[Texte] Pierre Jourde, Le Maréchal absolu (8)

[Texte] Pierre Jourde, Le Maréchal absolu (8)

septembre 22, 2008
in Category: créations, UNE
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Négligeons, si tu le veux bien, et tu le veux bien, la FLIPO, marginalisée par son extrémisme marxiste obsolète ; négligeons de même les Serviteurs du Prophète, ce sont en réalité, pour l’essentiel, des agents de nos services action chargés de faire de la provocation, flanqués de quelques pieux jobards, et ils ont du mal à s’imposer sur le terrain, ils doivent au moment où je te parle être en train de terroriser quatre villages pouilleux en Extrême-Sybarie.

Il y a des attentats à leur actif, mais je ne sais plus lesquels. De tout petits attentats, certainement, légèrement au-dessus de la flatulence, c’est tout ce que je peux espérer. Le caporal Kowka, tiens, tu fais bien de m’en parler, oui oui, bien sûr ma petite crotte, mon Manfredouille à moi, voilà un type qui aurait pu être un bon point de pénétration dans l’ALN, il occupe Césarée avec sa jeune-garde, et c’est le seul grand port dont disposent les rebelles, magnifique. Mais il est incontrôlable, ton Kowka, mon petit vieux, personne ne sait ce qu’il veut, il change d’avis, de ligne politique et d’état-major toutes les semaines. Donc, pas de Kowka. Pas d’objection ?

 

J’avais placé un moment quelques espoirs dans la Fraction Armée Révolutionnaire, la principale concurrente du FRELIMIMO au sein du GLUND. N’y songeons plus, depuis que la Garde Historique a fait scission avec le Courant majoritaire, ils n’arrêtent plus de se scinder, on dirait un documentaire sur la reproduction des paramécies, du coup ils ne s’occupent plus que de se révolvériser entre eux.

Quant aux petits Seigneurs de la guerre qui ne se réclament de personne, tous ceux qui se sont contentés de profiter de la situation pour se tailler leur petit fief, je veux bien, mais on a déjà tenté le coup, souviens-toi. Ils sont gourmands, les salopards, et nombreux, qu’est-ce que tu veux faire avec des dizaines de reîtres, qui rançonnant sa province, qui son canton perdu ? Tiens, Jambier, en Bachkarie, on l’avait circonvenu, il a changé quatre fois de camp, en théorie du moins, et empoché à chaque fois le paquet de dollars. On a payé Al Jaber, son second, pour l’assassiner et prendre sa place, et puis à peine Jambier dispersé en fragments, voilà mon Al Jaber qui se met à suivre la même politique que feu son patron, tantôt l’un tantôt l’autre, où va-t-on si on ne peut même plus se fier aux traîtres. Tous pareils, le surcapitaine Barras, les trois lieutenants de Tatar Bazar, Duval Khan, le colonel Beck dans les plaines du nord, et tous les autres, pas d’envergure, pas de rêve, ce n’est pas l’empire qu’ils veulent, c’est le pognon et les beaux uniformes.

D’accord avec toi, je ferais une exception, à la rigueur, pour le major Amal. S’imposer dans cette foire avec une compagnie de gendarmes corrompus et vingt déserteurs de l’infanterie de marine, alors là, chapeau. Et il en veut, il lève des troupes chez les paysans, leur colle des uniformes, attaque tantôt l’un, tantôt l’autre, émet des proclamations et des bulletins. Ouais, et avec tant d’efforts, d’héroïsme, de panache, et même de génie stratégique, il n’arrive pas à se constituer un territoire stable, quand il emporte un morceau là il en perd un ailleurs, son fief change de forme et de taille tous les mois, il a même dû dériver de plus de cent kilomètres depuis qu’il mène campagne, essaie de le dessiner sur la carte, tu verras, on dirait qu’on a renversé un verre d’eau sur un escalier. Non, plus j’y pense, plus je me dis que ce n’est pas par là qu’il faut tenter quelque chose. On peut rajouter à la pagaille, je ne m’en suis pas privé, crois-moi. La pagaille n’avait pas vraiment besoin de moi. Envoyer de l’argent ici, des agents là, manipuler quelques-uns des partis de brigands dont chacun règne sur sa dizaine de villages, et qui finissent par se donner une appellation politique ronflante pour couvrir leurs exactions, noyauter les bandes de déserteurs qui errent dans tous les sens, autant dire ajouter une goutte de désordre au chaos.

Et ce chaos, ma carcasse, ce chaos, il bouge, sans arrêt, impossible de se fier à des délimitations claires sur la carte. Des bandes armées circulent partout à travers le pays, d’autres entrent ou sortent par les frontières. Les opérations militaires déplacent les lignes de front et les frontières des obédiences. Les morceaux de territoire sous le contrôle de tel ou tel parti se fractionnent encore, le moindre sous-officier crée son parti ou sa république autonome. Quand on se réunifie ici, on se scinde là. Dans tout ça, l’ALN continue à tenir sa moitié. D’accord, ce n’est jamais la même moitié : ils perdent ici ce qu’ils gagnent là. Si j’ai l’air grotesque, coincé au bout de mon pédoncule, sur mon tas de gravats surpeuplé, eux ne paraissent pas beaucoup moins bouffons, avec leur empire en habit d’arlequin, sans cesse déchiré et sans cesse raccommodé. N’empêche qu’ils ne décramponnent pas. Le temps accroît leur légitimité. Des commandants locaux se rallient à eux, mois après mois. Leur moitié instable a tendance à devenir une très grosse moitié. Tu vois un moyen d’arrêter ça, toi, branlant vestige ? Tu peux masser le cou plus fort, ça ne fait jamais que cinq ans que je m’exténue à te le répéter.

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rédaction

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