[Texte] Fabrice Thumerel, Libr-éclats

[Texte] Fabrice Thumerel, Libr-éclats

juillet 21, 2019
in Category: chroniques, créations, UNE
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[Texte] Fabrice Thumerel, Libr-éclats

Ces Libr-éclats anisotropiques pour que chacun les fasse fuser et infuser à sa guise…

Ces formes brèves sont extraites d’un Libr-Carnet critique. Critique, malgré qu’en aient d’habiles postcritiques hostiles au soi-disant suprématisme rationaliste et aux présupposées dérives rhétoriques de  ceux qui exercent une volonté de puissance source de tous les maux. LIBR-CRITIQUE (1) s’inscrit à l’encontre de ceux qui décrètent la mort de la littérature comme de la critique pour ériger une postlittérature et une postcritique qui poussent sur un terrain anomique laissant libre cours à une littérature de sociétalisation : exit la valeur esthétique, vive les valeurs sociocinétiques… En ce premier quart du XXIe siècle, le « post- » croît sur un piètre compost. (Nous y reviendrons bientôt).

(1) Sur le positionnement de Libr-critique : ici.

 

♦ Délivrés de l’angoisse, du Souci (die Sorge), les Intranquilles peuvent s’occuper du sociétal

♦ Parce qu’ils ont l’habitude d’être aréseaunés, les humoins d’aujourd’hui vivent comme des asticots, mais des asticots de choix : des entre-soi.

♦ Nos démocrazies ressemblent à nos fêtes : quelques drapeaux et ballons, boniments et ricanements, morceaux de musique et de bravoure, des éclats de voix et de lumières, des applaudissements et jacassements du public… et le tour est joué !

♦ Quel bel apologue sur la croyance que le conte d’Andersen intitulé « Les Habits neufs de l’empereur » : il suffit à quelques malins de mettre en scène un empereur paré de ses plus beaux atours pour qu’il en soit ainsi alors même qu’il est aussi nu que le petit-jésus… Aujourd’hui, il suffit de lancer des mots magiques comme « Croissance », « Dette », « Développement durable »… et le tour est joué, tant les « élites » sont atteintes du syndrome des habits de l’empereur !

♦ Aujourd’hui, l’intellectuel n’est plus « engagé » mais « impliqué »… Impliqué, en effet, dans un processus qui le dépasse.

♦ Ne rien lâcher (on, il/elle ne lâche rien) : Mythologie de la Résistance. La bonne conscience des BelleZâmes.
Résultat assuré dans un seul cas : lorsqu’on s’agrippe à son mode de vie consumériste / individualiste.

♦ Ah cette manie de ne voir dans les adultes, y compris les plus mûrs pour utiliser un euphémisme, que des éternels adolescents : « Eh les filles ! Eh les garçons »… Sympathiquement cool… Craquant !

♦ Quel est le comble pour un manifestant ? Assister à son propre meurtre au JT de 20H.

♦ La France-en-Marche… mais vers quoi ? Le Mondial des Winners !
Vite, toujours plus-vite… mais vers quoi ? Plus, toujours-plus… mais pour quoi/qui ? RV à Nulle-Part-sur-Néant…

♦ – Je suis à vous, dit-elle.
– Je ne vous en demandais pas tant… Mais, bon, l’essentiel est d’être dans les temps sans être submergé…

– Je reviens vers vous, dit-elle ?
– Vous étiez partie… où ça ? Vous avez raison, faut bouger… Sinon c’est l’immobilisme ! (Ah non, au secours… tout mais pas ça !).

♦ Comment appelle-t-on une masse que l’on peut prendre à la nasse, pêcher et faire pécher ? Le Grand-Public… Les-Consommateurs… Et comment appelle-t-on une masse en mouvement, insaisissable et incompréhensible ? Le Peuple.

♦ Signe des temps, même une collection se nomme « Back to the roots » (« Retour aux racines », chez Bizzbee) – ah oui, en anglais c’est plus « classe » (nouvelle forme de snobisme, donc)… Générations identitaires : mais où voulez-vous qu’on s’enracine ? Les deux faces d’un monde immondialisé : d’un côté, le bougisme individualiste / consumériste ; de l’autre, l’enracinement solipsiste / nationaliste.

♦ Les récents scandales hexagogonaux (Benalla, Tapie, de Rugy…) me font penser à ce que réaffirme Alain Badiou dans À la recherche du réel perdu (Fayard, 2015), qui définit le capitalisme comme « ce monde qui est constamment en train de jouer une pièce dont le titre est « La démocratie imaginaire » » (p. 25). Il n’est pas jusqu’au vécu scandaculaire – si l’on ose ce néologisme – qui ne soit biaisé : la mise en scène d’un éclat de réel comme exception ne permet nullement d’atteindre le réel réel, dans la mesure où le scandale tend précisément à cautionner insidieusement l’ersatz de réel (la pseudo-révélation d’une « affaire » n’a de cesse de nous conforter dans notre appréhension rassurante du microcosme politique : l’exception ne saurait être la règle ; la purgation d’une infime partie garantit l’harmonie du corps entier, c’est-à-dire le conduit à la rédemption).
Pour le philosophe néoplatonicien, on ne peut échapper à l’aliénation qu’en réussissant à s’abstraire du monde des simulacres, ce qui est loin d’aller de soi : notre rapport au monde social étant structuré par le discours dominant, nous renonçons de fait à la conception du réel comme expérience sensible ou vision existentielle. Le problème est en effet que nous vivons en un temps où triomphe un « semblant démocratique » qui se présente comme une fin particulière de l’Histoire : l’homme ultramoderne renonce au réel pour se contenter de satisfaire ses envies dans un monde matérialiste caractérisé par la saturation sémiotique et la clôture symbolique.


Jusqu’au moment où le voile du tabernacle se déchirera – et pour cela il faudra au moins qu’un tiers de la population des Pays-Riches connaisse la même misère que celle du tiers- ou du quart-monde, à cause d’une crise systémique renforcée par la crise climatique, sans parler des risques de conflits –, la chose publique, bonne fille, abritera en ses alcôves les suppôts d’un totalitarisme ultra-libéral qui maintient son cap du Toujours-Plus au moyen des « démocratiques » violences étatiques et des multiples manœuvres de ses complexes scientifico-technologico-économico-médiatico-technocratico-militaro-politico-idéologiques / bourreaucratiques.
Ce sont bel et bien les réfractaires à la société du spectacle politique, les néo-iconoclastes – savoir, ceux qui s’attaquent aux icônes de l’Ordre néo-libéral – qui sont « pris en otages » par les zélateurs et conformistes de tous poils : leur « crime » est de jeter l’opprobre sur le système même de la démocratie représentative, et donc de faire-le-jeu-des-extrêmes…  Comment répondre à ces adeptes de la « pensée molle » (Accursi) qui ne font qu’ânonner les ineptes slogans mainstream, sinon par une question :  que penser d’un système qui « laisse le choix » entre la peste et le choléra ? S’il n’y a pas de leçons à retirer de l’Histoire, on peut du moins retenir cet invariant : nul dialogue possible avec un pouvoir totalitaire ! Mettons-nous donc en devenir : contre l’aliénation ultra-libérale, inventons/développons des singularités, agents catalyseurs de véritables collectivités.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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