[News-article] Mort de J.G Ballard

[News-article] Mort de J.G Ballard

avril 20, 2009
in Category: chroniques, News
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  Alors que j’apprends ce matin la mort de J.G Ballard à l’âge de 78 ans, je reviens avec ce texte, sur un article dont j’avais le projet et que je n’avais pas encore fini. Si Ballard a une grande importance au niveau littéraire, ce n’est pas tant par son écriture, son style, que par sa mise en question de l’ère contemporaine à partir de la description quasi-clinique des processus psychologiques humains. S’il est rangé dans le genre SF, ou bien anticipation, genre dévalorisé, toutefois, c’est bien dans le creuset de ce genre, en tant qu’il permet de libérer l’imagination du principe de réalité, que peuvent être interrogés certains devenirs de notre humaine condition. Il a fait partie avec Philip K. Dick, de ces auteurs qui ont ouvert avec insistance la réflexion littéraire au monde contemporain : interrogation aussi bien sur les logiques de devenir technologique que sur les variations psychologiques des hommes dans des univers aliénant.

Bruce Bégout écrit dans son article Suburbia, paru dans le volume consacré à J.G Balard par les éditions è®e (2008), que "l’angoisse de l’homme suburbain devant les espaces infiniment désolés de la banlieue infinie correspond en effet, traits pour traits au sentiment inquiétant de perte de la position centrale de l’homme dans un monde non géocentrique" (p.63). Par cette analyse, plusieurs traits de la pensée de Ballard apparaisent. Tout d’abord, Bruce Bégout dans son article met en évidence le monde suburbain, récurrent dans la littérature de Ballard. Monde infiniment étendu, au poin que les hommes puissent même avoir oubliés qu’ils sont sur terre, dans un monde circulaire. Ce trait des récits de Ballard, s’il n’est pas constant, pourtant il apparaît très tôt dans ses nouvelles, comme nous pouvons le constater dans le recueil de nouvelles publié aux éditions Tristram (tome 1 : 1956-1962). Ainsi dès 1957, et La ville concentrationnaire, Ballard nous plonge dans un univers suburbain infini, qui n’est plus pensé comme étant sur une terre, mais où l’homme ayant oublié la forme de la terre, pense que la ville est infinie, dans tous les sens. Deuxième remarque à partir de cette phrase de Bruce Bégout : l’analogie entre d’un côté l’angoisse qu’éprouve l’homme dans le monde de Ballard et d’autre part l’angoisse que l’homme a pu ressentir lors de la révolution copernicienne. L’homme n’est plus central, ceci signifie, qu’il nest plus le maître, qu’il n’est plus le principe moteur du sens, mais qu’il entre dans l’ordre de causalités physiques infinies, dans lequel s’il est conscience constituante pour une part, il est surtout conscience constituée, implqiuée par les causalités dues à l’univers dans lequel il est immergé.

C’est là un des plus grands apports de Ballard, et en quelque sorte, une forme de poursuite de la ligne ouverte par Kafka. Ce dernier que cela soit dans Le procès ou Le Château, décrit à chaque fois, un sujet humain, qui loin d’être volonté absolue, est surtout dominé par l’ordre des événements, non pas en lutte, mais d’abord et avant tout dans l’expérience de conscience d’une tournure du monde sur laquelle il ne peut intervenir. L’arpenteur, dès lors qu’il est dans le village dominé par le château, se fait explorateur des causalités qui s’y jouent et qui se jouent de lui, qui le déterminent peu à peu au point de devoir rester dans ce village, dont d’un coup l’hiver devient sans fin. De même chez Ballard, l’un des aspects le plus important de ses textes, que cela soit les romans ou bien les nouvelles, c’est ce fondement : les hommes ne sont pas d’abord moteur de ce qui a lieu, ils sont bien plus les effets d’un système moteur qui tient dans la cohérence soit surréaliste du monde, soit de logiques politiques ou technologiques décrites minutieusement. Tel que l’énonce Bruce Sterlling parlant de sa relation avec Ballard : "Si vous lui montrez une quelconque innovation techno-sociale, il essaye tout de suite de la disséquer et de comprendre son action sur les forces de l’inconscient" (è®e, p.104).

Le postulat d’où part chaque texte est celui d’une situation, dans laquelle il insert un sujet humain qui va faire l’expérience psychologique de la variation situationnelle décrite. Premier exemple : Chronopolis (1960). Principe : une ère où les hommes se sont détournés absolument de la technologie et notamment et surtout de ce qui est son principe de fonctionnement : le temps mécanique. À partir de ce postulat situationnel : il introduit un personnage, qui psychologiquement ne peut réfréner le désir de compter, de mesurer le temps. Dès lors nous suivons, son exploration de la situation, sa découverte de l’ancienne civilisation celle de chronopolis. Deuxième exemple : Le débruiteur. Principe : une civilisation humaine, qui peu à peu en est venue à considérer le son, le bruit, comme une pollution, notamment en découvrant que tous les sons produits laissent dans la matière une certaine quantité vibratoire continue, qui dure bien au-delà de la durée du son réel. Expérience situtionnelle d’un débruiteur. 

Chaque récit s’ouvre selon cete logique : postulat situationnel, variation psychologique d’un ou plusieurs personnages qui en quelque sorte testent la consistance du postulat de départ. Ce test se fait selon deux logiques : 1/ tout d’abord ce qui peut en effet varier dans l’homme et ce face à quoi il est impuissant. 2/ ce qui caractérisant l’êre de l’homme, semble réfractaire à la réalité décrite.

