifique texte de G-A Goldschmidt une place prépondérante, la "chosification de soi" que chacun de nous, petit, a ressenti, cette néantisation, que les adultes nous impose bien trop souvent inutilement.

Mais l’histoire de Goldschmidt n’est pas la nôtre. Il est né avant nous, qui tenons là, entre nos mains, ce livre. Ce sera la lecture d’Anton Reiser qui entraînera l’enfant qu’il fut, le Juif protestant qu’il est, à rompre, à surmonter la honte, l’humiliation, jusqu’à enfin parvenir, par l’écriture, à esthétiser le meurtre de l’identité. Karl-Philipp Moritz le guidera à la maîtriser, cette honte d’être VU, dénoncé. A la retourner, même.

La maîtrise de la dénégation de soi, il fallait la conquérir. Elle ne s’offre pas. Il faudra passer par ce que seules certaines grandes âmes réussissent: l’oubli de soi (afin de ne plus se considérer comme étant le souffre-douleur d’une société qui vous dénie, maltraite, martyrise, humilie). L’oubli de soi passe d’abord par le corps. Comment mieux s’oublier qu’en s’offrant à soi-même, en se donnant la volupté, en récupérant ainsi son corps, contre les autres qui voulaient en prendre possession par des coups, coups qui laissaient des traces sur la peau, dans la chair.

L’onanisme, pour Reiser et Goldschmidt, pour un personnage inventé et un auteur bien vivant et réel qui se fait personnage dans ses autofictions, est, dans l’adolescence, l’ultime représentation de la reconnaissance de soi. L’imagination créatrice naît au moment même où le JE se dédouble, où on se "regarde marcher", déniant le mépris d’autrui : "Ainsi l’adolescent avait-il su qu’il ne céderait jamais et que la honte tant éprouvée, celle qui vous remonte à travers le corps, n’était que le signe le plus visible qu’on était celui qu’on était, la honte, une enseigne de soi qu’on brandissait au-dessus de soi" (p. 9).

La terreur devant les châtiments corporels et psychiques qu’éprouvent Anton et Georges-Arthur se métamorphosera rapidement en étonnement de pouvoir survivre à cette honte d’exister (l’un pour sa pauvreté, l’autre pas son statut de "vermine", de Juif) et aura comme aboutissement la fuite. Combattre la suffocation initiale contre laquelle, jusque là, ils ne pouvaient que s’enfoncer le poing dans la bouche et hurler leur désespoir. "L’enfance, en effet, ne fut que hurlement, fureur, déchirement et hâte", écrit Georges-Arthur Goldschmidt dans Le Poing dans la bouche (Verdier, 2004).

Comme le Genet de Sartre, auquel se réfère l’auteur de cet ouvrage, les deux adolescents fuiront la réalité en partant, là où personne ne les attend, et en se prenant pour le fils de Dieu. Ils ne tenteront plus d’apaiser leur honte, ils la brandissent au contraire, défiant ceux qui les humilient, reconquérant l’innocence, cette "innocence [qui] n’est qu’un contretemps de la culpabilité". Georges-Artur apprend, comme Anton, à dire "Je", assumant ainsi sa misérable aventure, et ceci, après être passé par le corps, en apprenant la langue des autres, cette langue étrangère. Le Grevisse devient pour Genet son livre de chevet, le Larousse celui de Goldschmidt. Reiser lui aussi lit abondamment. L’excitation de comprendre, de s’ouvrir, devient recherche, et non seulement recherche de soi, mais recherche de l’autre en soi. L’onanisme est dépassé. La lecture a pris sa place. Le miroir, celui que vous renvoie à vous-même est là, dans les pages tournées à toute vitesse, ou, avec alanguissement, parfois. Reiser, Goldschmidt se reconnaissent. Se construisent contre, tout contre. A travers les Confessions, par exemple. La comparaison n’est pas fortuite puisque, pour nos héros comme pour Jean-Jacques, toute la vie future et plus particulièrement la vie sexuelle aura, en définitive, dépendu de l’expérience – traumatisme et jouissance masochiste mêlés – de la fessée administrée par une femme, ou sur l’ordre d’une femme.

