[Texte] Stéphane Rouzé, <em><strong>L'Arche de Moinous</em></strong> (5)

[Texte] Stéphane Rouzé, L’Arche de Moinous (5)

septembre 4, 2009
in Category: créations, UNE
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Voici la cinquième livraison (lire la quatrième) de l’hommage que Stéphane Rouzé a souhaité rendre à son ami Raymond Federman pour ses 81 ans. Avant que ne soient (ré)édités chez Léo Scheer, le 9 septembre exactement, Les Carcasses et La Fourrure de ma tante Rachel, celui qui a traduit À la queue leu leu et anime le site Lelem nous offre ce "récit qui avance tant bien que mal", dans lequel on retrouve les caractéristiques formelles (oralité, désinvolture narrative, art de la digression, phrasé syncopé) et thématiques (blagues, histoires de nouilles, de mouches, de culs) de l’incomparable écrivain…

On pourrait aussi inviter Marilyn sur l’Arche parce qu’au niveau de la baise elle est terriblement expérimentée — ou Susan pour une baise sophistiquée — ou encore Mary ou Peggy — on ne se souvient pas de son nom — tu sais la fille qui vient de Milwaukee — rencontrée sur le pont du navire qui emmène Moinous à Nouillorque — que c’est romantique — ou bien la mère d’Ernest — ou encore Sucette la jeune fille de bonne famille qui manifeste à Washington Square et avec laquelle Moinous fume des gauloises après l’amour — et toutes les autres petites amies imaginaires (RF n’accorde-t-il pas autant de force aux souvenirs imaginés qu’aux souvenirs vécus) — et Josette la fermière pour la branlette – mais pas le facteur qui la baisait par l’arrière – ouvrons ici une parenthèse — ( car le souci avec la vie en société est qu’il se trouve toujours dans le voisinage un con – un seul con suffit – pour foutre en l’air la belle harmonie qui existait jusque-là, tremblotante c’est vrai (et ce parce que l’harmonie est une vieille fille un peu frileuse qui aime par dessous tout se réchauffer aux premiers rayons du soleil ou au coin d’un bon feu de bois) – Il peut parfois même se trouver que ce con soit de la famille, ou pis encore, appartienne au noyau dur du foyer. Il se peut même que l’on soit ce gros con. Soit dit en passant, on est toujours le con d’un autre, l’empêcheur de tourner en rond. Habituellement le con agit à la manière d’un nuisible dans le seul objectif de satisfaire uniquement ses propres besoins, ses seules envies, en gros con d’égoïste qu’il est et ce sans se soucier du bien-être d’autrui. Dans une file d’attente par exemple, ce gros con chopera la place de son prédécesseur dès que l’occasion lui en sera donnée. Je doute fort que les contemporains des autres époques aient été meilleurs que nos contemporains – un bref coup d’oeil dans le rétroviseur de l’histoire humaine en attestera – mais il semble que le nombre de gros cons d’égoïstes va en s’accroissant exponentiellement et avec leurs nuisibles incivilités. Et pourtant, les prises de tête ont bien souvent pour origines des points de départ des plus ridicules. Les exemples ne manquent pas… Vu la gueule de bois que tient le Monde, il n’est pas loin le temps de l’ensauvagement, quand le plus fort en gueule ou en bras, le plus malfaisant fera encore plus qu’aujourd’hui régner sa loi.)

— Fermons ici la parenthèse–

Et ======> Donc — Donc Donc — ah ce mot Donc — aucun autre mot que Donc n’est aussi tranchant qu’un couteau —
Et ======> Donc

EN CONCLUSION IL CONVIENT D’INTERDIRE L’ACCES A L’ARCHE DE MOINOUS A TOUS CEUX QUI POURRAIENT FOUTRE EN L’AIR LA BELLE HARMONIE QUI Y REGNE

— Eh dis — et si l’on en profitait pour dresser dès à présent la liste des tricards de l’Arche de Moinous – la liste des interdits de séjour — oui ce sera une bonne chose de faite –

LISTE DES TRICARDS
— ou des plus ou moins tricards car rien n’est définitif sur l’Arche de Moinous —

