[Texte] Mathieu Brosseau, Autobiographie du Nous

[Texte] Mathieu Brosseau, Autobiographie du Nous

septembre 21, 2010
in Category: créations, UNE
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 "Je t’invite, frère, à séjourner avec les morts pour parfaire ton identité"…

Après le Cahier Républicain de Philippe RAHMY, nous avons la chance et le plaisir de publier un très large extrait du prochain livre de Mathieu Brosseau, Ici dans ça – dont on lira et écoutera un autre extrait sur Remue.net., celui-là même que l’on a commenté dans le n° 17 de Fusées. "Autobiographie du Nous" est un Agencement Répétitif-Réflexif qui, renouvelant le lyrisme poétique en clignant du côté de Rimbaud, Michaux, voire de Novarina, est régi par une série de tensions entre Je et Nous, dedans et dehors, intime et extime, même et autre, humain et inhumain. Nul doute qu’il fait partie de ces "poèmes à crier" qui trouent notre espace – notre espèce. /FT/

Pour Christophe Manon

Nous en savons beaucoup trop, bien trop pour être menacés, bien assez pour mourir à petit feu par le poison, nous n’appartenons pas au monde car le monde ne nous appartient pas, il y a une symétrie dans l’exercice de la propriété, un vol a été perpétré, celui d’une parcelle de l’âme, nous possédons ce qui nous possède dans la fiction de nous-mêmes, nous sommes des vendus et la parole nous tient par la gorge, nulle fuite possible, nous revenons d’un pays où nulle propriété fait loi, nous sommes en exil et la pensée nous charrie.

Nous vivons dans la poche fermée, ivres, nous n’avons pour avenir que celui de la poche, tu dis le nom de la poche, tu dis le nom de ton avenir, je n’ai plus l’impression de devenir car j’ai conscience de la poche, je fais dans le fermé, l’ouvert, c’est l’envers de la parole, je n’ai plus d’avenir, j’ai tous les avenirs, je ne suis pas propriétaire, cela serait bien trop humain, il fait froid, j’ai tous les avenirs dans mon bocal fermé, je suis l’apesanteur et le crime, la poche est ce crime, qu’elle soit fermée la fait flotter dans les airs. Merci à toi de m’avoir tout retiré des mains, je n’ai plus rien, l’inhumanité tisse la toile autour de mon âme, c’est l’hiver, je prends plus tôt mes bonbons.

Autoportrait du soi qui devient Nous, sujet lyrique par excellence, la pixellisation de ton image reflète toutes les âmes que tu as croisées, toutes celles que tu as aimées, que tu as prises ou déprises ou morcelées, tu jures de n’avoir pas rencontré d’âmes, qu’il n’y a pas d’âme, qu’il n’y a pas d’étendue de l’âme, tu jures qu’il n’y a pas de Dieu, tu le jures sur la tête de tes proches, de tes grands Nous, ceux qui te font et te défont au rythme de la mimèsis sauvage, non ce n’est pas une fleur, c’est l’ordre des métamorphoses. L’autoportrait du Nous varie selon l’axe des soi en mouvement, c’est un portrait changeant.

Ce soir, le psychiatre. Nous ne savons rien de plus que la coque qui nous alimente, nous la savons et rien de plus, nous nous taisons dans notre langue faite pour l’autre, dans notre langue qui figure l’objet et lui exprime sa gratitude, perpétuellement, sa gratitude envers le sentiment personnel de croire n’être plus seul, merci à vous, ô grand Dieu-Singe, de bien vouloir me laisser parler en dehors du sang des astres, de bien vouloir me laisser y croire. Nous ne savons rien et ce savoir nous hiberne, ce savoir nous fait vivre d’amniotisme. Ô fiction, que j’aime ton recul ! Nous ne savons rien de plus que notre coque de vivre, aux contours dépassant de très loin notre peau, nous savons ce qui nous ignore et c’est pourquoi nous avons des dieux.

