[Chronique] Maryse Souchard, Jean-Claude Pinson, Jean-Michel Vienne, Joël Gaubert, Le populisme

[Chronique] Maryse Souchard, Jean-Claude Pinson, Jean-Michel Vienne, Joël Gaubert, Le populisme

mai 4, 2007
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[Chronique] Maryse Souchard, Jean-Claude Pinson, Jean-Michel Vienne, Joël Gaubert, Le populisme

Maryse Souchard, Jean-Claude Pinson, Jean-Michel Vienne, Joël Gaubert, Le populisme aujourd’hui, Éditions M-Editer, 2007, 110 pages, 10 € ISBN : 978-2-915725-07-0.

Après les ouvrages fondamentaux parus ces dernières années, Par le peuple, pour le peuple. Le Populisme et les démocraties (Fayard, 2000), de Yves Mény et Yves Surel, et L’Illusion populiste (Berg, 2002), de Pierre-André Taguieff, voici un petit volume d’intérêt public qui, regroupant quatre textes issus des conférences organisées à l’Université Populaire de Nantes par l’Association Philosophia, devrait être dans toutes les mains en cette période d’élections – présidentielles puis législatives.

Héritier de la Révolution, du bonapartisme et du boulangisme au Régime de Vichy, comme au poujadisme et au Front National, le populisme, que Maryse Souchard définit comme l’appel lancé par un chef à un peuple survalorisé (vox populi, vox dei), s’est accompagné en France de paternalisme, d’anti-élitisme et d’un nationalisme plus ou moins xénophobe et antisémite. Aussi, par populisme, faut-il entendre « tout mouvement, doctrine ou idéologie qui prétend exprimer, à la place d’un peuple muet et paralysé, les désirs de ce « peuple » en agissant à sa place, incarnant dans un chef la volonté du peuple ainsi directement représenté » (p. 19).

Le problème actuel, c’est la contamination sémantique entre « populisme » et « valeurs démocratiques ». Et la spécialiste en communication de nous mettre en garde contre deux dangers antithétiques : d’une part, la dérive réactionnaire, qui prend appui sur la défiance envers toute référence au peuple pour justifier la domination des élites, alors même qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans lutte pour l’émancipation sociale et politique des dominés ; d’autre part, la dérive populiste propre aux courants extrémistes, qui consiste à tenir un discours alarmiste jouant sur les peurs les plus irrationnelles et à prôner le relativisme absolu, c’est-à-dire à poser l’équivalence de tous les discours, pour mieux disqualifier des élites sociales et intellectuelles rendues coupables de mensonge et de manipulation, et légitimer ainsi sa propre idéologie et/ou son propre chef. Le pire est que le second travers touche également les médias, qui y voient un moyen de conforter leur pouvoir – ce que montre Maryse Souchard en analysant la rhétorique de l’hebdomadaire Marianne.

Mais qu’est-ce qu’en appeler au peuple ?, se demande Jean-Michel Vienne, soulignant l’ambiguïté d’un terme dont l’usage est régi par une série de tensions : « peuple inclusif / peuple exclusif », « populace / peuple organisé », « peuple sachant / peuple ignorant », « réalité sociale / notion idéale », « réalité géographique / réalité politique », « classe inférieure / classe rédemptrice », « peuple traditionnel / peuple eschatologique ». Parce qu’elle considère le « peuple » comme une réalité en soi, la posture populiste est une dangereuse imposture.

Avec la surmédiatisation, la crise de la représentation est l’autre cause principale expliquant le retour actuel du populisme. Pour Joël Gaubert, elle est due à la prédominance des intérêts particuliers sur l’intérêt général ainsi qu’à l’avènement d’une « oligarchie techno-libérale » (p. 91), c’est-à-dire à l’impuissance d’un parlement qui incarne la souveraineté du peuple face au pouvoir exécutif national et supranational, auquel s’ajoutent le pouvoir médiatique et le pouvoir économique des multinationales et des instances mondiales (FMI, OMC, BM, OCDE…). Mais, pour le philosophe, cette crise est avant tout symbolique : dès lors que la démocratie s’est transformée en médiacratie et en médiocratie, peut-elle engendrer autre chose qu’une crise du sens ? De sorte que le meilleur remède ne réside pas tant dans un modèle participatif dont les risques majeurs sont l’autocratie et le populisme, voire l’anarchie à laquelle aboutirait la dissolution du pouvoir légitime dans de multiples groupes d’intérêts particuliers (lobbies), mais dans un système délibératif qui procèderait à la « resymbolisation de l’expérience » en développant l’instruction et l' »éthique de la discussion » (Habermas).

En cette campagne présidentielle où l’étiquette péjorative de « populiste » a été accolée aux trois candidats arrivés en tête du premier tour, chacun aura le loisir de se faire une idée au regard de ces analyses.

Cela étant, après avoir rappelé que le terme même de « populisme » est apparu en 1912 pour désigner une école romanesque visant à décrire de façon réaliste la vie du peuple, Jean-Claude Pinson quitte le champ politique pour le champ esthétique, où il entend « saisir les conditions de cette démagogie insidieuse et doucement endoxique plutôt que brutalement idéologique qu’est aujourd’hui la logique du populisme » (p. 37). Car, pour ce lecteur de Bernard Stiegler, le populisme est favorisé par un monde où la télévision véhicule un individualisme de masse indissociablement lié à l' »ethos démocratique » contemporain ; où l’expérience sensible, parce que médiatisée, n’a plus rien d’authentique ni d’esthétique ; où l’extinction de la sublimation artistique a pour corollaire l’aliénation à la société de consommation. Et pour le poète-philosophe, la seule façon de résister au « populisme culturel », c’est-à-dire à la « désublimation engendrée par la domination du capitalisme culturel » (p. 46), ressortit moins à la logique avant-gardiste – qui oppose à la culture de masse une « politique de la forme résistante » (Adorno) – qu’à une logique rhizomatique de la « raison artistique », plus conforme à l’ethos individualiste actuel : il ne s’agit plus d’en appeler à un « peuple qui manque » (Klee), mais de faire advenir le « devenir artiste » (Deleuze) des individus. Reste à savoir l’impact social et esthétique d’une « logique créative » qui, pour être moins ambitieuse que la révolution avant-gardiste, n’en est pas moins presque aussi utopique.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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