[Livres] Libr-kaléidoscope (2), par Périne Pichon et Fabrice Thumerel

[Livres] Libr-kaléidoscope (2), par Périne Pichon et Fabrice Thumerel

avril 4, 2014
in Category: Livres reçus, UNE
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[Livres] Libr-kaléidoscope (2), par Périne Pichon et Fabrice Thumerel

Le principe du Libr-kaléidoscope est de présenter une sélection des nombreux ouvrages reçus – qu’ils fassent ensuite ou non l’objet d’une chronique à part. Dans cette deuxième livraison de 2014 : Laurent ALBARRACIN, Le Citron métabolique (éditions Le Grand Os) ; Luis BEÑITEZ, Les Imaginations (L’Harmattan) ; revue AKA, série Z :/ (Marie Cosnay, Stéphane Korvin, Christophe Manon et Marie de Quatrebarbes).

 

► Laurent Albarracin, Le Citron métabolique,  éditions Le Grand Os, 71 pages, 9 euros, ISBN : 978-2-912528-18-6.

Le citron y est ici pressé, épluché, pressurisé dans toutes ses formes et dans tous ses sons :

beaucoup de

mais aucun pour empêcher

la hache

du chaque

dans le tronc

de l’ici

L’acide du fruit ainsi disséqué semble avoir altéré le langage ; celui-ci se décompose en syllabes « ci » et « on », et « tronc », pour composer le poème. Une conséquence de l’épluchage : cet adverbe « ici » qui ne cesse de s’affirmer. Il creuse, par sa présence incisive, un moule pour le fruit absent mais pourtant « ici » et presque « là ». Transformé en nom, « ici » en vient également à désigner le texte comme un lieu ; dans le mot « citron » se crée alors comme un espace-lettre doté d’une ampleur et d’une profondeur où prennent place des « pépins /comme des ballons ».

Ce lieu reste hypothétique puisque le poème est au conditionnel. Un mode sous-tension, entre le possible et l’inexistant, pour décrire un monde aux allures de promesse. On est suspendu au « presque », piqué par l’acidité de l’agrume. Et par les jeux de langage du poète qui dessine un univers sphérique, où les extrémités se touchent et le peu devient « [ …] l’ombre/ du beaucoup ». Partis du jeu des sons, les mots se rapprochent : « côtelé » et « cauteleux » ; « oscillation », « vieille scie du monde », et fournissent l’illusion d’une similitude tronquée. Les lettres sont toujours les mêmes, pourtant les noms changent. Ce processus familier devient étrange quand il part d’un zeste d’agrume.

Attention, le citron n’est pas le support du poème (comme chez Francis Ponge), mais bien sa matière. Il est transformé plutôt que révélé. Toutefois, cette transformation s’inscrit dans un cycle : il donne la matière pour créer le texte, et le texte retourne au citron, comme dans ce petit chiasme : « citron tel/ que citron/ se donne ». La forme même du poème – des vers coupants parfois réduits à un mot – participe à la décomposition du signifiant « citron ». Décomposition nécessaire pour produire quelque chose de nouveau, comme d’autres mots s’agençant autrement, pourtant soumis au même processus de dégradation/transformation. Ainsi se crée un « métabolisme » poétique. /PP/

 

► Luis Beñitez, Les Imaginations, traduit de l’espagnol par Jean Dif, L’Harmattan, hiver 2013, 74 pages, 10,50 €, ISBN 978-2-343-01558-3.

 

La poésie de Luis Beñitez relève d’un jeu de collage et de surimpression d’images, dans la continuité des poètes surréalistes. Il s’ensuit une rupture dans le poème, une dissonance qui fait basculer le texte dans l’absurde. Cette mise en scène de l’absurde va de pair avec un regard désenchanté, facilement cynique, sur le monde. On perçoit la figure d’un énonciateur-observateur regardant et jugeant avec distance, son monde, son écriture voire la situation du lecteur en train de lire : « Dans cette salle où le poème, parcouru ligne à ligne,/ Est écouté ou lu distraitement,[…] ». Le lecteur se trouve d’ailleurs mis à contribution à plusieurs reprises.

Ainsi, les objets, événements sont réfléchis par l’écriture, comme dans un miroir qui permettrait à la fois de les éloigner et de les observer :

« Le bateau que je vois dans le miroir

Demeure difficilement gouvernable

Bien que

Nous entrions comme des bovins

Dans cet autre enclos du temps 

[…]»

(« Bucoliques/Théologie »)

Ces techniques de montage par collage, de mise à distance, rapprochent l’écriture des techniques cinématographiques et photographiques. Ces deux moyens de production d’images nous ramènent finalement au titre : Les Imaginations. Le livre de Luis Beñitez apparaît comme un lieu d’agencement d’images, voire « d’imaginations », celles-ci entretenant un léger malaise chez le lecteur, dans son rapport à une certaine réalité. /PP/

► Revue AKA, Paris, série Z :/, printemps 2014, ISBN : 978-2-37128-001-4.

Cette livraison se présente sous la forme d’un objet poétique singulier : quatre dépliants recto/verso sous rabat, signés Marie Cosnay ("le – termite – zéro que – j’ai- inventé"), Stéphane Korvin ("et tu disparaîtrais"), Christophe Manon ("l’animal, ce n’est pas lui") et Marie de Quatrebarbes ("l’animal le plus moche de la terre"). De subtils liens les unissent : lyrisme inventif, interrelations entre humanité et animalité, Eros/Thanatos… Homme : "un individu pourvu d’une touffe de poils sur la tête"… Et cet homme est-il "l’animal le plus moche de la terre" ? Se distinguent, sans doute, l’animalangue de Christophe Manon et l’agencement de Marie de Quatrebarbes, dont les répétitions et translations font termiter le texte dans les galeries du souvenir halluciné. /FT/

 

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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