Nous sommes dans l’eau, aquatiques nous sommes, d’où vient cette espèce de bruit, cette espèce de baleine flottante à dix nageoires ? D’où vient cette sonnerie, ce tonnerre venant avant l’éclair, nous sommes dans l’écho de l’eau et pour parler il nous faut les ondes, il nous faut la possibilité de nous rappeler ce que nous venons de dire, amniotiques nous sommes, tu te souviens de la période d’avant-naître ? ce son, je l’ai entendu mille fois, mille moi enterrés dans l’eau, que devient cette dépression qui te faisait t’asseoir entre les cœurs, où la réassurance fonctionnait, que devient cette eau d’entre les cœurs, nous sommes amnésiques de nous-mêmes, nous ne sommes que la somme des actions, passées et passives, nous dormons notre vie comme autant d’ondes perçues à reculons, par le temps perdu, par le son qui, en retard sur son temps, s’insinue dans les travées de l’esprit parleur, d’où la parole, Dieu, tel que je l’imagine, est un retard pris sur la parole, un de plus. Le grand psychiatre m’a prescrit de la parole en jus de fruit. Il n’y aurait pas de nom à donner s’il n’y avait qu’un événement seul, si la parole fut, c’est d’abord à cause de la fragmentation, filaire d’entre les cieux, parcimonieusement dispersée en amont et en aval de toute théorie, il y eut le retour dans les failles temporelles, dans les interstices de la négation, puis il y eut le retour sur les exemples du symbolique, c’est-à-dire d’un espace nommé par le sectionnement d’un temps perdurant infiniment, il y a la bête comme émanation symbolique, il y a le trou comme figuration de la jonction entre le faire et le fait, il n’y a pas d’intervalle donné, tous ont été volés par la parcelle, par le territoire d’une seule croyance, par la foi que l’on y porte, d’où le monde. Nous sommes le monde et son allant, nous sommes le monde et son arrivant, nous sommes le monde et son territoire, nous sommes un jeu multiface brillant entre les feux d’une parole qui se disloque. Bien que toute séparation soit vaine. Notre psychiatre nous baigne d’anxiolytiques en tous genres, nous abreuve d’un truc à ne pas recommencer.

Nous brillons de force et d’espoirs, nous sommes la vacuité d’un vide qui se tient, nous sommes, bon dieu, nous sommes, les autres du plusieurs, dans la démultiplication, nous sommes le jeu et sa face, nous nous calibrons entre les soi, des morceaux de vie, nous sommes synchronisés avec les faces, nous prions l’âme pour le Dieu, nous avons peine à retrouver tous les intervalles de la pensée, nous prions Dieu en l’absence de toute âme, bien que l’âme soit parmi nous, variant d’existence entre les feux, jouissant de toutes les paraboles de l’action, parsemant tous les paratonnerres, les actions, les diables pour se faire, il faut des diables pour se faire, les mains décrochent du vide par les diables qui se font, il serait fou de dire que le mal n’a rien fait pour nous, il serait fou de penser qu’il ne participe pas à la plénitude manuelle, À ce que nous avons dans les mains, à ce que nous en faisons, à ces mains qui nous servent et que nous servons Nous, de nos jours, lyriques, autobiographie du nous, le nous pris comme chose inexistante, comme pulsion de vie, chose lyrique par excellence, pulsion de vie, l’allant de toute allure consanguine, nous sommes nous-mêmes, les autres d’autrui, les palimpsestes, nous nous aimons, nous forniquons avec les plusieurs, nous allons de l’avant, allez, frère, avance, vibre de marcher, tu l’auras, ta vie, tu l’auras, tu viendras à nous comme nous allons à soi, nous sommes nous-mêmes dans le décor des soi inexistants, dans le cadre des obscurités vaillantes, la bougie allumée, je t’invite, frère, à séjourner avec les morts pour parfaire ton identité, pour t’extraire de la vie, pour varier sur les plaisirs de l’obscur, pour assumer l’identité pleureuse du chacun, de la possibilité d’être plusieurs dans la marche solitaire, pour examiner les possibilités d’un être au monde en dehors de çoi, le çaction pour nous, c’est le décor de l’investiture, le présidentiable, c’est la pulsion vitale des choses prises, c’est l’objet qui s’enfuit et qui ne cesse de dire son nom, c’est l’envers, l’en-dehors de soi, c’est l’échappée de l’objet, c’est le soi endormi, c’est l’espoir de toute vie.

