[Chronique] Gilles Berquet ou la butée des fantasmes, par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Gilles Berquet ou la butée des fantasmes, par Jean-Paul Gavard-Perret

janvier 4, 2014
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Gilles Berquet ou la butée des fantasmes, par Jean-Paul Gavard-Perret

Le texte de Jean-Paul Gavard-Perret est à l’image du fascicule de Berquet : fascinant.

Gilles Berquet, « Pickpocket », éditions Derrière la Salle de Bain, Rouen, « Blow-up Sessions », Editions Chez Higgins, Paris, 9 € (livre fabriqué à la main et livré dans une pochette de papier cristal).

Les photographies de Gilles Berquet ont pour dénominateur commun le viol de la chimère attendue. Galbes blancs, galbes noirs, spectres dorsaux, poitrines de gisante renvoient le voyeur des ardeurs de nécromant aux songes creux d’un trépas. Il se retrouve dans de beaux draps mais pas ceux de satin qu’il espérait. L’artiste reste à ce titre le hussard des images voluptueusement pieuses, d’érotiquement gymniques. Et s’il présente son arme photographique aux amazones les plus impénétrables comme aux maîtresses femmes en goguette, celles-ci se tordent devant elle afin de faire prendre l’ombre pour la proie. Saisi par la peur de leurs tendresses ou de leurs mirages, il ne peut ruisseler en leurs oubliettes. L’œil dans la nuit regarde l’apparence de l’apparence dans le rappel d’une mémoire éblouie. Elle neige au souvenir d’une corolle légère ou salace. Mais seul l’esprit y coulisse sans heurts, avant de rentrer en lui-même déçu de ses attentes non satisfaites.

Mais c’est bien là tout l’intérêt de telles fausses prises et pistes. Entre la magie céleste et la magie terrestre, Berquet fait entrer le cosmos dans une image simple comme il permet au corps d’une femme de pénétrer dans l’image. Néanmoins, même nue, elle y avance masquée. Le sujet – plus qu’objet –  de ses prises tord les fantasmes à sa guise. Ornée de strass et de paillettes, la femme charme d’abord l’opérateur pour ensuite enchanter celui qu’une telle opération ferme sur lui-même. Ce qui peut sembler un comble, puisque toute opération (photographique ou anatomique) est avant tout ouverture… Aguichante, le modèle s’exécute pour mieux couper la tête du voyeur. Le pauvre magicien ne s’en tire pas mieux : croyant scier la femme en deux, elle le manipule.

Berquet pend le voyeur au gibet de ses mises en scène. Pour botter le cul du réel, il ne manque jamais d’entrain. Sous couverts d’images surannées, il transforme le présent sans présent en une pseudo-fiction plastique où la fantaisie est faite de rigueur. L’hygiène la plus intime restera celle du mental. Divers dégommages sont la règle. Les raies alitées produisent des sourires dangereux. Ils mordent le croyant qui boit son Darjiling comme du petit lait maternel dans des tasses athées. Restent de magnifiques coups d’épée dans toutes les histoires d’O de l’histoire. Les vitriers pourraient y porter des costumes à carreaux qu’on n’y prêterait plus garde.

Demeurent de son égérie Mirka comme de ses autres modèles les trames en sourdine de leur corps nu. Ils deviennent des motifs d’introspection et de méditation, même s’ils sont présentés de manière convulsive dans leurs poses parfois paroxysmiques. S’imposent au regardeur bien des topos. L’horizon de l’être s’y trouve renversé. Celui-ci est aspiré par une telle aventure plastique dont les itinéraires marient le ciel et la terre, la perdition et la rédemption au sein du secret qui demeure caché là où le fantasme vient s’écraser contre le mur de l’image.

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rédaction

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