[Dossier] Manuel Joseph, La Tête au carré (1/3)

[Dossier] Manuel Joseph, La Tête au carré (1/3)

juillet 12, 2010
in Category: chroniques, Livres reçus, News, UNE
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Manuel JOSEPH, La Tête au carré, P.O.L, mai 2010, 72 pages, 18 €, ISBN : 978-2-84682-201-5.

Pour rendre compte de ce que l’auteur lui-même appelle dans sa dédicace "une anamorphose putride", un "petit labyrinthe sans cul-de-SAC", d’abord une présentation qui n’oublie pas de renvoyer à l’Exposition de Thomas Hirschhorn au Centre National de l’Edition et de l’Art Imprimé, puis le texte de Sylvain Courtoux (du pur Courtoux !) ; le dernier volet du dossier, un entretien avec celui qui fait assurément partie des écrivains français actuels les plus novateurs, sera mis en ligne à la Rentrée.

Présentation éditoriale : Plus que dans aucun de ses précédents livres, Manuel Joseph se montre dans La Tête au carré un écrivain du montage. Le film, le texte, ce serait celui du monde violent, le nôtre tel qu’il tue et mutile, tel qu’il expulse et déplace, de Gaza aux banlieues. Ce texte est fait d’éléments en principe hétérogènes que le montage, précisément, associe, fait résonner, oppose et juxtapose non pas au hasard mais selon une logique de la sensation et de la prise de conscience, tandis qu’un personnage récurrent, Elsa, sorte de surperwomen tueuse et cruelle, prend en charge une narration bousculée.

Petite note de lecture : Pourquoi la tête au carré ? Sans doute avant tout parce que l’actuel mot d’ordre dominant est de "REMPLIR TOUS LES ESPACES, PHYSIQUES ET SPATIAUX, PSYCHIQUES ET MENTAUX, CEUX DE TOUTES LES TÊTES"… Notre "réalité", Manuel Joseph nous la montre avec brio, est celle des discours qui nous traversent : médiatiques, politiques, didactiques, ludiques… Cette "réalité", il nous invite à la décoder en l’exposant sous tous ses codes : "sa" réalité est donc cadrée, encadrée, illustrée… Dans ce monde, seuls les droits de l’ordre sont bafoués. C’est dire les effets critiques engendrés par ce document poétique, au sens où l’entend Franck Leibovici : technologie intellectuelle qui procède au redécoupage modélisé et hétérogène du réel médiatiquement uniformisé (Des documents poétiques, Al dante, 2007).

Prenons un exemple de montage critique. À un encadré portant cette inscription "Développement durable et Mouvement social" succède un échantillonnage représentatif de la novlangue actuelle, en tout conforme aux analyses de Jaime Semprun dans Défense et illustration de la novlangue française (éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2005), c’est-à-dire une langue machinique abstraite qui assure la domination techno-libérale : " (Suite à un mot d’ordre de grève d’une catégorie certaine du personnel les tracts ont été rebaptisés après un vote équitable quand bien même l’unanimité ne fut atteinte mais l’urgence nous oblige à réagir suite à un social mouvement venu de la base qui nous dépasse alors que la direction a su prendre les devants de la charrette placée avant les bœufs et lancer la délocalisation hors du centre imparti aux dirigeants du Parti du développement équitable qui équivaut à un espace excédant l’Union européenne et en conséquence nous prîmes les mesures requises par la direction du Centre du parti) "…

Dans le même temps qu’on lira ce livre, jusqu’au 26 septembre 2010, on visitera l’Exposition de Thomas Hirschhorn au Centre National de l’Edition et de l’Art Imprimé (CNEAI : Hameau Fournier, îles des impressionnistes à Chatou).

► « Un manifeste de Thomas Hirschhorn sur Manuel Joseph. Au-delà des supports de la poésie traditionnelle, l’artiste suisse Thomas Hirschhorn s’intéresse aux nouvelles formes adoptées par les poètes d’aujourd’hui à travers les écrits de son ami, le poète Manuel Joseph. À partir d’une collection constituée sur 15 ans, de mots, de lettres et d’objets signés du poète, l’artiste livre une exposition s’attachant à traduire la réalité de cette discipline artistique et à y impliquer le public. "Je veux exposer la poésie de Manuel Joseph. Depuis 25 ans que je le connais, Manuel Joseph m’a démontré que la poésie est sa réalité et qu’il la vit dans une radicalité inouïe – avec ses livres, ses lectures publiques, les textes intégrés, ses papiers disséminés, ses échanges administratifs. Je veux essayer de montrer que cette réalité – la réalité d’un poète aujourd’hui – va bien au-delà du fait d’être imprimé dans un livre à couverture blanche. Je veux montrer que la poésie de Manuel Joseph possède les ressources pour impliquer le public – aujourd’hui" » (Thomas Hirschhorn).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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