Car il s’agit bien de cela : si pour une part Ballard pousse la logique contemporaine jusqu’à des principes absurdes, concentrationnaires, ce n’est pas seulement pour refermer la question de la liberté humaine, mais bien plus, pour montrer en quel sens selon les postulats situationnels, l’homme peut revendiquer une forme de libération. Volonté certes, mais souvent vaine, au sens où il ne peut renverser l’ordre établi. Là aussi on retrouve la logique de Kafka au niveau du récit. C’est pour cela qu’il peut expliquer dans son entretien avec Jérôme Schmidt, publié dans l’opus aux éditions è®e, que son "approche littéraire traite de la dystopie, d’une manière positive si possible. (…) La littérature est là pour contextualiser cette horreur, en expliquer — si possible — ses tenants et ses aboutissants, la disséquer pour la comprendre" (p.23). Cette positivité n’est pas à saisir comme renversement des postulats situationnels, mais comme il l’exprime, en arlant de Cronenberg, il s’agit de percevoir "comment la conscience individuelle s’accomode de la réalité collective, comment elle échoue à se frayer un chemin dans l’artifice collectif" (p.15)

Ainsi les récits de Ballard reposent sur un pacte de lecture qui supposent une forme de crédulité spécifique de la part du lecteur. Si pour une part lui est proposé une situation où il ne peut être qu’incrédule, ce qui tient du caractère science-fiction ou fantastique, cependant, loin de le réduire à cette situation, ce qui est attendu de lui, c’est bien qu’il fasse l’expérience consciente de ce que pourrait penser le personnage. Au même titre que dans 1984, chez Orwell, il s’agit de faire l’expérience d’une conscience ordinaire qui se détache de l’ordre totalitaire, chez Balard, à chaque fois, ce qui est demandé c’est de saisir pour quelle raison, la conscience individuelle, du point de vue de sa singularité, ne peut se conformer précisément à la situation et à ses mécanismes. Il est demandé ainsi paradoxalement au lecteur de croire en des postulas pour mieux s’en détacher, à savoir faire le parcours du personnage réfractaire.

 

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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3 comments

  1. sylvain c.

    Bravo Phillipe beau commentaire. Je suis d’accord avec toi il faut sortir la SF de là où elle est, i.e. littérature de nerd ou de geek. Et dans cette littérature là (qui libère l’imagination à donf du principe de réalité comme tu dis), il y a d’un côté une littérature élégante, inspirée et extrêmement divertissante (à peu près 90 %) et il existe une SF de pure expérimentation faite par des expérimentateurs du langage et dont on ne parle plus du tout aujourd’hui… certains Ballard faisait partie de cette catégorie, comme le « Tous A Zanzibar » de John Brunner, « Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut Jr, les grands livres de Philp K.Dick, Matt Ruff, Lewis Shiner, Neal Stephenson, ou encore le français Philip Goy avec son dantesque « Livre/Machine » qui est lui, à la croisée de Deleuze, de la poésie visuelle, des schémas de La Redaction ou de toi phil, et de Claude Ollier. Sauf que ce livre est de 1975. Alors à tous les éditeurs qui lisent ce poste, si vous n’avez rien à publier d’intéressant pour l’année prochaine, re-publier ce livre génial, qu’une nouvelle maquette ne pourra que rendre plus fort… Je vous garantit une putain de claque.

  2. rédaction

    Tu as tout à fait raison Sylvain. La SF, l’anticipation, ou encore le fantastique (quoi qu’il a bénéficié d’auteurs comme Poe, Maupassant, Lovecraft, Borges, Cortazar, qui sont devenus des classiques) sont classé a priori dans un genre mineur, alors que précisément c’est dans ces contrées que sont faites des expériences de devenir qui sont absolument essentielles.
    C’est pour cela que je trouve assez fondamental ce que dit Dominiq Jenvrey, lorsqu’il parle de E.T fiction concrète.
    Ce que permet l’ouverture de ce type de fiction, c’est précisément ce qu’est l’impossible pour le langage humain, donc une forme d’angoisse généralisée face à l’inconnaissable.
    Ce que disait assez bien (c’est un des points importants) Christophe Fiat dans son Stephen King.
    Alors qu’une parie de la poésie repos encore dans la seule question du sujet, de son impossibilité à tomber dans le langage, ou encore sa manière fragmentaire (phénoménologique) de constituer un monde, il y a peu d’expériences qui interroge notre être monde en tant qu’ouvert à l’autre impossible : que cela soit une forme de devenir monstrueux de notre être (entre autre Kafka et ses mutations), que cela soit encore la rencontre de l’autre comme absolument étranger.

    Ballard, et d’autres comme tu le soulignes, nous ouvrent justement à cette radicalité. Certes, on dira, que par moment ils ne sont pas dans la démarche d’une langue. Mais justement, là précisément où ils opèrent n’est pas dans la langue, mais sous la langue. En neutralisant les jeux graphiques ou de langues (Ballard les connait très bien puisqu’il a composé des fictions graphiques, reposant sur des déconstructions de langage), ce qu’ils permetten au niveau cognitif c’est une immersion par le sens. Toute différence mise à part, c’est comme Bataille, dans Ma mère, l’écriture n’est pas d’avant-garde et pourtant le récit est d’une radicalité par rapport à la sexualité et aux interdits de la conscience, bien plus forte que beaucoup de textes qui prétendent par la seule langue ouvrir à cela.

  3. aedman

    pour la petite info:
    Philip Goy… &st né dans le même petit village que bibimoi, quelque part dans le Nord-Isère (Nord-Misère pour les initiés !)… Il a arrêté d’écrire parce que son éditeur « Denoël », qui l’avait pris quelque part pour la nouvelle vache à lait de la SF, le gonflait…
    lui proposant à chaque fois un nouveau contrat à la con encore pire que le précédent…
    Alors zou !

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