Maintenant, il s’agit de vivre l’emportement de soi dans l’autre au lieu de se prélasser dans la simple connaissance de soi aussi romantique soit-elle. Comme Hans dans Les Séquestrés d’Altona, Reiser et Goldschmidt détestent les victimes quand elles respectent leurs bourreaux. Et plus jamais, Goldschmidt ne sera tout à fait victime de la comédie qu’il se joue. Il ira plus loin, Goldschmidt, avec Reiser dans sa poche, car il sait que le langage, ce moyen de se justifier au moyen de la parole ne cesse d’être incompréhensible, exorbitante. Qu’il est impossible de prouver son innocence par la parole.

Le grand tournant se place ici-même : Si le langage n’est pas à la hauteur de la vérité, ce sera… l’écriture. Cette écriture étant ressentie comme une voix venant du fond de l’existence. L’écriture ne passera pas par la parole, mais par des images, d’abord, puis par la découverte du miroir, devant lequel toujours, Reiser et Goldschmidt passaient sans s’y voir en entier. Images, lectures, miroir, voilà les ingrédients pour devenir "géographe de la connaissance de soi". Du soi-disant vice de l’onanisme, ils arrivent à une autofiguration de soi, une invention de soi. En se faisant contre les autres, mais avec eux, en se démultipliant. Le Romantisme est dépassé, la modernité l’a écrasé. Fini de l’intériorité. Fini du roman de formation. C’est le travail de mémoire – et de ce qu’elle cache – qui tiendra la plume. Le fait d’être conscient du theatrum mundi dans lequel on n’est, non plus une quille, mais la main qui tient la boule, fonde l’écriture engagée. Montrer la honte subie, la dépasser par l’écriture, réinventer le soi, récrire, récrier toujours et encore la géographie du langage, le sien, celui des autres. Ici est la reprise de soi. La reprise tout court.

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rédaction

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2 comments

  1. jean-nicolas Clamanges

    Révérence sincèrement gardé envers A. Goldschmidt (à tant de titres!), il y a, je crois, aussi autre chose (que d’autobio/fictio/onanoragnagna, etc.) à dire sur K. Ph. Moritz et son « Anton Reiser » (disponible en traduction française depuis pas mal de temps): notamment ces deux-là: 1. débat aigu avec le spinozisme façon Goethe (cad refus désemparé mais résolu de la voie ‘nécessitariste’ à l’égard de l’idéologie « fataliste » des Lumières radicales. Et puis 2. son interrogation constante (et rationnellement/passionément instruite selon les moyens propres du ‘roman de formation’) à l’égard de la mystique (des Rhéno-flamands à Mme Guyon): soit le débat avec le piétisme (qui concerne d’ailleurs aussi Goethe, cf. le ch. sur « La confession d’une belle-âme »‘ dans le « Wilhelm Meister »).
    Tout de même… c’est fou ce que notre époque a le don d’oublier de ce qui la fonde!
    Qui considérera cela (la mystique) comme obsolète (subversion moderne, youpî, youpi! a bas le religieux, vieille toupie dangereuse..) devra se demander par exemple pourquoi les « derniers vers » de Rimbaud paraphrasent des « chansons spirituelles » de grande obédience, et devra aussi méditer comment Novarina qu’on aime tant ici (allez: lisez vraiment, pour de bon, mot à mot, le « Monologue d’Adramelech »…! ) a assimilé/travaillé plus qu’à fond cette spiritualité (et sa source biblique). Sans doute, le XVIIIe siècle français lui a taillé un costume de néant (qui ne lui va pas si mal d’ailleurs): mais Rousseau en savait encore quelque chose… Moritz aussi, et de plus près même. Et puis ça s’est transmis vaille que vaille…
    Assez de l’auto-machinchose qui n’intéresse plus grand monde, non? ces gens là croyaient l’inquiétude métaphysique vaut seule de se mettre en peine d’écrire – pour autrui.
    JNC

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