[Texte] Vincent Tholomé, STEPPE, un grand dire (extrait de quelque chose en cours)

[Texte] Vincent Tholomé, STEPPE, un grand dire (extrait de quelque chose en cours)

avril 20, 2010
in Category: créations, UNE
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STEPPE ? Le grand dire STEPPE ? Ça serait l’épopée triste et grotesque de garçonnes. D’une bande de filles végétant dans la steppe. La toundra froide de Sibérie. Ça serait comme la mémoire d’une troupe de guerrières en train de disparaître. Ça raconterait une dernière fois les affaires. Toutes les affaires. Tout ce qui arriverait, serait un jour arrivé, aux garçonnes. Ça le ferait dans un grand dire. Un flot de paroles, brassant les choses passées ou à venir. Ça le ferait dans une langue qui serait une machine à écrire. Une machination recyclant des bribes, des pans entiers de ma bibliothèque personnelle. STEPPE ? Le grand dire STEPPE ? Oui, ça serait d’abord ça. Une machine. Une façon très précise de métamorphoser, recycler, digérer, un bon millier de phrases. D’anecdotes. Un puzzle à mettre en place lentement. En suivant exactement à la trace ce qui, petit à petit, est en train de surgir. D’émerger du grand bouillon. Dans STEPPE, il n’y a pas de plan pré-établi. Les choses suivent leur cours. Se mettent en place d’elles-mêmes ou ne le feront pas. Toutes mes tentatives de presser le pas, d’organiser par un coup de force le chaos de STEPPE, ont été un échec. Peut-être qu’un jour la matière prendra la forme exacte dont elle rêvait dès le début de l’affaire. J’en ai pour des années à écrire STEPPE. L’ensemble de STEPPE. Par contre, des extraits paraissent ici ou là. Sur Remue.net. Dans les Cahiers de benjy. Ailleurs aussi, sous d’autres formes. Dans des revues. Fusées. Ouste. Moebius. Pyro. On verra plus tard ce que cela donnera. Biz. Vincent.

