[création] Ceci n'est pas une fiction (I) par Emeric Amort

[création] Ceci n’est pas une fiction (I) par Emeric Amort

novembre 29, 2008
in Category: créations, UNE
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  Texte qui selon l’auteur est lié à des actions "pédagogiques réelles" qui ont eu lieu depuis septembre. Au-delà du travail littéraire, nous pouvons voir ici, en écho de l’affaire des condamnés de Tarnac, une dérive ultra-policière en France, plus qu’inquiétante. La maladie de notre démocratie, comme le rappelle parfaitement Jacques Rancière, tient à cette présomption de culpabilité projetée sur les citoyens, à savoir sur la méfiance généralisée de la part du pouvoir./PB/

Collège de Marciac (19-11-2008)

Le gendarme entre dans la classe. Le deuxième gendarme entre dans la classe. Le troisième gendarme entre dans la classe. Le quatrième gendarme entre dans la classe. Zoé parle avec Amélie, qui est de dos par rapport à Arnaud, qui est assis à côté de Jessica. Le quatrième gendarme entre dans la classe. Un chien suit le quatrième gendarme et entre dans la classe. Arnaud saisit la règle d’Anouk, parce qu’Arnaud n’a pas eu encore le temps de tracer le triangle, parce qu’Arnaud n’a pas de règle, parce qu’Arnaud l’a cassée en jouant à l’épée avec Bogdan, parce qu’Arnaud aime les films d’action, où il y a des ninjas, où il y a des chevaliers avec des chevaux et des épées, où il y a des combattants courageux qui servent la justice. Arnaud lâche la règle d’Anouk, parce que le premier gendarme se déplace vers lui. Le premier gendarme passe à côté de Zoé. Zoé a peur, car Zoé a treize ans, et que Zoé n’a jamais vu de gendarme de si près. Le premier gendarme saisit la trousse d’Anouk et la vide. Le quatrième gendarme enlève la laisse au chien. Le deuxième gendarme dit qu’il ne faut pas bouger parce que quand un chien mord cela pique. Le deuxième gendarme rigole à sa bonne phrase, le premier gendarme se retourne vers lui et rigole, le troisième gendarme reste impassible et joue au gendarme impassible avec son air méchant. Car c’est important que les gendarmes paraissent méchants. La méchanceté d’apparat du gendarme est une arme psychologique aussi impressionnante que le chien qui est lâché au milieu des rangées. Le chien longe les tables. Le chien avance avec rapidité. Le chien commence à mordre un sac. Le chien mord un sac et le projette. Amélie, qui est à côté de Zoé est tout de suite appelée, avec son sac. Mais Amélie a peur de prendre le sac à cause du chien, qui s’il mord pique. Elle a peur d’être piquée, car il y a un an, Amélie a  été piquée par une abeille, et qu’elle a eu mal. Amélie quand elle voit les dents du chien, elle se dit que les dents sont plus grosses que le dard de l’abeille, et donc que la douleur sera plus importante que celle déclenchée par le dard de l’abeille. Amélie a peur. Amélie se fait crier dessus et elle ne comprend pas pourquoi, parce qu’elle n’a rien fait. Amélie sait que quand elle fait une bêtise son père lui crie dessus. Amélie sait que quand elle ment et se fait prendre par son père elle se fait crier dessus. Mais là on lui crie dessus comme dans une mauvaise série française qui passe sur France 2 toutes les semaines. Amélie sort, tandis que Zoé a peur et tremble, un peu rouge, tandis qu’Arnaud lui aussi sort parce que le chien est venu le renifler et qu’il est resté devant lui avec les babines relevées. Zoé a peur parce qu’elle n’a jamais vu un gendarme d’aussi près et qu’elle trouve que c’est impressionnant un gendarme avec un uniforme et qu’elle se sent si petite face aux gendarmes qui marchent et surveillent la classe. Les gendarmes marchent en rond. Zoé a peur parce que le chien vient vers elle. Zoé a peur parce qu’elle n’a pas de chien chez elle, et que les chiens sont comme des créatures dangereuses à cause de ce que disent les journaux sur les chiens méchants qui peuvent tuer un être humain, même si c’est un adulte. Zoé a peur parce qu’elle n’est pas une adulte, qu’elle est une enfant encore, pas même une adolescente, comme le font remarquer les médias lorsqu’il parle de la criminalisation des mineurs. Zoé a peur parce qu’on lui dit de se lever rapidement et de prendre toutes ces affaires, et cela lui fait penser aux