[Chronique] Philippe Jaffeux, Pages, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Philippe Jaffeux, Pages, par Christophe Stolowicki

août 22, 2020
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[Chronique] Philippe Jaffeux, Pages, par Christophe Stolowicki

Philippe JAFFEUX, Pages, éditions Plaine page, coll. « Calepins », été 2020, 56 pages, 10 €, ISBN : 979-10-96646-30-2. [Deux extraits sur Libr-critique : « John Coltrane » ; « Ornette Coleman ».]

 

Une musique, un musicien, un groupe ou un instrument par page, de graphologie savante ou inspirée : si festival n’était pas gangrené par son mercantile emploi, tout ce que ce mot comporte de festif concentré s’appliquerait au présent ouvrage, auquel seuls les parfums manquent pour répondre au vœu baudelairien. En autant de musiques que l’année comporte de semaines, Jaffeux allie ici plus spectaculairement que jamais sa puissance de performance à une intériorité creusée au scalpel.

De Thelonious Monk « l’introspection musicale », la « pianistique percussive », l’ « exact contrepied » des accords attendus, les « notes écorchées », la « densité d’un défi asymétrique », les « mélodies elliptiques » d’ « autodidacte rigoureux » (excellente définition du poète) appellent un cadrage surligné de la page rompu par un accès minimal.

De Bach-Jaffeux, aux « répétitions radieuses [qui] soulignent les rebonds d’un thème pour consolider l’envol musical d’un écrit désarticulé », répond pleine page la « fugue inimitable » d’une pointe sèche de crayon.

Du Boléro de Ravel la montée lancinante est rendue de ligne en ligne, du corps puce au Gros-Canon, par le « crescendo » en format de leurs caractères.

De Gershwin « le fond paradoxal de jazz symphonique », la « vitalité puisée dans une trépidation urbaine », la « musique légère et populaire [qui] s’ajuste avec une œuvre savante et expérimentale » sont sobrement soulignées par le jeu du crayon, tout le long de la page, d’angles droits en aigus pour de virtuelles insertions.

De Miles Davis le « climat intériorisé », l’« expérience minimaliste du jazz », la « vibration inimitable » sont modulés en positif négatif par l’alternance de lettres blanches sur fond noir et leur inverse comme il a su allier, seul entre tous, le cool et le bop.

Le « chef-d’œuvre de clarté » de la 40ème Symphonie de Mozart, à « enchaînements réguliers de climats » et « exposée à une intensité mélancolique », se décline en lignes diagonales encadrées pour une contrapunctique composition.

Un quadrillage de kilt écossais soutient le son de la cornemuse, mi-« pastoral », mi-militaire. John Coltrane est moins bien servi.

La culture musicale de Jaffeux et son vaste éclectisme ne me permettent pas de le suivre en détail de Ska aux Doors, de la Surf Music aux Who, du Reggae à Little Richard, je les énumérerais en vain, mais de ce coiffe art, na, homme il me reste, prouvant sur fond écrit qu’un poète vaut tous les musicologues, la déambulation de page en page de géométries non euclidiennes, où sont évoqués ou figurent hoquets de politesse (celle de Monk) et déglutitions (celles railleuses de Sonny Rollins), pouce d’identité carcérale (Monk a fait de la prison pour usage de drogue, interdit des clubs où l’on jouait ses œuvres), diagonale du bel été, celui d’être et d’être été, convulsivement, rigoureusement, notre contemporain capital, minimal, expérimental, de clair métal à vif.

Plaine page : Jaffeux ne pouvait choisir pour ce livre éditeur plus indiqué, qui a reproduit en couverture les cinquante-deux pages (lesquelles ont été exposées à la galerie Les Frangines de Toulon, une par semaine, de février 2019 à février 2020), outre quelques-unes en supplément, versions non retenues (alternate takes).

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rédaction

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