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[Dossier : « Autour de 68 »] Jean-Luc Nancy, Vérité de la démocratie

septembre 11, 2008
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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  Jean-Luc Nancy, Vérité de la démocratie, Galilée, 2008, 66 pages, 12 €  ISBN : 978-2-7186-0772-6

Quatrième de couverture

 

C’est à la politique en elle-même et au capitalisme en lui-même que s’adressait le mouvement profond de 68. C’est à la démocratie gestionnaire que s’en prenait sa véhémence et, plus avant encore, c’est une interrogation sur la vérité de la démocratie qui s’y ébauchait.

La vérité de la démocratie est celle-ci : elle n’est pas une forme politique parmi d’autres, à la différence de ce qu’elle fut pour les Anciens. Elle n’est pas une forme politique du tout, ou bien et à tout le moins n’est-elle pas d’abord une forme politique.

"Démocratie" est d’abord le nom d’un régime de sens dont la vérité ne peut être subsumée sous aucune instance ordonnatrice ou gouvernante mais qui engage entièrement l’"homme" en tant que risque et chance de "lui-même". Ce premier sens n’emprunte un nom politique que de manière accidentelle et provisoire.

Ensuite, "démocratie" dit le devoir d’inventer la politique non pas comme ordre des fins mais des moyens d’ouvrir et de garder des espaces pour les inventer. Cette distinction des fins et des moyens n’est pas donnée, pas plus que la distribution des "espaces" possibles. Il s’agit de les trouver, voire d’inventer comment ne même pas prétendre les trouver. Cette politique doit être tenue distincte de l’ordre des fins – même si la justice sociale constitue d’évidence un moyen nécessaire à toutes fins possibles.

[Chronique] Éthique et politique

Ce passionnant essai dans lequel l’évocation de "Mai 68" prélude à une réflexion sur la démocratie détonne dans le paysage intellectuel français. Tandis que, archivés par l’INA comme par les historiens, "les événements" font leur entrée dans l’Histoire, Jean-Luc Nancy pose en effet que "Mai 68" constitue, non pas un moment révolu de l’Histoire (une "affaire classée"), mais un appel au renouveau démocratique. Il se situe ainsi au rebours de cette récente opération de classement-enfermement dans l’Histoire. D’autant que, de Jacques Le Goff (Mai 68, héritage impossible, La Découverte, 1998) à Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (Mai 68, une histoire collective (1962-1981)), "Mai 68" apparaît comme la conclusion d’une période allant de l’après-guerre à la décolonisation, son héritage s’achevant avec l’élection de François Mitterrand en 1981, et non comme ouverture sur un avenir politique quelconque. C’est en ce sens que Marc-Olivier Padis termine son introduction au dossier de la revue Esprit intitulé "Autour de 68 : années utopiques, années parasites ?" : "Moment d’énergie collective, 68 n’a pas redynamisé l’histoire ni l’imagination politique nécessaire dans un monde qui court devant nous" (www.esprit.presse.fr/review/details.php : mai 2008, "68, au-delà des générations").

Généalogie de 68

Jean-Luc Nancy commence par réfuter le discours dominant qui voit dans Mai 68 "l’origine d’un relâchement et d’un relativisme moral, d’un indifférentisme et d’un cynisme social dont seraient victimes et la vertu politique et celle d’un capitalisme supposé doué de scrupules" (p. 9) ; de même, il ne saurait accepter les définitions courantes : "68 n’a été ni une révolution, ni un mouvement de réformes (…), ni une contestation, ni une rébellion, ni une révolte, ni une insurrection" (p. 12). Pour lui, il ne saurait y avoir ni commémoration ni héritage de 68 : l’aspiration à réinventer la démocratie est toujours vive, l’inspiration de "Mai 68" est toujours vivace…

Le philosophe perçoit Mai 68 comme sortie de "l’époque des conceptions du mondes" (formule de Heidegger qu’il reprend à son compte), sortie de l’Histoire en tant qu’horizon (dé)fini, dans la mesure où ce mouvement qui inaugure une nouvelle avant-garde politique et intellectuelle, introduit une rupture avec les paradigmes politiques et intellectuels dominants, avec les schémas et les schèmes de perception en cours, et notamment avec une conception essentialiste du sujet comme de l’Histoire. Ce qui pour lui est remarquable, c’est la dimension messianique ou épiphanique de cet événement sans avènement : faisant prévaloir l’esprit sur la forme politique, la fulguration de 68 appelle à un ailleurs qui refonde la chose politique, contre toute théologie politique et contre le modèle économique qui s’est imposé au XIXe siècle ; cette brutale irruption rappelle que l’autorité du pouvoir n’est pas en soi mais fondée par la puissance d’être-en-commun, que le régime du possible ne ressortit pas seulement au devoir-être (futurs droits) mais au potentiel (aux potentialités pures), que la valeur peut relever de l’incalculable, de l’inéchangeable

La démocratie comme puissance extatique

Jean-Luc Nancy présente "Mai 68" comme une véritable extase politique : contre toute forme déteminée, ce "temps de 68 (…) moins chronos que kairos" (32) fait apparaître la démocratie comme ouverture du fini par l’infini. Et le philosophe de proposer sa propre conception de la démocratie : "Le kratein démocratique, le pouvoir du peuple, c’est le pouvoir d’abord de faire échec à l’archie et ensuite de prendre en charge, tous et chacun, l’ouverture infinie ainsi mise au jour" (57). La démocratie doit être réformée pour être informée par un ailleurs ; cependant, si elle est consubstantielle à une métaphysique, elle ne saurait être l’actualisation d’une fin préétablie, puisqu’elle tomberait alors dans l’idéologie. Se gardant de toute hypostase comme du principe de subsumation, J.-L. Nancy conçoit la dissociation entre politique et éthique comme constitutive de toute véritable démocratie : la politique est ouverture d’un espace de différenciation, condition de possibilité de l’inéquivalence.

C’est à cette condition que l’on peut échapper au paradigme de l’équivalence généralisée (à l’anomie), à l’aporie d’un libéralisme qui, outre qu’il ne prend en compte que l’homo economicus, se révèle incapable de lutter efficacement contre le totalitarisme capitaliste, cette dictature des marchés alliée à ue violence symbolique engendrant le paradoxal individualisme de masse. Car Jean-Luc Nancy a raison de souligner qu’il y va de rien moins que de l’être-singulier même… Au libéralisme, qui fait prévaloir la perspective économique, il oppose donc ce que j’appellerai le libréthisme, qui accorde la primauté à la dimension éthique ; d’où cette série d’antinomies : indéfini versus infini, indifférence vs différence, tolérance (molle) vs confrontation…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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1 comment

  1. simony gabriel

    les luttes populaires aboutissent parfois à la manifestation de formes politiques innovantes ; mais très vite, apparaît une INADEQUATION entre l’Esprit (des luttes) et les déterminations objectives. cette inadéquation est comme l’indice d’un appel à l’infini.JL Nancy ne me semble pas loin de Hegel sauf que celui-ci fixe une fin de l’histoire et que JL Nancy entrevoit un chemin infini.ce chemin , aperçu en 68, croise l’individu et ses singularités

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