[Chronique] Je fêlé (à propos de Mathias Lair, Ainsi soit-je), par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Je fêlé (à propos de Mathias Lair, Ainsi soit-je), par Jean-Paul Gavard-Perret

octobre 23, 2015
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Chronique] Je fêlé (à propos de Mathias Lair, Ainsi soit-je), par Jean-Paul Gavard-Perret

Mathias Lair, Ainsi soit je, Editions La Rumeur Libre, Sainte Colombe sur Gand, été 2015, 80 pages, 15 €, ISBN : 978-2-35577-093-7.

 

Reprenant la grande problématique beckettienne du "je qui ça / jamais là où"; Mathias Lair a suffisamment à faire avec ce pronom sans aller chercher à savoir si "je est un autre". Il faut en effet, si l’on peut dire, commencer par le début sans pour autant "tarauder du côté de la nuit sexuelle" chère à Quignard – qui d’une certaine manière est une vue de l’esprit. Même si c’est bien là que tout a commencé.

Loin de l’insouciance joyeuse d’une belle ode au "je" (qui fuit comme une anguille), il s’agit pour Mathias Lair sinon de le rassembler du moins de comprendre d’où il sort. Le texte est donc contemporain d’un éclatement, d’une aliénation insécable à l’être sans pour autant prétendre ne caresser que sa fracture. Pour autant l’auteur ne tente pas de guérir ce qui sépare mais de retourner à ce qui fonde la séparation vaguement cautérisée (le plus souvent – Beckett faisant exception) à travers la langue maternelle – langue en partie morte. Le tout selon une perspective contiguë aux travaux de Novarina et de Prigent.

Dès lors, la structure même des textes casse le discours pour rouvrir la relation au difficilement conceptualisable et à la sémantique. Les deux ne proposent à réduire que le "je" à un ensemble logique. Il efface la complexité de l’être, de sa pensée, de sa relation au non-être. En effet, dans le langage constitué existe une masse de cendres qu’il s’agit d’abord de « souffler ». Lair fait donc retour non seulement à Beckett déjà cité mais à celui qui lui fut proche : Blanchot en son écriture de désastre. C’est sur cette « catastrophe » que repose « Ainsi soit je » – notons au passage l’importance de la troisième personne dans le subjonctif du verbe être.

Mathias Lair tente d’identifier ce qui peut l’être afin de « parler     à son pas ». Où il n’y a pas de papa  ni de mère sans pour autant chercher à tuer cette dernière, même si c’est pour Lair d’où vient (en partie) le problème.  D’où cette langue en morceaux et fractures centrales (dans chaque vers) pour « castrer      le sens de / son natif utérus ». Le vœu est pieux mais il permet au discours non de continuer mais de trouver ce fameux « pas », voire ce « pas au-delà » (Blanchot).

Face à l’inidentifiable du « je » perdu (ou jamais né ?), Mathias Lair évoque comment  le disparu à la fois persiste, résiste et reste inaccessible. C’est donc autour de cette absence-présence que s’organise le poème et ses notations ouvertes. A travers elles Mathias Lair espère « Le désêtre     ouvert  / par le chant » tout en soulignant les limites de cet espoir : « vague / promesse », a-t-il soin de préciser.

Il ne s’agit donc pas de ramener dans et par le langage quelque chose qui serait enfoui. D’une part parce que ce magma reste difficilement extirpable et d’autre part parce qu’il ne s’agit pas de faire de la poésie un livre de clés qui permettrait d’atteindre une placidité discutable de l’être. Le texte tente surtout de « photographier »  l’état des lieux du « je » fondé sur une fracture première, d’une coupure. Elle donne la vie mais pousse parfois l’être à s’abstenir dans ce qu’on a nommé parfois « une présence in absentia ». En cet état le scénario existentiel tangue entre « y vais je » et « vient-il ». C’est donc ce « moi » douteux que Lair met sous les yeux. A nous d’en faire bon usage.

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rédaction

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