[Chronique] Guillaume Basquin, COVID-19, UNE SYNDÉMIE : CE QUE LA PANDÉMIE FAIT À LA DÉMOCRATIE

[Chronique] Guillaume Basquin, COVID-19, UNE SYNDÉMIE : CE QUE LA PANDÉMIE FAIT À LA DÉMOCRATIE

janvier 21, 2021
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[Chronique] Guillaume Basquin, COVID-19, UNE SYNDÉMIE : CE QUE LA PANDÉMIE FAIT À LA DÉMOCRATIE

COVID-19, UNE SYNDÉMIE : CE QUE LA PANDÉMIE FAIT À LA DÉMOCRATIE

(à propos de deux tracts parus chez Gallimard)

 

L’UNIVERSITÉ EN PREMIÈRE LIGNE, à l’heure de la dictature numérique
Philippe Forest, Tracts-Gallimard n°18, 62 pages, 3,90€.

& DE LA DÉMOCRATIE EN PANDÉMIE – Santé, recherche, éducation
Barbara Stiegler, Tracts-Gallimard n°23, 62 pages, 3,90€.

 

Élégante, cette nouvelle collection « pauvre », « Tracts », chez Gallimard : 62 pages agrafées à prix très modique (3,90 €), mais néanmoins imprimée sur papier bouffant et composée en caractères Tungsten et Caslon (je tiens à préciser cela, car c’est devenu de plus en plus rare qu’un éditeur « s’embête » à donner ces détails techniques qui font pourtant tout le bonheur des bibliophiles et autres éditeurs curieux…).

Ce « tract » de Philipe Forest en est le 18e volume, et dès la 4e de couverture, il attaque très fort : « Un système de surveillance généralisée et d’une nature nouvelle est en train d’être mis en place. Et c’est à ce système que le passage au “distanciel” va soumettre l’Université. » Les plus avancés des philosophes (Gilles Deleuze et Michel Foucault) et des écrivains (George Orwell, William Burroughs, Alain Damasio) l’avaient senti venir, cette venue progressive d’une société de surveillance généralisée… et voici que la crise totale de la Covid-19 en permet l’advenue soudainement imposée comme « définitive » (du moins, certains en rêvent…) et non-opposable : pour des raisons sanitaires, vous comprendrez bien que… Les étudiants, devenus agents de contamination potentielle, doivent être séparés les uns des autres ; tel semble être le nouveau mot d’ordre de la société spectaculaire covidiste. « La séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle », écrivait Guy Debord dans La Société du spectacle ; à quoi il ajoutait : « Avec la séparation généralisée du travailleur et de son produit, se perdent tout point de vue unitaire sur l’activité accomplie, toute communication personnelle directe entre les producteurs. » Remplacez travailleur par étudiant, et produit par professeur, et vous avez le tableau (non)-vivant de l’Université du futur rêvée par le politique post-covidiste…

Philippe Forest appuie son exposé sur les premiers textes philosophiques conséquents à être parus dès le début de la crise, ceux du philosophe italien Giorgio Agamben : « Les professeurs qui acceptent – comme ils le font en masse – de se soumettre à la nouvelle dictature télématique et de donner leurs cours seulement on line sont le parfait équivalent des enseignants universitaires qui, en 1931, jurèrent fidélité au régime fasciste. Comme il advint alors, il est probable que seuls quinze sur mille s’y refuseront, mais assurément leurs noms resteront en mémoire à côté de ceux des quinze enseignants qui ne jurèrent pas » (Requiem pour les étudiants, in lundimatin). Mais Forest va plus loin : « Le fascisme prend, selon les périodes, toutes sortes de formes. Celles qu’il emprunte aujourd’hui ne ressemblent jamais à celles qu’il prenait hier. Sinon, le reconnaître serait très facile. » Puis il précise son attaque : « Afin de se donner bonne conscience, on part en guerre contre les fantômes d’autrefois dès lors que, disparus, ils ne menacent plus personne. » En effet, chaque année, combien de livres sur tel ou tel épisode du nazisme, de la Shoah, etc. ? « Et l’on préfère ne rien voir des formes nouvelles que, revenant sinistrement à la vie, ces mêmes fantômes revêtent et auxquelles il serait plus compliqué, plus périlleux mais plus urgent, de s’opposer. » Forest, lui, voit ; et s’oppose : c’est la guerre (a dit notre Président de la « République »), ce qui oblige chacun à choisir son camp : pour ou contre la Terreur ? Pour on contre l’abandon de la tradition de la vie étudiante en Europe ? là où « une certaine idée de la liberté » s’inventa.

