[Chronique] Elizabeth Prouvost et Claude Louis-Combet, Les Guenilles, Edwarda, par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Elizabeth Prouvost et Claude Louis-Combet, Les Guenilles, Edwarda, par Jean-Paul Gavard-Perret

avril 27, 2016
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Elizabeth Prouvost et Claude Louis-Combet, Les Guenilles, Edwarda, par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Guenilles, Edwarda, 50 photographies de Elizabeth Prouvost accompagnées par "Edwarda", poème de Claude Louis-Combet, et Divine obscène, improvisations sonores de Ex-pi, basse et dispositif électronique, 2016, 34 feuillets + 1 CD, ISBN : 978-2-914791-09-0. [Commander / écouter et voir]

"Tout est couleur dans le monde moderne" rappelait Michelangelo Antonioni. Mais c’est bien justement parce que le monde est en couleurs qu’Elizabeth Prouvost  choisit de  le photographier en noir et blanc. Mais pas n’importe quel monde : celui qui jaillit de Madame Edwarda de  Bataille. L’artiste présente les photographies créées avec le parti-pris du noir et blanc pour affirmer non un retour nostalgique  mais une avancée audacieuse et sidérante. Elizabeth Prouvost offre en outre le fac-simile du carnet écrit et qui préside à la préparation de ses captures. Elles donnent lieu par contre coup  à un texte lui aussi abyssal de Claude Louis-Combet, ponctué d’une œuvre minimaliste de l’électro bruitiste de « ExPi ».

 

Le coffret devient un miroir impressionnant. L’auteur prend la parole en lieu et place de Madame Edwarda dont la chair saturée de solitude telle que la plasticienne la scénarise dans des prises sidérantes et presque suffocantes parfois. Là où Bataille cherchait la déchirure, Prouvost et Louis-Combet inventent moins une reprise qu’une suture sous le sceau de l’emprise sans partage de l’inconnu. Le corps n’appartient plus à personne puisque aborder ses pleins pouvoirs ne contrevient plus à son extinction  sous X (à savoir Eros et Thanatos). Edwarda devient celle qui préfère voir plutôt qu’être regardée. Tout cela reste pourtant un pur aléatoire puisque il n’est pas jusqu’à la vulve à refroidir en dépit du désir sur des terrasses ou des litières surchauffées.  Mais l’auteur devient lui-même prêtresse qui  accepte de se laver dans sa "merde" au nom de sa beauté en psalmodiant : "J’attends encore ce qui me roulera / Dans un néant plus chaud que mon savoir".
 
L’ensemble devient une affaire de peaux limites par le « misérable miracle » de la chair « déifiée » du personnage de fiction pérennisé  en empreintes  intenses et rauques d’émotions. Fuite et fusion, approche et éloignement : en de telles scènes, l’obscur le plus profond d’un inconscient personnel et collectif voit le jour. Louis-Combet et Prouvost montrent le corps  si proche, si étrange et prouve que ce qu’on appelle le présent demeure toujours ce qui nous précède : le personnage d’Edwarda pour la photographe, son créateur pour l’auteur. L’espace inscrit une possibilité et une impossibilité sans indications de lieu ou de temps.  Sans non plus que l’on sache ce que le corps peut prendre ou donner.

 

Dans de telles scènes  plastiques ou poétiques,  la mort revient  hanter les vivants.  Comme les vivants les morts. Par « montrage » et démontage, jouent l’ombre et la clarté moins par des reflets que des éclats nocturnes qui – par delà Bataille – ramène à la « folie du voir. Folie du croire » de Beckett. D’où la valeur fondamentalement héroïque des silhouettes d’Elizabeth Prouvost. Et la force mélancoliquement "pathologique" de l’écriture d’Eros de Louis-Combet. Dans cette création surgit à la fois de l’image dépressive et la vision de l’invisible que Bataille a contribué à ouvrir. L’amour y est sans « merci ». Les créateurs suivent le mouvement de celle qui est couchée, éteinte et douloureuse dans le mauvais désir de l’homme qui se dresse comme un rayon de lune. Demeure en différents jeux de textes, d’images et de sons une symétrie entre ordre et chaos, pathétique et fête, douleur et plaisir.
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rédaction

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