Voilà les vies. Les petites vies sages des garçonnes. Des furies des toundras. Des superbes nanas aux hanches larges. Nous serions mères et filles. Et femmes et soeurs. Nous serions tout à la fois. Nous discuterions. Plaiderions. Couperions les têtes aux lapins. Aux enfants méchants. Aux nanas circulant sans chemises. Aguichant nos maris et nos frères. Nous accepterions la viande. Boirions le jus des pierres. Attraperions des garçons et des filles. Les nouerions au lasso. Nous enlacerions leurs corps. Les tiendrions au chaud dans un cocon de chanvre. Les enfouirions dans la terre. Les maintenant vivants à coups de gourdes. De grandes goulées de jus de viande et de légumes. Ferions la moue à nos hommes. Les bouderions. Leur tournerions le dos. Les enverrions paître. Se rafraîchir dans les rivières. Leur enverrions des cuillerées de purée à la figure. Leur décocherions des flèches. Jouerions le grand jeu des femmes indignées. Délaissées. À l’abandon. Nous serions folles d’inquiétude, dirions-nous. De jalousie et d’inquiétude. Pleurant. Coupant le bois à la machette. Puisant l’eau dans les réservoirs. Les immenses silos à grains maintenant vides éparpillés ici et là dans la plaine. À l’abandon. Décapsulés. Ouverts à tous les vents. Toutes les bises des toundras et des steppes. Nous nous perdrions dans le travail. La foule de choses à faire. Taillant les peaux de bêtes. Cousant des mocassins. Présenterions nos hommes nos frères et nos enfants au soleil. Tous les matins. Les montant sur la mesa. Les portant sur nos dos. Ils fermeraient les yeux. Nous serions des géantes. Des femmes cheval et des femmes araignées. Nous inventerions des rituels. Des moyens ultra sûrs pour appâter. Conserver près de nous nos maris nos bambins et grands-pères. Les lèverions nus dans les airs. Les présenterions aux quatre points cardinaux. Leur laverions la tête et les testicules. Les lessiverions à la mousse des prairies. Au lichen rêche. Enlèverions de leurs yeux et de leurs têtes toute mauvaise pensée. Les rincerions à l’eau claire. Les préparerions ainsi aux combats. Aux raids à venir. Tremblant nous autres à l’idée de les perdre. Dirions-nous. Passant sur yeux une purée de jeunes oignons. Pleurant pour du beurre de tout notre coeur. Nous oindrions nos grands bébés de la tête aux pieds. Les enduisant d’un baume immonde. Un baume d’amour. Dirions-nous. Préparerions un repas frugal avec quelques brindilles. Chiquerions des écorces de bouleau. Ramènerions nos gars nos gaillards au camp. Les tenant par la main. Toujours nus. Sans chaussures. Sans pantalons. Nous les mènerions sur des sentiers étroits. Escarpés. Dangereux. Il ne serait pas rare que l’un d’entre eux chute. Se fracasse en deux dans la faille à délivre. Des ronces incisives se frotteraient à leurs mollets. Nous percerions leurs oreilles. Glisserions dans les lobes des lacets de cuir. Notre lait coulerait en abondance. Nous les baptiserions. Leur donnerions de nouveaux noms. Leur donnerions à boire du jus de poisson sans sel. Nous soufflerions dans leurs nez la farine de maïs. Le sucre impalpable. L’ail en poudre. Nous leur confectionnerions des fourreaux. Des armures où ranger leurs bites. Leurs petites affaires intimes. Nous les leur placerions nous-mêmes. Entre les guirlandes de plumes et les peintures à la chaux. Les stries blanches et les cercles colorés. Indélébiles. Habillant leurs corps d’athlètes. Leurs torses musculeux. Leurs cuisses puissantes. Leur recommandant de porter leur gaine dure si jamais. Dirions-nous. Baissant soudain les yeux. Pudiques. Soumises. Ne pouvant rien faire d’autre. Dirions-nous. Fixant solidement les remparts. Les rampes de lancement. Les hangars à fusées. Nous, désirant plus que tout qu’ils reviennent entiers. Dirions-nous. Malgré tout. Ce qui pourrait se passer. Ailleurs. Au-delà de l’horizon. Dirions-nous. Prenant un air triste. Nous mouchant très fort. Ostensiblement. Les laissant partir. S’en aller. Prendre place dans les camions. Devant ou derrière. Dans leur costume grotesque. Effrayant mais grotesque. Stupides animaux des toundras. Stupides chiens. N’osant rien nous dire. Nous laissant faire. Nous. Leurs nanas. Mères de leurs enfants. Nous les accompagnerions en courant. Menaçant de chuter. De mourir écrasées. Écrabouillées. Sous les roues des véhicules. Des machines pesant des tonnes. Aux roues grandes comme des hommes. Broyant la terre. Le permafrost. Le sol gelé de Sibérie. Nous répandant nous autres en larmes. Restant couchées sur le sol. Couvrant nos têtes de poussières. De pollen. De restes de repas. De n’importe quoi. Théâtralement. Jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Regagnent l’autre monde au-delà de l’horizon. Nous relevant ensuite. Nous tapant dans les mains. Tope-la. Riant aux larmes. Pissant de rire. N’en revenant pas du bon tour que nous viendrions de jouer. Une fois de plus. Dirions-nous. Nous serions comédiennes. Excellentes actrices. Échangeant entre nous des clins d’œil. Sortant nos coutelas des ourlets de nos chemises. Nos lames solides et tranchantes. Nous précipitant jusqu’aux failles. Délivrant nos amants. Dirions-nous. Nos futurs amants. Nos futures amantes. Escamotés dans la terre. Nous les exhumerions. Coupant net leurs liens. Les sortant de l’ombre. Des tranchées sombres. À coups de bêche. De fourches et de bêches. Nous œuvrerions dans la joie. Admirant tout à coup leurs peaux claires soudainement touchées. Tachetées. Brûlant au soleil. Les époussetterions. Les couvrant de baisers. Mouillés. Les lavant de nos larmes. Nous les couvririons de couvertures. De peaux de bêtes. Chaudes et imperméables. Les mènerions par la main. Jusqu’aux tentes. Jusqu’à nos yourtes blanches et bruissantes. ébouriffant des doigts leurs cheveux longs et gras. Amadouant leurs coeurs. Leurs chers coeurs d’êtres farouches. De petits poneys perdus. Mangeant soudain dans nos mains. Nous chatouillant les paumes de leurs langues.

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rédaction

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