Le Diable, c’est celui qui divise, qui désunit, comme le montre son étymologie latine, diabolus, et grecque, διάβολος, diábolos. Le préfixe dia vient du grec ancien διά, qui signifie : « en divisant ». On peut être sûr que le Pouvoir a pris goût à ce qui était encore impensable il y a un an en Occident : confiner toute une population aveuglément, et la masquer. Séparés les uns des autres, et ainsi que l’écrivait Noam Chomsky en 1993 (« Toute l’histoire du contrôle sur le peuple se résume à cela : isoler les gens les uns des autres, parce que si on peut les maintenir isolés assez longtemps, on peut leur faire croire n’importe quoi »), les occidentaux ont tout accepté, depuis mars, ou presque… L’université en ligne n’est qu’un des aboutissements logiques de cette idéologie du « sans contact ».

Forest insiste et fore son sujet : « Pour dire les choses de la manière la plus brutale qui soit, le passage au “distanciel” reviendra tout simplement et très concrètement à fermer les Universités, à convertir l’enseignement qu’elles proposent en un autre qui n’en aura plus que l’apparence et dont le soin de l’assurer sera abandonné – c’est-à-dire : délibérément délégué – à cette “dictature numérique” dont l’anarchie apparente, en réalité, se trouve au service de la mise en œuvre très cohérente et très opératoire du programme que cette dernière entend imposer » : en clair, l’idéologie des GAFAM dans l’Université : autonomie des étudiants, interactivité, bref ubérisation de tout un chacun, séparé des autres derrière son écran (quand ce n’est pas derrière une plaque de plexiglass, voire un masque facial). Guy Debord : « Le système économique fondé sur l’isolement est une production circulaire de l’isolement. » Le système universitaire fondé sur le « distanciel » sera une production circulaire de la séparation : séparés entre eux par la perte générale de toute émotion réellement vécue, perte qui leur interdira le moindre dialogue, les étudiants seront même séparés de leurs professeurs et de leurs camarades. Toute contagion, même amoureuse, sera rendue impossible ! « La question qui se pose à chacun d’entre nous consiste bel et bien à savoir si nous collaborerons avec ce fascisme nouveau ou si nous lui résisterons » : Forest a choisi son camp.

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La philosophe Barbara Stiegler est la digne fille de Bernard Stiegler, récemment disparu ; elle prolonge, pour notre plus grand plaisir, son travail philosophique de compréhension du réel et d’appréhension de ce qui arrive : la disruption de notre civilisation, sous les coups de butoir à la fois du néo-libéralisme et de l’idéologie numérique qui l’accompagne. Pour la sortie de son « tract » chez Gallimard, elle a été invitée sur France Culture par Olivia Gesbert dans son émission « La grande table idées » ; en voici le lien d’écoute : Comment s’engager en pandémie ?