Gaston l’éditeur aux yeux en trous de bite
tout autre personne ayant des yeux en trous de bite
le facteur baiseur
toujours issu du Retour au fumier le curé collabo
tous les autres vieux collabos
par peur des représailles Benny le cocu d’Amer Eldorado
ou Ernest de Quitte ou Double
les saintes-nitouches comme Bernice
les comptables
les traders
Maître Bonvalet ce pick-pocket
Palucci et sa bande
mais aussi les sales lousy dirty rectificateurs d’Amer Eldorado les cacadémiciens
les grammairiens
les fondamentalistes de tout poil
les extrémistes religieux
les extrémistes tout court
et l’esprit de sérieux en général
&
la ponctuation
on allait oublier
Ni virgules No more comma
Ni point-virgules Neither semicolon
Ni guillemets Nor Quotation mark
Non à la ponctuation No punctation
La ponctuation punctation
est un corset is a corset
qui empêche to prevent
les mots de bouger words from moving
nous us
n’aimons pas ça hate them
juste des tirets Just dash
Double tirets Double dash
comme ça like that

— la liste des tricards pourrait être bien longue encore — peut-être même infinie dans les deux directions —

A contrario l’Arche de Moinous serait une terre d’asile pour tous les traîtres à la cause de la langue française – pour tous les estropiés – tous les damnés de la Terre — Loulou – Ernest — les clochards célestes — les bums — compagnons d’infortune en tout genre — et tous les autres — on s’abstiendra d’en fournir une liste plus ou moins longue car on risque d’en oublier tant ils sont nombreux – ce serait un foyer — un cocon familial — **** — un refuge pour tous les amis de RF — Sam for beginning — GT — JW– LM – TH — GC — WE — DR — RB –CP– NQ — Jules & Juliette — LL — JE — RS — MD — LC– BT — on s’abstiendra d’en fournir une liste plus ou moins longue car on risque d’en oublier tant ils sont nombreux — mais aussi les personnages imaginaires comme Godot — Molloy — Malone — Cyrano — Fantômas — Robinson Crusoé des Nouilles — ah Gudule –Popeye — Pozzo qui est un puits de conneries sans fond – etc. — la liste pourrait être longue —
A noter — puisque notre planète Terre est toute cabossée — il n’ y a pas de raison que le navire — on veut dire l’Arche — que l’Arche de Moinous n’ait pas quelques bosses — des cicatrices — des traces des accidents de l’Arche avec d’autres navires ou des chocs avec la terre lors de l’accostage — Pendant son voyage l’Arche aura certainement essuyé de fortes tempêtes et des orages — des vagues hallucinantes de quelques mètres au risque d’être submergée — il se peut même que plus d’une fois l’Arche ait pris l’eau — que les occupants de l’Arche de Moinous aient de l’eau jusqu’aux chevilles — et qu’elle ait même failli chavirer — mais comme disait saint Augustin Ce n’est pas le chemin qui est le difficile mais le difficile qui est le chemin — Tiens il nous vient une idée — très federmanienne — Imaginons un instant que la Terre soit une planète cubique — il ne serait certainement pas commode de circuler — les routes seraient toutes en angles droits — elles donneraient à cet endroit directement sur le vide — si bien que les automobiles chuteraient inévitablement — d’ailleurs à force de choir — les hommes abandonneraient les routes et les automobiles — il ne serait pas plus commode de circuler en bicyclette — il n’y aurait pas intérêt à créer la roue — de la même manière il serait difficile de circuler dans les airs — toujours ce problème des angles droits — faut être un sacré pilote pour faire piquer ainsi son avion à 90 ° — et même si le pilote y parvenait — il y aurait de fortes chances pour que l’avion vienne s’abîmer à la surface de la cubique Terre — il ne serait pas commode non plus de circuler sur les crêtes — sur chacune d’elles on peut supposer qu’il y aurait des glaces éternelles ou une banquise — les vents y seraient extrêmement violents — La Terre — si elle était cubique — aurait douze pôles — tous plus difficiles les uns que les autres à pratiquer — qu’en serait-il de la circulation par voies navigables — du fait de l’existence de ces foutus angles droits les plus petites rivières se transformeraient en chute d’eaux vertigineuses à un moment ou à un autre de leur parcours — l’eau tomberait de la planète Terre comme une longue chevelure si bien qu’il n’y aurait à force plus d’eau sur la planète Terre — Au regard de toutes ces considérations le voyage de l’Arche de Moinous serait rendu impossible ou du moins très difficile — à moins que l’Arche ne se déplace par glissements successifs à la manière d’un aéroglisseur — mais alors l’Arche de Moinous ne serait plus l’Arche de Moinous mais l’Aéroglisseur de Moinous — ce qui donnerait un tour un peu trop sophistiqué à toute cette histoire — bon j’arrête là la digression — il est bien entendu impossible de rendre impossible la digression sur l’Arche de Moinous — car la Digression est un hôte permanent et privilégié de l’Arche de Moinous — la Digression circule constamment — fait les cent pas sur l’Arche — se faufile entre les lignes — et saute-moutonne d’un roman à un poème de Federman à un autre —

