Voici la chronique complète sur cet anti-art poétique, cet anti-manuel à usage des novices comme des initiés.
► Guy Bennett, Poèmes évidents, traduit de l’américain par Frédéric Forte et l’auteur, postface de Jacques Roubaud, éditions de l’attente, automne 2015, 132 pages, 12,50 €, ISBN : 978-2-36242-058-0.
Evidents, ces poèmes le sont dans la mesure où ils sont "directs" : "compréhensibles et appréciables par tous" (4e de couverture), donc. Et quoi de plus simple qu’un poème qui "s’en tient à son message à 100%" (p. 70) ? Et comme dans toute bonne communication, évidence rime avec redondance.
Cela dit, n’y a-t-il pas anguille sous roche lorsqu’on lit : "Le poème / veut exactement dire ce qu’il dit / et rien de plus" (21) ? N’y a-t-il pas malice à prendre le littéralisme à la lettre ? C’est dire que le lecteur y met à nu les impensés et présupposés, concernant, par exemple, la double opération de légitimation sociale entre auteur et lecteur : "En faisant l’acquisition de ce poème, / les lecteurs de bon goût affirment avec fierté leur individualité / en subventionnant et célébrant la mienne" (82) ; ou entre auteur et postfacier : "le postfacier aura la satisfaction / de voir son nom associé au mien / et appréciera de savoir / que je serai heureux d’écrire quelque chose / pour sa prochaine publication, / si j’en ai le temps" (103). En ce temps de transparence anticritique et anti-intellectualiste, voici un modèle de communication : "Ce poème contient / tous les éléments de langage / qui vous sont nécessaires pour en parler / avec autorité. […] Pour vous défendre dites que / plutôt que de vous empêtrer / dans les confins arbitraires du débat intellectuel, / vous préférez parler aux gens sans détour / de ce poème" (68-69).
C’est dire que Guy Bennett déconstruit le mythe du Poète, tourne en dérision les travers de l’auteur comme du lecteur, dont la relation peut être synthétisée par le couple antinomique narcissisme / voyeurisme.
C’est dire que l’on découvre dans ce livre iconoclaste tout l’espace des possibles contemporain. Ses courants : textualisme/lyrisme, poésie visuelle, poésie à contraintes… L’avant-garde : "Pourquoi retourner si loin en arrière ?" (Duke, p. 112)… L’expérimental : "Je suppose que même ceci / pourrait passer pour / un poème expérimental" (43). Ses modes : le trash, la culture pop… Le poème engagé : "Je n’en avais jamais écrit / avant celui-ci" (49)… Les poncifs textualistes : autoréférentialité, autoréflexivité, autotélisme… Ses pratiques : renvois d’ascenseurs, stratégies diverses… Ironique, le texte dévoile les implicites et subvertit le discours dominant : le tout-marketing… La doxa écologiste : "Ce poème est fait / à 100% de langage post-consommation" (78). Jouissif !