[Livre - chronique] Marie Darrieussecq, Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, par Jean-Paul Gavard-Perret

[Livre – chronique] Marie Darrieussecq, Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, par Jean-Paul Gavard-Perret

mars 24, 2016
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[Livre – chronique] Marie Darrieussecq, Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, par Jean-Paul Gavard-Perret

Marie Darrieussecq, Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, P.O.L, mars 2016, 160 pages, 15 €, ISBN : 978-2-8180-3906-9.

Présentation éditoriale

Paula Modersohn-Becker voulait peindre et c’est tout. Elle était amie avec Rilke. Elle n’aimait pas tellement être mariée. Elle aimait le riz au lait, la compote de pommes, marcher dans la lande, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, être nue au soleil, lire plutôt que gagner sa vie, et Paris. Elle voulait peut-être un enfant – sur ce point ses journaux et ses lettres sont ambigus. Elle a existé en vrai, de 1876 à 1907. Paula Modersohn-Becker est une artiste allemande de la fin du XIXème siècle, peintre, célèbre en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays au monde, mais à peu près inconnue en France bien qu’elle y ait séjourné à plusieurs reprises et fréquenté l’avant-garde artistique et littéraire de son époque. Née en 1876 et morte en 1907 des suites d’un accouchement, elle est considérée comme l’une des représentantes les plus précoces du mouvement expressionniste allemand. La biographie que lui consacre Marie Darrieussecq (nouveau territoire pour l’auteur de "Il faut beaucoup aimer les hommes") reprend tous les éléments qui marquent la courte vie de Paula Modersohn-Becker. Mais elle les éclaire d’un jour à la fois féminin et littéraire. Elle montre, avec vivacité et empathie, la lutte de cette femme parmi les hommes et les artistes de son temps, ses amitiés (notamment avec Rainer Maria Rilke), son désir d’expression et d’indépendance sur lesquels elle insiste particulièrement. 

Chronique

Paula Modersohn-Becker a existé. Le livre de Marie Darrrieussecq le prouve. Pour autant elle fait beaucoup mieux et plus qu’une biographie de celle qui ne voulait qu’être peintre, mais qui, sous le joug de certaines obligations, perdit la vie. L’auteure a trouvé dans son modèle de multiples échos. Et après avoir écrit Clèves et Il faut beaucoup aimer les hommes, elle montre néanmoins qu’il faut d’abord s’aimer soi-même. Non que Paula Becker ne se chérissait pas, mais l’époque ne lui en laissa guère le loisir. Amie avec Rilke et – comme Virginia Woolf – elle n’aimait guère être mariée : mais sur ce plan elle fut moins gâtée que l’Anglaise. Paula aimait le riz au lait, la compote de pommes, arpenter la campagne, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, lézarder nue au soleil, lire, Paris et la France. Qui ne lui rendit pas. Peintre – une des premières artistes de l’expressionnisme allemand – célèbre en son pays et en beaucoup d’autres, elle resta à peu près inconnue en France (où on l’expose enfin) bien qu’elle y ait séjourné à plusieurs reprises et fréquenté l’avant-garde artistique et littéraire. Voulait-elle un enfant ? Cela reste douteux mais il causa (involontairement) sa perte.

Reprenant les éléments qui existent sur la vie de l’artiste, Marie Darrieussecq les réanime de sa féminité empathique et d’une écriture dynamique. Elle illustre son indépendance et ses conflits  avec les hommes et les artistes de son temps, ce qui n’était pas une sinécure pour trouver sa place dans de telles communautés  à l’aube du XXème siècle. La romancière montre combien certains êtres (pas tous heureusement) sont porteurs des « vices », non forcément personnels et sexuels, mais sociaux que la femme doit subir. Marie Darrieussecq en tire des conséquences ultimes avec élégance. Elle ne se dispense pas pour autant d’impertinence. Dévoilant les comportements égoïstes, l’amas des petites lâchetés qui font les grandes elle montre avec prestance mais sans concession l’humanité telle qu’elle est trop souvent : mesquine, pathétique.

Toujours à la limite de la description et de l’évocation, cette fausse biographie (ce qui ne l’empêche pas de frapper juste) offre un monde désenchanté et rationalisé par les mâles. Elle l’ouvre parfois à son absolue cruauté sous un marivaudage ironique mais en rien sentimentaliste. On est donc loin de ce que Nabokov nommait « romans à fossettes »…. Par cette fiction, l’auteure invente un genre psychologique particulier : à travers son personnage, elle se dessine en ce qu’elle a de plus intime, tout en évitant l’ineptie de l’autofiction.

Le roman devient insidieusement le déclencheur libre des droits que la femme ne possédait pas encore. Celle-ci dut faire parfois l’ange avant de se muer en bête. Mais il ne s’agit pas de confondre angélisme et intelligence. Darrieussecq prouve que l’amour ou ce qu’on prend pour tel demeure quelque chose d’obscur mais qui chez la femme n’a rien à voir avec une quelconque hystérie. Mieux,  il peut devenir une "contre hystérie", d’autant que la volonté de création oblige les femmes à l’exploration de leur propre étrangeté et de leur propre altérité. Avec ce livre, la fiction est donc un mode d’intervention sur le sentiment des choses. L’auteur faire sortir le noir d’une chair exilée. Et c’est une réussite.

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rédaction

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1 comment

  1. Villeneuve

    Enfin un homme qui , en synergie avec l’auteur , exprime avec finesse et justesse la triste prison de femme !

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