étant donné que l’Arche Moinous serait une vieille chiotte tout cabossée comme la vieille chiotte de Buick avec laquelle RF traverse les You-S-A d’Est en Ouest — il y aurait un grand nombre de trous sur l’Arche de Moinous — si bien qu’il serait aisé d’y jouer au golf — d’y faire comme sur n’importe quel green des coups à 81 — oui 81 — de faire des eagles ou des birdies — c’est surtout Moinous qui parviendrait à faire ce genre de coup — et ce sans forcer son talent — Il ne faut jamais forcer son talent — les autres résidents seraient pour la plupart des Duffers — des mauvais golfeurs — toujours contents — et ce même lorsque sous l’impact de leur swing — leur balle atteint inexorablement l’eau qui fortuitement se trouve autour de l’Arche de Moinous — car le rough de l’Arche est constitué uniquement d’eau — et c’est bien là le seul mais très ennuyeux inconvénient de l’Arche de Moinous — car au final cela revient au même que la balle soit tombée hole in one dans le trou ou hors du fairway — car dans tous les cas la balle tombe systématiquement et définitivement à l’eau — et reste irrécupérable — pas moyen de la récupérer — c’est dire combien compte sur l’Arche de Moinous plus que sur n’importe quelle autre practrice la beauté la perfection la maîtrise du golfeur — c’est la seule beauté du swing qui compte et subsiste dans la pratique du golf sur l’Arche — Sur l’Arche de Moinous on mesure ainsi la classe d’un joueur de golf au fait que ses coups ne sont pas trop approximatifs — à la qualité de ses slices — au fait qu’ il ne produira pas de divot — au regard de ces critères — on pourra dire de Moinous qu’il est un bon golfeur —

Mais en réalité — on a omis de vous dire que les résidents de l’Arche de Moinous passent l’essentiel de leur temps à fainéanter — car il n’ y a pas de place pour le sale boulot d’usine sur l’Arche — pas question de trimer sur des machines aux cadences infernales — pas question de s’escrimer avec des machines qui roulent des mécaniques — pour la simple raison qu’il n’y a pas d’usines sur l’Arche de Moinous — aucune usine d’abat-jour — aucune usine de chaussures — etc. —pas besoin de suer comme un con sur l’Arche de Moinous — pas question de perdre sa vie à la gagner — du coup les résidents passeraient l’essentiel de leur temps à rêvasser — passeraient l’essentiel de leur temps à fainéanter — et fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations — tu peux nous croire –s’ennuyer & rêver il n’y a pas meilleures terreaux pour laisser pousser les belles plantes de l’imagination — on peut voir — les yeux fermés — bien plus de nouveaux mondes — que n’en a vu Colomb — qu’on ne verra jamais — combien d’événements impossibles le deviennent une fois les yeux fermés — ah oui qu’est-ce qu’on peut rêver sur l’Arche de Moinous — ah ce qu’ils peuvent en créer des mondes — imaginaires — incroyables — hauts en couleur — la réalité — rien à fichtre — foutre — les résidents n’y font que quelques rares excursions — ou incursions — les résidents rêvent à un tas de trucs — plutôt que de les vivre en réalité — ils imagineraient ce qu’ils pourraient faire ou vivre — c’est moins fatiguant — et tout aussi enthousiasmant — ils vivraient pour ainsi dire par procuration — les résidents de l’arche rêveraient à un tas de trucs comme le baisage — rêver le baisage plutôt que de baiser n’est pas moins jouissif — les baises rêvées sont parfois bien plus intensément ressenties que les baises réelles — car vécues pour ainsi dire de l’intérieur — réfléchis-y bien toi qui lis ces quelques lignes à l’instant — n’as-tu jamais joui dans tes draps alors que tu dormais — les résidents rêveraient aussi de
blow-jobs de pipes de pompages — rêveraient de bouches qui sucent de bas en haut — de haut en bas — qui mordillent puis sucent en biais — et de langues qui pourlèchent — rêveraient de minous pourléchés –les résidents rêveraient aussi de branlettes en solo & de solos de jazz & de branlages collectifs — de branlettes à la main — de branlettes espagnoles — et rêveraient d’espagnolades — rêveraient de dégringolades down down et d’ascensions fulgurantes — rêveraient de poker de jeux roulettes & de craps — rêveraient de nouilles dans tous leurs états — de crèmes caramel– de clopes et de baises à nouveau — parce que la clope appelle la baise et inversement mais aussi rêveraient de sauts en parachute — ah les sauts en parachutes — ah les sauts dans le vide — quelles sensations — ils rêveraient même qu’ils se racontent des histoires et se voient rêvant en train de raconter l’histoire de l’Arche elle-même —

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rédaction

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