histoires des enfants qui ont été raflés durant la seconde guerre mondiale, parce que le président de la république a voulu que les enfants soient sensibilisés à la douleur des enfants juifs de la seconde guerre mondiale. Zoé a peur parce qu’elle ne comprend pas réellement la différence entre ce qui a lieu et une rafle d’enfants pendant la seconde guerre mondiale. Zoé se lève avec son sac et sa trousse et sort de la classe rejoindre ses autres camarades qui sont dans le couloir. Zoé a treize ans, et elle se sent toute petite face aux gendarmes qui la regardent de haut avec un air méchant, car c’est sûr, la méchanceté d’un regard est une arme psychologique contre les interpellés. Un cinquième gendarme demande à Zoé de vider sa trousse. Un cinquième gendarme demande à Zoé de donner son manteau qui est fouillé de toute part. Un cinquième gendarme demande à Zoé d’enlever ses chaussures afin de regarder dedans. Un cinquième gendarme demande à Zoé d’enlever ses chaussettes pour les retourner et vérifier qu’elles ne contiennent rien. Zoé regarde ses petits pieds nus sur les mosaïques du couloir et elle se dit que c’est pas bien d’être pieds nus, parce que son père lui a dit qu’en novembre il fallait se couvrir autrement on attrape froid. Et le froid est cause de maladie comme la grippe comme l’angine comme la pneumonie, comme la mort d’après ce que disent les médias en parlant des SDF qui meurent de froid la nuit, qu’ils soient en ville ou dans les bois. Zoé se dit qu’elle va attraper froid et qu’elle va se faire rouspéter par son père qui tient à sa fille Zoé et qui ne veut pas qu’elle tombe malade parce la maladie peut conduire à la mort. Un sixième gendarme poursuit la fouille de la trousse, ouvre les capuchons des stylos de Zoé, ouvre le tube de colle UhU de Zoé, tâte les doublures de la trousse de Zoé, avec insistance, comme si elle était une trafiquante internationale de cocaïne, car Zoé a vu une fois à la télévision, que les trafiquants cachaient la drogue dans les doublures de valise. Zoé se dit alors que comme elle est petite, elle n’a pas de valise, mais une trousse, et donc qu’en tant que mini-trafiquante potentielle, ils fouillent sa mini-valise qui est une trousse, qui ne contient pas de vêtement, mais des stylos de toutes les couleurs. Car Zoé aime les couleurs, parce qu’elle est une fille. Une septième gendarme arrive. Elle demande à Zoé de rester droite. Elle demande à Zoé d’enlever son sweat. Elle demande à Zoé de lever les bras, et elle introduit ses main sous le soutien gorge de Zoé, et passe ses mains sur l’arrondi des seins. Zoé a peur car c’est la première fois qu’on lui touche ses seins qui commencent à pousser parce qu’elle n’a que treize ans. Zoé a peur car elle pensait que la première fois qu’on lui toucherait ses seins, ce serait un garçon qui voudrait aussi toucher autre chose que ses seins et que cela serait de l’amour et non pas de la méchanceté, que ce serait doux et non pas désagréable. La gendarme lui demande de déboutonner son jean. La gendarme introduit la main entre son sexe et sa culotte afin de voir si Zoé n’a rien de cacher dans cet entre-deux. La gendarme ne trouve rien dans la culotte. La gendarme dit à Zoé qu’elle peut se rhabiller. Le sixième gendarme dit à Zoé qu’elle peut ranger son sac et reprendre son manteau et repartir en cours. Zoé revisse les capuchons de ses stylos, et elle se dit qu’elle ressemble aux malfrats dans les prisons de Prison Break, qui après une fouille dévastatrice doivent ranger leur chambre. Elle se dit que la dévastation n’est pas tant dans le désordre des stylos et des cahiers et des vêtements, mais que la dévastation est psychologique, car la méchanceté des gendarmes est une arme psychologique dévastatrice.

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rédaction

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1 comment

  1. rédaction (author)

    On pourra trouver ici un article de La dépêche sur cette fouille de la petite Zoé.
    et ici un deuxième lien qui concerne le deuxième texte envoyé par Emeric Amort que l’on mettra en ligne la semaine prochaine.
    Et aussi ici où dans les commentaires sont faits mention d’autres cas similaires.

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