[Livres] Les héros sont fatigués (sur Eugène Savitzkaya), par Jean-Paul Gavard-Perret

[Livres] Les héros sont fatigués (sur Eugène Savitzkaya), par Jean-Paul Gavard-Perret

mars 3, 2015
in Category: Livres reçus, UNE
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[Livres] Les héros sont fatigués (sur Eugène Savitzkaya), par Jean-Paul Gavard-Perret

Jean-Paul Gavard-Perret vous donne envie de lire les deux livres que Savitzkaya vient de publier aux éditions de Minuit. Et d’abord, pour vous donner l’eau à la bouche, ces deux phrases extraites des quatrièmes de couverture : "sans la cyprine, point de bonheur en ce monde, ni d’appétit" ; "voici l’histoire romancée d’un garçon fraudant la vie comme on fraude l’État, la douane, le fisc, l’église ou la couronne"…

Eugène Savitzkaya, À la cyprine, Editions de Minuit, poèmes, février 2015, 104 p., 11,50 € ; Fraudeur, roman, Editions de Minuit, février 2015, 168 p., 14,5 €.

 

Savitzkaya sait qu’il existe une béatitude immense à n’être rien, à être tout. Mais ce n’est pas si simple. Si tout ne peut que commencer qu’à l’approche du néant  chacun  ignore ce que peut être le rien qui est forcément quelque chose.  Penser, en supprimant la négation, invalider le langage est une vue de l’esprit. C’est pourquoi, plutôt que de miser sur l’improbable et la spéculation philosophique, Savitzkaya « parie » sur la tendre indifférence du monde et des ordres (non humains) qui le peuplent : « Que l’eau sourde noire du fleuve / gagne la blondeur des sables / qu’elle abreuve de vase et de pierres /que pullulent protozoaires / dans l’humide et fourmis / dans le sec gâteau de terre ». Et qu’importe si la source « ne dit mot / du secret et la citerne ». L’essentiel est déjà dit. Et qu’importe si comme son fraudeur il faut tricher afin d’affronter sa propre existence. Peu d’écrivains ont le courage de le dire. La vie n’est pourtant qu’une suite de compromis avec soi-même.

Savitzkaya ose ce que les autres nient. Cela fonde son langage, et la précaire assurance de ce qui nous habite mais qui ne va qu’à sa fin. Cela implique l’exclusion de toute logorrhée. Exit aussi le lyrique. Il fait retrouver un alphabet  et une poésie primitifs. Il s’agit comme toujours chez le Belge de toucher à l’extase des sens et rester sur face à la faune et à la flore. L’une et l’autre donnent  la valeur la plus haute à la vie comme aux mots. Ils nous font signes. Et nul besoin de les maîtriser forcément. La leçon (si leçon il y a) est rare dans la littérature qui préfère huiler la mécanique humaine sans se préoccuper du reste.

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rédaction

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