Le çoi, c’est le nous lyrique, il reste quoi du çaction ? sinon, les restes du soir ? A l’aube, nous nous éveillerons tous, nous irons à nos propres morts, nos communes mesures, ce qui nous touche, ceux qui nous touchent, la variété, le style, l’allure d’un étalon du vide, nous passons le miroir, nous entrons dans la force des cieux, derrière il y a l’absolutisation d’un soi qui s’ignore, nous entrerons dans la force des stèles, la variété, la cassure, l’espèce dans toute sa dimension, le genre dans toute sa partition, l’exemple dans toute son histoire, prenez garde, prenez soin, prenez soin de vous et de vos frères, ô frères humains, qu’y a-t-il de diable derrière vos mains, Diable, qu’y a-t-il de saint dans vos paumes, sinon l’œil de voir, voir au-delà des prises du pouvoir-vivre, du savoir-être, de l’être-en-demeure, la dimension, la seule, la dimension unique d’être nous en soi, d’être çoi en exil, forcé d’être au départ de toute imposture, ô frère, soyons la fierté de nos abîmes.

Le çaction, pour nous, c’est l’objet qui s’enfuit et qui ce faisant ne cesse de dire son nom, par le mouvement, celui du dehors, hors de la portée du soi, hors de l’enfantement, c’est la clarté, c’est le ça filant, c’est le meurtre et la joie, c’est l’histoire du dire, ce sont les çoi qui se regardent, c’est l’avènement des masses, de leur mouvement, c’est l’impossibilité du voir par çoi, c’est l’avènement du voir par la loi, par le présumé, l’enrichissement du dire par la langue qui va là-contre, vient, irons-nous, irons-nous dans les bois, veilleras-tu sur tes enfants, je n’en ai plus, çoi n’est plus que res publica, je suis ta chose dans l’enferrement des çoi, le çaction, cette poussée de l’intime vers l’extime, ce trou comme figuration de la jonction entre le faire et le fait, la chose anoblit par son absence, le çaction, pour nous, est la Chose absente parmi les choses. C’est la cosa divina, elle nous agit, seul le çoi s’en sépare. Dieu est entre nous !

Le Dieu-Singe de la participation, es-tu spontané ? Sais-tu utiliser le sujet ? Le Nous, cet assemblage de soi généralisés, cet émiettement d’un seul, la part commune est la part multiple, on ne se soigne pas, on s’ébroue, ce soir, à dix-neuf heures, il était question de prendre mes médicaments, il était surtout question de faire le deuil de l’origine, c’est-à-dire du grand palimpseste, il était question que nous copulions tous sous le regard imperturbable de grand Nous, sujet lyrique par excellence. Merci au Dieu-Singe de m’avoir laisser participer à la danse des prieurs inconnus.

Nous les égarés, les penseurs, les égarés, les invertébrés, nous marchons l’âme en peine, les délires comme seules reconquêtes du soi perdu, avaleurs d’instants, perdus dans l’atemporalité, les gosiers en forme de mouche, les abeilles au fond des oreilles, pareilles à des plumes chatouillantes, nous les affreux, les chaleureux trublions, les angoisses piétinantes, les stupeurs nous fixent d’arbre en arbre, de chêne en chêne, tout dans la lettre, dans l’inspiration, dans l’aspiration du H demeuré, celui qui persiste, le parasite de la bouche, considéré comme tel par certains pieds fixés, par les inscrits, par les preneurs de temps, les excusant, le temps comme prétexte, nous les semeurs d’identité, nous parcourons les vignes et buvons le vin des signes, nous bafouons les sentiments d’appartenance, nous ne sommes qu’inhumains, nous ne nous appartenons pas, nous ne pouvons être qu’ainsi, nous nous présentons à nos ennemis comme des joueurs, comme des faux-êtres, comme des pluriels de l’existence, nous nous plaisons à varier sur tous les axes, nous nous plaisons à prédire les sciences et toutes les choses finies, nous nous plaisons à redire les vies, à nous prédire dans la fiction, nous nous racontons en autant d’excroissances, nous les semeurs de vie, nous qui parions sur la souche, sur le trou d’être, sur la variété recrachée par le fond du gouffre, nous nous rejoignons par les trains qui mènent à nulle part, et retourne à l’envers de la parole, nous nous racontons par l’ombre et ses passerelles dévorantes, nous choisissons d’être en suspens dans les châtiments des êtres, la justice nous validera et notre maladie nous pardonnera.