Que nous dit la philosophe dans ce tract ? Elle a lu l’éditorial extrêmement important (et novateur) du rédacteur en chef du Lancet, Richard Horton, Covid-19 is not a Pandemic, et en a retiré « ceci » : l’épidémie de SARS-CoV-2 est plus une syndémie qu’une pandémie, à savoir une synthèse de problèmes préexistants et aggravants : de santé (ce sont les pays où l’espérance de vie avait déjà commencé à baisser, pour cause de mauvaise hygiène de vie globale et de sur-sédentarité, que le nombre de victimes est le plus élevé (USA, Angleterre, Mexique)), d’écologie, d’inégalités sociales (par exemple, d’accès aux soins), etc. « En parlant de “pandémie”, on a sidéré les esprits, on est passés dans un régime d’exception et on a accepté des choses inacceptables. » Pour lutter contre un virus, « on » a « accepté » (tout du moins avons-nous dû obéir à cette injonction) de renoncer (temporairement ; temporairement, vraiment ?) à la démocratie, c’est-à-dire au pouvoir du demos, le peuple (on sait que tout actuellement se décide en Conseil de défense à huit personnes, dans le bunker antiatomique sous l’Élysée, dit-on, sans vote de l’Assemblée nationale…) ; cette voie « chinoise » a même été encouragée par un virologue-de-plateau-de-télévision, Axel Kahn : « Face à une épidémie, c’est un inconvénient d’être dans une démocratie ; et c’est encore plus un inconvénient d’être dans une démocratie contestataire » (c’est moi qui souligne). Et si le Pouvoir avait trouvé des effets d’aubaines dans cette crise ? Et si on avait « utilisé le moment actuel pour faire passer en force toute une série de lois liberticides » (comme la Réforme des retraites, la Loi sécurité globale, le Fichage politique des  citoyens, etc.) ? Barbara Stiegler dénonce ainsi une  “Manufacture du consentement”, expression qu’elle emprunte à Walter Lippmann : Chacun se doit de se sacrifier, d’immoler sa et ses libertés, pour le Bien commun… Plus que « vivre une pandémie, nous vivons “en Pandémie” », écrit-elle – « dans un nouveau continent mental parti d’Asie pour s’étendre à toute la planète, avec de nouvelles habitudes de vie et une nouvelle culture », dont la restriction souhaitée en haut-lieu (par l’oligarchie mondiale et globaliste, voire transhumaniste) de nos démocraties : « Il va falloir renoncer à la démocratie, parce que la démocratie c’est la contestation. » On croit rêver ; mais non… On a bien entendu « cela » sur les chaînes publiques, c’est-à-dire payées par nos impôts !…

Le constat est sévère : « Au lieu de favoriser une libre circulation du savoir », « on » a « contribué à l’édification d’un monde binaire opposant les “populistes” [ou “rassuristes”], accusés de nier le virus, et les progressistes, soucieux “quoi qu’il en coûte” de la vie et de la santé. » Le problème, avec ce type de « raisonnement » simpliste opposant deux camps, c’est qu’on a banni « toute forme de nuance et de discussion critique sur les mesures prises », étouffant « la pluralité des voix du monde savant ». La toute récente censure, par YouTube, d’un nouvel entretien avec la brillantissime Alexandra Henrion-Caude, n’en est que le dernier avatar… Ce faisant, on a interdit toute dialectique, et toute saine contradiction, seuls moyens de faire progresser les savoirs. Le « péché originel des gouvernants » aura été de faire « le choix de la répression des citoyens, plutôt que celui de l’éducation et de la prévention [comme en Suède] ». Aïe, la démocratie !

C’est arrivé « là » que Barbara Stiegler en appelle à un sursaut démocratique, pour éviter  « L’étrange défaite » (Marc Bloch), via des micro-résistances politiques : « ne pas rester seul » ; « imaginer autre chose » ; « réfléchir de manière critique aux injonctions » ; « proposer des demi-groupes de travail en présentiel », plutôt que de se contenter de Zoom, etc. Il faut absolument « re-politiser les lieux de travail ». Telle sera « notre mission historique ». Cette réappropriation du « pouvoir du peuple » ne pourra « se faire qu’au prix de mobilisations sociales et politiques de très grande ampleur ». À bon entendeur…

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rédaction

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