[Chronique] Aldo Qureshi, Barnabas, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Aldo Qureshi, Barnabas, par Christophe Stolowicki

avril 5, 2019
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[Chronique] Aldo Qureshi, Barnabas, par Christophe Stolowicki

Aldo Qureshi, Barnabas, éditions Vanloo, Aix-en-Provence, automne 2018, 118 pages, 12 €., ISBN : 979-10-.

Ou quelques paraboles en anecdotes, de l’univers insoutenablement violent, notre pain quotidien – médiatique. Panem et circenses que ne filtre pas la poésie mais l’exfiltre de sa gangue de gros titres et de petit écran. De l’intérieur, victimes et assassins sautons aux yeux, odieux et résignées, assignés à audience. Car ce qui est osé ici passe mieux encore qu’à la lecture par le canal de l’oreille, et Aldo Qureshi, grand performeur – il faut l’avoir vu, entendu sur scène improvisée – n’a pas besoin d’interprète.

Poésie du vécu – par procuration, qu’importe. Le politique fait vite place au fait d’hiver à glace quand « Je fais mumuse avec mon tuyau devant mamie et elle repart à la cuisine et elle revient avec les ciseaux [… me] coud […] une petite sardine […] parce que grand-père préfère les filles […] va l’ouvrir, avec son canif ».

Une poésie sans ambages ne se paye pas de mots ni de tropes ni de bons sentiments, use de raccourcis narratifs valant anacoluthes. La paronomase délassée, délacée en approximation efficace.

De l’hénaurme dans le sordide, poches de jus psychique évacuées à la petite cuiller, la transgression à tire d’ailes ne porte pas à conséquence, rien ne franchit les frontières d’un immeuble modeste à myriades de vies compressées, tant d’inceste et de cannibalisme, tout le freudisme ambiant, et d’humiliations répétées jusqu’aux derniers outrages. Kafka est là, avec un rictus de connivence, c’était pour vous distraire.

Passés dans la prose du poème les privilèges du cinéma, dans la bouche d’une prude les obscénités dernières, d’un pacifiste les insultes à s’entretuer.

Ou l’hygiène d’évacuation, entre grand guignol et petits souliers.

Poèmes que définit (volontiers si peu) poèmes l’absence de point final – dans le corps du texte points et virgules à foison, tout l’appareil d’une vie ordinaire ; poèmes à la chute, tout l’ordinaire transfiguré ; le poème se distinguant d’un bref chapitre par son seul inachèvement – et l’emprise d’un tour de langue qui se mutile.

Aux titres triviaux (« happy birthday, 1er étage, 20h45 », « le championnat de l’inceste », « l’évangile de René », « la muqueuse pituitaire ») répondent des proses à bivoie, en impasse de déraillement tragique. Extraction orgasmique d’une dent (« petit sexe d’ivoire avec des sous-vêtements rouges, déchirés, un peu sales ») par une dentiste et son assistante au « regard […] comme une sorte d’amplificateur émotionnel ». D’un prétendu admirateur la séduction subie, creusant, dès le « macaroni » apparu, la « faille psychologique » qui revient souvent. Ici « le père […] se suicide les testicules avec une agrafeuse ». Ailleurs « Un poing de fer bougeait dans ton ventre comme un embryon de chien dans la matrice d’une musaraigne ». Ou le fractionnement « en une centaine de mini-moi » dans le sens de la longueur, ou tranches de « salami alchimique », que le narrateur s’inflige pour agréer à un « démon rose avec une tête de Barbie ».

Kafka, mais l’angoisse réparée d’humour. Kafka à l’aune de Dostoïevski (« Merci Mychkine »). Du fantastique soldé à prix coûtant – cotant peu, coûtant cher. Un branle bas le corps de la langue, la peu farouche, lève les tabous minuscules qui courent les flaques à même le tirant d’eau. Un compressé de vie urbaine à étiage de rêve, le fantastique disloqué en onirique pur. Un abattage de grand fond, ce fond de forêt où les piliers de cathédrale tombent comme à l’abattoir.

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rédaction

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