L’attente, nous l’attendons, la future, la proche, celle d’entrevoir, la vérité qu’on accroche, la bulle, celle qui s’émiette, la proie, celle qu’on touche, la veilleuse, celle qu’on éteint, le froid, celui qu’on prend, dans les mains, celui qu’on anime, la flamme, celle qui nous anime, dans la veilleuse, celle qui nous reprend, la puissance, celle qui autrefois permettait la combinaison des nombres, la flûte, celle qu’on dessine, la pointe, qui nous tend et nous étend, la plume et son accessoire, la prise qui nous émancipe, le son des becs et des larmes, le son des vivres et des flammes, celles qui nous figurent, dans cette obscurité vive, le noyau, celui de l’équilibre, à médicaments, à chaque 19 heures chaque soir, nous ne sommes tombés que sur des centres, nous ne tombons pas, nous nous aimantons, nous espaçons les espaces trop extrêmes, nous voyons la flûte et le paon, l’amertume des jeux des astres, pliés en leur absence, les jeux, ceux des dames, des pions et des noyaux, centres, ceux qui nous tiennent dans une même vie, dans un même pli, le diable, s’il en faut, nous faisons les enjeux, les diables, les extrêmes, par ceux d’où arrivent les centres, les majestueux, ceux dont on sort, ceux qui nous prennent, l’absence, la dite, celle qu’on nous prescrit, l’absence, la vraie, celle qui raconte, les absences de ceux qui ne reviennent plus, les vrais, les absents, les variés, les présents qu’on assume, les gloires passées, les légions, qui nous assomment, qui nous vantent, par la négation, qui nous haïssent pour mieux nous étreindre, va où tu vides, va où, va où tu t’absentes, les gaz, disparaissent, les gaz s’infiltrent, vont là où il n’y a, il n’y a personne, il n’y a plus, il n’y sera rien, le mouvement se décide dans ces réseaux d’absences, les gaz s’infiltrent, les bruits s’infiltrent, le même sur le même ne signifie plus rien, ne signifie plus rien, au centre des centres, les centres se superposent à n’en plus finir et en ont perdu la faculté de parler.

Nous, la cure, la pensée de la cure, on me dira politique, dans ce chapitre, rien n’est clair, il apparaît clairement que rien n’est clair, nous le sentons, il bat contre le vivre, nous sentons la parole d’un seul être, nous sentons qu’il est possible de jongler avec les sphères, nous sentons qu’un seul s’ignore, nous sentons, tous à penser qu’un seul n’existe pas sans le reste, qu’il n’y a qu’un seul réseau des âmes et qu’un seul s’y perd, qu’un seul est la pensée du pauvre qu’il n’y pas qu’un seul être mais des milliards, que leurs vies dépendent aussi de nous, que nous sommes dans notre autobiographie perpétuelle, que nous nous racontons, à prise de médicaments, tu m’enfonces, tu me fais sans le savoir, voir la multitude par le trouble oculaire que tu m’imposes, sans le savoir, il n’empêche qu’un seul, n’est pas pensée, que d’une moitié, qu’il n’y a rien à redire à la pensée atomiste sinon qu’elle n’a rien compris à la chaîne des sphères perdues, qu’il n’y a rien sous le soleil qu’un ensemble de soleils, qu’il n’y a rien sous le soleil qu’une série de liaisons qui se font et se défont, qu’il n’y rien sous le soleil qu’une série d’êtres en fusion qui se préservent, pouvoir de la préservation, ô monde que serais-tu sans ce pouvoir de liaison, vous me prendriez pour un fou, il est heureux que pour faire ce livre, je me sois bien gardé de parler de nous. Car nous est la plus haute raison, qu’il nous faut exister, sans se préserver, la seule pensée est celle de l’homme détaché, prend cela contre toi, je t’aime sans moi.

Proposons une oeuvre universelle.

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rédaction

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2 comments

  1. BrunoG

    ça c’est du texte !, rigoureusement bien écrit, avec digression, fragmentation, etc. Intérêt pour le pot commun des espèces. Intérêt pour ce qu’il nous est donné de voir dans un monde éteint par l’idée du « Nous ». Intérêt pour la question/révélation de l’être-au-monde dans/par sa parole. Heureux de lire qu’il existe encore des textes de cette trempe, parmi tout ce que je découvre sur le net. Merci.

  2. Fabrice Thumerel

    Le poète Mathieu Brosseau, comme nous tous sur LIBR-CRITIQUE, sommes ravis de cet enthousiasme-là !

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